Vietnam-Le « capitalisme rouge » est dans l’impasse
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© AFP-
Le banquier Nguyên Duc Kiên
Depuis le déclenchement de la crise capitaliste financière en 2007, les contradictions deviennent de plus en plus aiguës entre la financiarisation de l’économie vietnamienne et ses ambitions de
développement fondée sur un secteur public fort. Le mécontentement grandissant d’une population en bute à la détérioration de son pouvoir achat coïncide avec l’accumulation de fortunes
spéculatives considérables, favorisées par la proximité des spéculateurs, « dans
une absence inévitable de transparence »
avec les dirigeant du parti communiste, formellement au pouvoir. Et contraint sans doute aujourd’hui à une révision de la ligne de libéralisation débridée. L’arrestation, pour malversations
financières, du fondateur d’une des plus grandes banques du pays fait dire au
journaliste Jean-Claude Pomonti : « La remontée
de pente s’annonce ardue pour des apprentis sorciers qui ne contrôlent plus les développements qu’ils ont suscités ou, du moins, laissés se
produire ».
Vietnam: le temps des apprentis sorciers
L’arrestation d’un
magnat de la finance illustre les effets d’un laisser aller. Absence de transparence, liens entre politique et affaires : corriger le tir s’annonce difficile.
Le
Vietnam souffre à
son tour des dérives du capitalisme rouge. Arrêté dans la soirée du 21 août pour «activités économiques illégales» en tant que PDG de trois sociétés, Nguyên Duc Kiên, 48 ans, pèse 70 millions
d’€, ce qui fait beaucoup au Vietnam et le range parmi les cent premières fortunes du pays. Le 22 août, la bourse a chuté de 4,7% et d’1,59% le 23 août. Surtout, pour prévenir toute panique,
Nguyên Van Binh, gouverneur de la Banque centrale et membre du gouvernement, a annoncé à l’Assemblée nationale que l’Etat ferait tout ce qu’il faut pour renflouer, si nécessaire, l’ACB (Asia
Commercial Bank) dont Kiên a été l’un des fondateurs et dont le titre en bourse a plongé deux jours de suite de 7% (chute maximale autorisée au cours d’une journée, qui entraîne automatiquement
la suspension du titre).
Binh
a affirmé, devant les députés, que Kiên n’occupait plus la moindre fonction au sein de l’ACB et qu’il détenait moins de 5% des parts de cette banque, l’une des plus importantes du pays et dans le
capital de laquelle figure la Standard Chartered. Kiên a été arrêté en raison de malversations dans trois autres sociétés dont il est le patron. Plusieurs autres banques ont aussitôt fait savoir
que Kiên n’était, chez elles, qu’un partenaire très minoritaire, donc sans influence. C’est, toutefois, le cas d’Eximbank, dont le titre en bourse a chuté de 4,9% le 22 août et de 4,5% le 23
août.
Les
autorités vietnamiennes continuent de considérer le secteur étatique, qui demeure majoritaire, comme la locomotive du développement économique (alors que l’immense majorité des créations
d’emplois est devenu, depuis plusieurs années, le fait du secteur privé, minoritaire). Les liens entre les entreprises publiques, dont la gestion a fait parfois l’objet de scandales, et les plus
hautes instances du Parti communiste sont incestueux. Le pays intervient constamment dans la gestion de ces entreprises, y compris parfois pour les sanctionner (le cas récent de Vinashin,
entreprise publique de chantiers navals, dont le budget a compris un trou de près de 4 milliards d’€).
Les
banquiers sont également obligés d’avoir leurs introductions au Comité central et au Bureau politique du PC. Ces relations s’opèrent fatalement dans une absence inévitable de transparence. Les
fauteuils dans les conseils d’administration se comptent parfois par dizaines (c’est le cas dans l’affaire Nguyên Duc Kiên, dont on ignore encore les motifs précis de l’arrestation). Kiên passait
également pour entretenir de très bonnes relations avec certains membres du Bureau politique. Lors de son avant-dernier Congrès, en 2006, le PC a accepté la présence dans ses rangs de
«capitalistes rouges» en autorisant ses membres à faire des affaires privées.
Les
complicités et le laisser aller, donc le trop bon ménage postsocialiste entre affaires et politique, expliquent également la gestion parfois hasardeuse des banques, notamment le taux élevé de
mauvaises dettes. En mars dernier, le gouverneur Binh a rapporté au Parlement que les mauvaises dettes, en fait les créances douteuses, représentaient près de 10 milliards d’€, soit 10% de la
dette des banques, un taux jugé très élevé. Une inspection de la Banque centrale a alors révélé que, dans certaines sociétés de crédit, les mauvaises dettes représentaient de 30% à 60% du total.
Autant dire que ces sociétés, peu nombreuses, sont déjà étouffées.
Le
gouverneur de la Banque centrale a également affirmé, qu’en juin 2012, le taux moyen de mauvaises dettes dans les banques commerciales d’Etat était de 3,76% et qu’il était de 4,73% dans les
autres banques commerciales. Ces statistiques sont inquiétantes alors que l’expansion s’est ralentie (4%) et que le secteur immobilier à Hochiminh-Ville est en
déroute. L’arrestation de Kiên pourrait annoncer quelques règlements de comptes supplémentaires. La remontée de pente s’annonce ardue pour des apprentis sorciers qui ne contrôlent plus les
développements qu’ils ont suscités ou, du moins, laissés se produire.