Suspecté de «crimes de guerre», Khaled Nezzar auditionné en Suisse
Le général major à la retraite, Khaled Nezzar, 74 ans, a été interpellé, jeudi dernier, à son hôtel cinq étoiles, le « Beaurivage », au bord du lac Léman, et
entendu par la justice suisse.
L'ancien ministre de la Défense, de 1991 à 1993, et membre du Haut comité d'Etat a été interpellé, lors de son passage à Genève, jeudi dernier, selon le
Ministère public de la Confédération qui avait ouvert une instruction «pour suspicion de crimes de guerre» sur la base d'une dénonciation de l'ONG suisse Trial, une association de droit suisse
basée à Genève, relayant les plaintes de deux victimes algériennes.
Accusé de crimes de guerre commis lors de la «décennie noire», Khaled Nezzar a été arrêté à Genève jeudi matin et entendu par le Ministère public de la Confédération (MPC) jusqu'au vendredi 21
octobre à 18h30. Plus tôt dans la semaine, le MPC avait ouvert une instruction suite à une dénonciation de Trial, l'association suisse contre l'impunité. Khaled Nezzar aura donc été entendu sur
des crimes qui lui sont reprochés dans le contexte de la décennie noire et du conflit armé qui a embrasé le pays de 1992 à 1999. L'ancien général a été relâché à l'issue de l'audition qui s'est
déroulée, vendredi, avec la partie plaignante, mais «l'instruction se poursuit», selon le Ministère public. Une plainte avait déjà été déposée contre lui au parquet de Paris en 2001, mais classée
sans suite après le départ du général pour l'Algérie et une seconde plainte a été déposée en 2002. Trial, spécialisée dans la lutte contre l'impunité, a indiqué dans un communiqué que M. Nezzar a
été remis en liberté «sur la base de promesses de se présenter durant la suite de la procédure».
L'ONG qui se félicite de l'arrestation et de la poursuite de M. Nezzar pour crimes de guerre, déplore toutefois que le suspect n'ait pas été placé en détention préventive et estime que le risque
de fuite est élevé. Trial (Track Impunity Always), fondée en 2002, regroupant des juristes, des responsables d'ONG et des victimes, jouit du statut consultatif auprès du Conseil économique et
social des Nations unies et est également derrière la plainte déposée contre Bouguerra Soltani, le chef du Mouvement de la société pour la paix, Hamas, et ancien ministre du Travail. Accusé de
torture, il a failli être arrêté, en 2009, à Fribourg. L'histoire débute en 1998. Nouar Abdelmalek travaille au ministère algérien de la Défense et dénonce M. Soltani pour « une affaire de
recrutement d'un jeune islamiste », selon Trial. Puis M. Abdelmalek, devenu journaliste, réitérera ses accusations. En 2005, clame-t-il, il est arrêté et torturé des jours durant. «Supplice du
chiffon, décharges électriques, tournevis dans une cicatrice récente.» Or, selon lui, c'est Soltani qui dirige la séance de torture. Nouar Abdelmalek vit aujourd'hui au sud de la France. « Avec
un statut de réfugié politique», précise Philip Grant, président de Trial. Trial apprenant que M. Soltani vient à Fribourg donner une conférence mandate un avocat. S'appuyant sur la Convention
contre la torture, l'association espérait qu'il soit arrêté puis jugé.
Pour rappel, le droit suisse autorise la poursuite des violations du droit international humanitaire, notamment les violations des Conventions de Genève et de ses Protocoles additionnels, dès
lors que le suspect se trouve sur son territoire.
Moncef Wafi. 23 octobre 2011. Le Quotidien d’Oran
Compte rendu de l’audition des plaignants
«J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable des tortures que j’ai subies»
On m’a enlevé mes vêtements, mis un bandeau sur les yeux et menotté. On m’a allongé sur un banc et on m’a frappé avec une barre de fer sur les orteils, sur les parties génitales et sur le torse.
