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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

TURQUIE-Laïcisme-Islamisme, une "dichotomie surannée"

Edhem Eldem’den Osmanlı ve Türk Arkeolojisine Bir Tarihçi Bakışı

DR-Edhem Eldem

 

"Les rengaines kémalistes et laïcistes de l'opposition trouvent écho dans le discours de plus en plus islamo-nationaliste de M. Erdogan. Cette polarisation permet aux deux parties de mener le combat sur un terrain familier, dans un pays où islam et laïcité enflamment plus facilement les esprits que la lutte pour des principes démocratiques, qui sont par ailleurs aisément sacrifiés à la stabilité économique".

 

 

 

Le président Erdogan tenté par le populisme

 

 

Par Edhem Eldem, historien spécialiste de l'Empire ottoman à l'université du Bosphore

29 juillet 2013. Point de vue, Le Monde.fr

La question de la laïcité – et par conséquent de l'islam – en Turquie n'est pas nouvelle, puisqu'elle remonte aux origines de la République. Toutefois, avec l'arrivée au pouvoir de l'AKP (le Parti de la justice et du développement) de Recep Tayyip Erdogan en 2002, elle a pris une nouvelle dimension ; depuis les récents événements de la place Taksim, on ne parle presque plus que de cela.

 

Ce discours comporte le risque de tout réduire à une fausse dichotomie entre islam et laïcité, d'autant plus que la laïcité turque se réduisait souvent à un contrôle étatique sur un islam sunnite tacitement reconnu comme religion nationale. Ce qui comptait surtout, c'était de paralyser le pouvoir politiquede l'islam – notamment des confréries – et de maintenir les apparences d'une modernité occidentale jugée incompatible avec la plupart des signes extérieurs d'appartenance à l'islam, tel le voile.

 

Le coup d'Etat de 1980 changea sensiblement la donne ; la junte, inspirée par la politique américaine, s'imagina pouvoir mieux combattre les "rouges" en se servant des "verts". Avec le président Turgut Özal, le retour au régime civil s'opéra sous les auspices du libéralisme économique et d'un conservatisme fortement empreint de nationalisme et d'islam – la synthèse turco-islamique.

 

L'AKP s'inscrit très clairement dans la continuité de cette veine politico-idéologique qui combine opportunisme économique et conservatisme religieux. Avec, toutefois, une différence de taille : son action politique ayant été beaucoup plus radicale, l'AKP a réussi à se constituer un soutien populaire sans précédent, ce qui lui a permis de modifier complètement les règles du jeu.

 

 

Usant d'un discours et de principes démocratiques

 

 

Ce radicalisme n'avait rien d'islamiste ; les membres du parti, M. Erdogan le premier, ne se sont jamais cachés d'être de pieux musulmans, mais cette identité n'a pas défini leur action politique. Usant d'un discours et de principes démocratiques, l'AKP devint le parti des laissés-pour-compte ; il s'ensuivit une véritable démocratisation du système et un raz-de-marée électoral auquel l'opposition, dépassée, ne trouva d'autre riposte que d'accuser le gouvernement de vouloir détruire le régime laïque.

 

La théorie du loup dans une peau de mouton a été avancée pour expliquer la politique démocratique de l'AKP. C'est exact, dans la mesure où cette tactique est profondément ancrée dans la tradition politique turque. La démocratie n'est jugée utile que dans une situation de faiblesse ; une fois au pouvoir, tout parti tentera systématiquement de contrôler le système, de neutraliser ses adversaires, de placer ses partisans et de museler toute voix dissonante. L'AKP en est effectivement arrivé là ; l'erreur, toutefois, est de penser que son objectif est d'abolir la laïcité pour établir un régime islamique.

 

Certes, la laïcité fait partie des enjeux actuels, ne serait-ce que parce qu'elle n'a jamais vraiment existé en Turquie et qu'elle doit être redéfinie selon des critères démocratiques et égalitaires. Pour ce qui est de l'islamisme supposé de l'AKP, il ne faut pas prendre un conservatisme typique de la majorité de la population pour une politique visant à établir la charia. L'islam est évidemment un argument identitaire puissant, qui, combiné avec le nationalisme ambiant, assure à l'AKP un soutien populaire que d'autres partis lui envient ; une surenchère serait dangereuse, toutefois, en ouvrant la porte à une course vers un islam politique dont l'AKP ne ressortirait pas forcément vainqueur.

 

Il est donc dans l'intérêt du parti de maintenir le système tel qu'il est, de l'infiltrer et de le maîtriser au maximum, et de jouer de l'avantage idéologique qu'il détient sans pour autant se risquer dans les eaux dangereuses de l'islam politique.

 

Le véritable danger est ailleurs : il s'agit d'empêcher le système de basculer dans une sorte d'autoritarisme populiste qui effacerait tous les acquis démocratiques encore récents. Après trois victoires électorales, l'AKP a acquis une assurance qui lui permet de rêver de gouverner sans opposition. Il n'y a pas de mystère : une grande partie de ce succès est due à la surprenante réussite économique des dix dernières années. Pour la très grande majorité de la population, l'AKP représente l'image rassurante d'une stabilité économique et politique doublée d'un nationalisme fortement teinté d'islam.

 

 

La dérive autoritaire et intolérante du gouvernement

 

 

Les événements de la place Taksim et l'incroyable violence policière qui s'ensuivit ont en quelque sorte crevé l'abcès d'un mécontentement qui grondait depuis quelque temps ; ils ont révélé la dérive autoritaire et intolérante du gouvernement ; ils ont mis à nu l'hypocrisie et la servilité d'une grande partie de la presse et de ses patrons ; ils ont montré qu'une partie de la jeunesse formée dans l'environnement libéral de la phase démocratique de l'AKP ne voulait plus se contenter du format traditionnel de la politique turque.

 

Le problème, bien sûr, est de savoir si cette nouvelle voix sera entendue et comprise. Les rengaines kémalistes et laïcistes de l'opposition trouvent écho dans le discours de plus en plus islamo-nationaliste de M. Erdogan. Cette polarisation permet aux deux parties de mener le combat sur un terrain familier, dans un pays où islam et laïcité enflamment plus facilement les esprits que la lutte pour des principes démocratiques, qui sont par ailleurs aisément sacrifiés à la stabilité économique.

 

Et pourtant, il est clair qu'un seuil a été franchi et que l'exemple de la coalition spontanée de groupes extrêmement divers autour des événements de la place Taksim fera école. L'apparition de groupes de jeunes musulmans qui se définissent comme anticapitalistes ou révolutionnaires et participent aux mêmes manifestations antigouvernementales est peut-être le meilleur exemple que l'on puisse donner à la fois de cette réussite et du fait que l'islam, lui aussi, cherche à se libérer de cette dichotomie surannée.

 

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