Une vie ne tient qu’à un patronyme
Colline3
Par Emmanuel Hecht
En Algérie, Halimi désigne indifféremment un musulman, un juif, voire un chrétien dans cette terre qui vit naître saint Augustin. Le détail est d'importance en
1962, à quelques semaines de l'indépendance de l'Algérie, alors que chacun est une cible pour l'autre.
Le jeune Samy Halimi est musulman, orphelin éduqué par les Sœurs de l'Adoration perpétuelle, professeur remplaçant de français, latin, grec au lycée Cavaignac,
asthmatique, plus proche du jeune Kafka que d'un moudjahid. Son salut, il le devra à l'ambigüité de son nom, à son parcours atypique, et plus encore, à la chance. Mais à quel prix...
Messaoud Benyoucef (68 ans), professeur de philo, traducteur, réfugié en France depuis les années 1990, a accouché d'un superbe récit initiatique : Colline 3, du nom de la plus stratégique des zones politico-militaires établies par l'OAS, entre centre-ville européen (Michelet), quartier juif (mellah) et cœur historique arabe (médina). Dans ce huis-clos, se joue le drame algérien.
Samy, aussi décontenancé que Fabrice à Waterloo, découvre en simultané le grand amour, la rébellion algérienne, l'OAS, la raison d'Etat et le secret de son
enfance brisée. Le romancier conduit avec sûreté ce vaste programme en accéléré, mêlant avec brio les genres - scènes d'amour, règlements de compte dignes de westerns, dégagements sur Hegel,
dialogues égrillards...- et bannissant une fois pour toutes le manichéisme. Mais le plus troublant, dans cette tragédie antique, est de constater que ce romancier algérien à la si belle langue
est un pur produit de feu l'Algérie française.
Emmanuel Hecht,
14 mars 2012. L'Express
Colline3, roman de Messaoud Benyoucef. Alma, éditeur.
Paris
Le site de Messaoud Benyoucef : Braniya.blog