Pendant que quelqu’un versait de l’eau sur ma bouche couverte par un chiffon. Lorsque j’ai perdu conscience, ils m’ont brûlé avec un chalumeau pour me réveiller.» C’est là
un extrait du rapport détaillé de l’audition qui s’est tenue vendredi à l’hôtel de police de Genève dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre du général à la retraite, Khaled Nezzar,
pour un soupçon de crimes de guerre.
Le récit est celui de Daadi Seddik, un des deux plaignants, qui raconte avec précision, lors de cette audition et en présence de l’accusé, les pires moments de la torture subie pendant son
arrestation à Alger le 17 février 1993 à 2h du matin.
«Après cette première séance de torture, ils m’ont laissé une journée dans un couloir puis ils m’ont placé dans une cellule pour 11 à 12 jours et chaque jour je subissais
la même séance de torture qui durait 3 à 4 heures, le dernier jour ils m’ont torturé près de 5 heures puis ils m’ont violé (…)», est-il précisé dans le document dont El Watan a pu se procurer une
copie. Pourquoi cette plainte est déposée contre l’ancien membre du Haut Comité d’Etat (HCE) et ministre de la Défense de 1991 à 1993, Khaled Nezzar ? «C’est lui qui dirigeait l’Algérie à cette
époque. J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable de la torture que j’ai subie en Algérie. S’il dit qu’il n’a pas donné d’ordre, pourquoi n’a-t-il pas jugé ces gens ?» répond Daadi Seddik en
présence des avocats, du procureur fédéral assistant et du procureur fédéral suppléant. Ancien employé de daïra, militant au sein de l’ex-FIS, Daadi Seddik, qui était recherché lors des
événements d’Octobre 1988, a été emprisonné durant une année après ce fameux 17 février 1993. Après quoi, il a pu quitter le territoire pour fuir le harcèlement policier qui lui a été imposé,
raconte-t-il, allant d’arrestation en arrestation après sa libération.
Rentré de Suisse en 1995, il subira une énième arrestation qui finira encore une fois en séance de torture de 43 jours. Il a quitté définitivement le pays quand il a été relâché pour se réfugier
une seconde fois en Suisse.
Supplice du chiffon
mouillé
«En 1993, j’ai été arrêté trois fois par la police pour des interrogatoires jusqu’au soir où des parachutistes sont arrivés chez moi et fouillé partout. Une
dizaine de personnes portant des cagoules m’ont embarqué. (…) On m’a demandé de me déshabiller, on m’a ligoté les pieds et les bras, on m’a mis un morceau de tissu sur le visage et on y a versé
de l’eau pour m’obliger à dire que je soutenais des groupes armés. J’ai inventé des réponses fausses pour échapper au supplice après dix jours de torture», raconte pour sa part Ahcène Kerkadi,
chirurgien dentiste anciennement installé à Meftah, également sympathisant du FIS et ancien maire adjoint.
Ce deuxième plaignant lors de la même audition, mettant en cause le général à la retraite, Khaled Nezzar, a lui aussi pu quitter l’Algérie après avoir été libéré pour se réfugier en
Suisse.
Cette déposition est donc une première étape dans la procédure faisant suite au dépôt de plainte de ce 20 octobre par Daadi Seddik et Ahcène Kerkadi, en
qualité de partie plaignante dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre de Khaled Nezzar par le ministère public de la Confédération, en date du 19 octobre, «pour soupçon de crimes de
guerre commis en Algérie durant le conflit armé interne de 1992 à 1999».
L’ancien homme fort du régime a été interpellé suite à une demande du parquet jeudi matin, alors qu’il était en visite dans la capitale helvétique pour des soins.
Il a été auditionné par le procureur après que ces deux plaignants eurent déposé leur plainte. Il a été libéré vendredi soir après avoir garanti qu’il resterait à la disposition de la justice
suisse à partir d’Alger. Mais les deux plaignants ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. «Je dispose d’éléments contre le général Khaled Nezzar, mais je ne peux pas les dire en sa présence.
Il y a des militaires dissidents qui ont beaucoup de choses à dire, si la procédure se poursuit», a précisé Ahcène Kerkadi lors de cette audition.