Une première : Journée européenne contre l'austérité
Manifestation à la gare Atocha, à Madrid. Photo par PAUL
HANNA/Reuters
"Moment
historique"
Grève générale coordonnée en Espagne et au
Portugal, manifestations et arrêts de travail en Grèce, en Italie, en France : l'opposition aux politiques d'austérité s'organise en Europe à l'occasion d'une "journée
européenne d'action et de solidarité".
"À semer l'austérité, on récolte la récession,
l'augmentation de la pauvreté et l'angoisse sociale", a déclaré Bernadette Ségol, secrétaire générale de la
Confédération européenne des syndicats (CES) qui coordonne la mobilisation.
"Dans certains pays, l'exaspération atteint son
comble. Des solutions urgentes doivent être prises pour relancer l'économie et non l'asphyxier par l'austérité", a-t-elle ajouté.
Les organisateurs de ce mouvement européen appellent à
manifester contre des politiques d'austérité qui, disent-ils, prolongent et accentuent la crise économique et sociale née de la crise de la dette souveraine.
"Nous vivons un moment historique du mouvement de
construction de l'Union européenne", juge
Fernando Toxo, qui dirige les Commissions ouvrières (CCOO), la principale centrale syndicale espagnole.
En Espagne, où le chômage touche un quart de la
population active, le rejet de la rigueur mise en oeuvre par le gouvernement de Mariano Rajoy a franchi un degré supplémentaire après l'émoi provoqué par le suicide d'une femme de 53 ans qui ne
pouvait plus rembourser son emprunt immobilier.
Depuis l'explosion de la bulle immobilière en 2008,
près de 400.000 logements ont fait l'objet de saisies à la demande des banques espagnoles, qui ont bénéficié d'un plan de soutien financé par de l'argent public.
"Nous allons manifester parce qu'ils ignorent les
droits du peuple. Des gens sont expulsés de chez eux, et ils augmentent nos impôts", dit Sandra Gonzalez, étudiante de 19 ans à l'université
Complutense de Madrid.
130
manifestations et rassemblements en France
Au Portugal, qui a négocié l'an dernier un plan de
sauvetage de 78 milliards d'euros, la population n'a pas manifesté la même colère qu'en Espagne, mais l'opposition à l'austérité va croissante.
"La première grève ibérique de l'histoire sera un
grand signal de mécontentement mais aussi un avertissement aux autorités européennes", prévient Armenio Carlos, qui dirige le syndicat CGTP.
"Cette austérité est une histoire sans fin. On ne
voit aucune lumière au bout du bout du tunnel, mais plus de souffrances et plus de difficultés", témoigne José Marques, un retraité lisboète qui descendra dans
la rue.
En Italie, la CGIL, premier syndicat du pays, a appelé
à des arrêts de travail de plusieurs heures.
En Grèce, les syndicats du public et du privé ont
demandé trois heures d'arrêt de travail en solidarité au mouvement en Espagne et au Portugal. La police d'Athènes s'attend à ce que 10.000 personnes répondent à l'appel à manifester.
En France, plus de 130 manifestations et
rassemblements sont prévus. "C'est la première fois dans l'histoire de l'Europe qu'aura lieu une mobilisation d'une telle ampleur simultanément dans nombre de pays", se félicite la
CGT.
Des manifestations auront lieu dans certains pays de
l'Est et des actions symboliques sont prévues en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas, notamment, précise la CES.
Une action spécifique est prévue à Bruxelles avec un
tour des ambassades par les responsables des syndicats et un rassemblement devant le siège de la Commission européenne.
Source : Reuters , 14 novembre
2012.
Bernadette Ségol: «Nous sommes tous dans le même bateau»
Bernadette Ségol.
L’Europe et surtout les travailleurs s’enfoncent dans
la
crise. Le chômage augmente
et
les politiques européennes
ne
changent pas. Il faut changer de cap. Nous avons besoin d’une politique de croissance soutenable, avec l’emploi comme priorité.
Comment jugez-vous les politiques menées ?
Elles se concentrent sur les réformes structurelles, la baisse des salaires, la flexibilisation du marché du travail. Les réformes structurelles sont
insupportables. Elles démantèlent le modèle social européen. En revanche, la question d’une taxation juste, de la lutte contre l’évasion fiscale ont été oubliées. Les
orientations choisies ne se soucient pas d’une politique d’investissement qui relance la croissance et l’emploi. Le secteur bancaire a été oublié, alors que c’est lui qui a placé les économies
dans l’état lamentable d’aujourd’hui.
Pensez-vous que les dirigeants européens prennent davantage
en
compte la dimension
de
la croissance ?
Dans les mots, oui. Le pacte de croissance a été signé en juin. Mais à cette heure, nous ne voyons pas où ont été réalisés les investissements dans les
infrastructures. On nous dit
qu’en
flexibilisant le marché
du
travail et en mettant en oeuvre des réformes structurelles, on redonnera confiance aux marchés. À la Confédération européenne
des
syndicats, nous estimons que c’est aux travailleurs et citoyens qu’il faut redonner confiance. Nous avons toujours dit qu’il fallait revenir à des budgets sains, mais pas en deux ans
! Ce qui se passe en Grèce, au Portugal, en Espagne montre que ce que nous disions de longue date est juste : il faut arrêter ces politiques destructrices.
Cette mobilisation vise donc
à
attirer l’attention sur la nécessité d’une politique de croissance ?
Oui. Nous voulons aussi montrer la solidarité nécessaire avec les pays dans cette urgence sociale. Nous soulignons que ce qui se prépare est
la création d’une zone franche du point
de
vue des droits sociaux et de la négociation collective. Un appel vers le bas des conditions de travail et de salaire va être créé. À terme, cela posera des problèmes de concurrence aux pays
aujourd’hui les moins affectés par la crise, qui ne doivent pas rester indifférents. J’aimerais souligner le soutien que nous recevons des organisations allemandes, autrichiennes, nordiques, qui
ne soutiennent pas les politiques qui sont menées aujourd’hui. Elles savent qu’à moyen et long terme, nous sommes tous dans le même bateau.
14 novembre 2012. L’Humanité.fr