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Publié par Saoudi Abdelaziz

Point de vue

 

Trois petits tours…, et puis ne s'en vont pas ! Vladimir Poutine sera président de Russie en mars 2012 et nommera Dmitri Medvedev, premier ministre, s'il tient sa promesse. Dans l'enthousiasme qui accompagne l'unanimisme, apparatchiks et businessmen ont applaudi, le 24 septembre à Moscou, le dernier acte d'une comédie politique.

 

Au congrès du parti dirigeant, "Russie unie", qu'il préside depuis 2007, le premier ministre Poutine a proposé que le président Medvedev dirige la liste du parti aux législatives du 4 décembre ; puis Medvedev a proposé la candidature de Poutine au poste de président ; enfin, le futur président Poutine a promis de donner le poste de premier ministre à l'actuel président Medvedev… Tout ceci n'a pris que quelques minutes sous le crépitement des flashs.

 

Vladimir Poutine reste donc l'homme fort de la Russie. Il sera réélu président en mars 2012, avec la possibilité de renouveler en 2018 ce mandat de six ans. Si un tel scénario se réalise, Poutine aura été au sommet du pouvoir pendant vingt-quatre ans, de 2000 à 2024. L'essentiel n'est pas tant d'atteindre ce but que de convaincre tous les acteurs influents, en Russie et à l'étranger, que l'alternance n'est pas une hypothèse réaliste. Il ne sert donc à rien d'aller contre la marche de l'histoire poutinienne.

 

En annonçant qu'il redevient président, Vladimir Poutine remise le "tandem" au magasin des accessoires. Il n'en a plus besoin. Si Dmitri Medvedev prend la tête du gouvernement l'an prochain, il ne sera pas le second dans un duo, mais un membre parmi d'autres de l'équipe Poutine. Cet événement n'est pas la simple reconduction du tandem "inversé" mais une nouvelle étape dans la fossilisation du régime. A quelques exceptions près, les puissants en Russie se satisfont d'un système qui garantit leurs intérêts et leur impunité.

 

Pour Medvedev, l'honneur est sauf. Pendant l'hiver dernier, il craignait que Poutine ne reconduise le tandem sans lui, avec un troisième homme. Ceci explique son agitation médiatique et les quelques différends publics avec son mentor. Il a ainsi évité le scénario humiliant : être remplacé par un autre "jeune poutinien" et remercié avec un poste honorifique. Le tandem a bien fonctionné, Medvedev exige de la reconnaissance. Il a été un bon diplomate qui a séduit les partenaires étrangers. Et il a capté l'attention des élites grâce à un discours critique et modernisateur. Sans jamais bousculer l'ordre établi. Redevenu président, Poutine brandira la bannière du progrès et de la modernité.

Les grands perdants dans le système Poutine sont, encore et toujours, les élections et les institutions. En insistant sur le fait que, quelque soit sa fonction, il est le chef, Poutine présente comme futiles les règles de droit et les mécanismes institutionnels. Il n'a de comptes à rendre à personne en dehors du sérail. La fragilisation des institutions prive les citoyens, les opposants, les petits entrepreneurs, les associations, de leviers pour faire valoir leurs droits et résister à un régime opaque et clientéliste.

 

La conséquence la plus dramatique de la réélection annoncée de Vladimir Poutine est la perte de sens du processus électoral. Les deux scrutins à venir – législatives en décembre, présidentielle en mars – sont bouclés avant d'avoir eu lieu. La victoire est déjà célébrée. Poutine ne se gêne pas pour affirmer que le dénouement était connu d'avance : "Je veux vous le dire sans ambage : nous avions conclu un accord il y a plusieurs années déjà sur ce que nous ferions."

 

Non seulement l'électeur a été trompé sur la possible compétition entre plusieurs tendances au sein du pouvoir, mais il est moqué. Beaucoup de Russes sont devenus indifférents. Tant que leur situation matérielle ne se détériore pas, ils acceptent le statu quo. Mais pourquoi les priver de l'illusion du choix après un semblant de campagne électorale ? Et les partenaires occidentaux ne vont-ils pas s'émouvoir d'une telle désinvolture ?

 

Le groupe dirigeant a pesé le pour et le contre. L'avantage de dévoiler le jeu dès maintenant est de limiter au maximum les risques. Une campagne électorale, même dirigée et sans réelle concurrence, invite au débat public et nourrit les luttes d'influence au sein du sérail. Les perturbations des dernières semaines l'ont montré : le nouveau parti des libéraux n'est pas admis à concourir ; l'oligarque Prokhorov, propulsé à la tête d'un soi-disant parti d'opposition, Juste Cause, est brutalement déchu.

 

L'envers de la médaille est que le soufflé électoral est retombé et que les autorités perdent la curiosité du public, qui leur est pourtant nécessaire pour obtenir un niveau de participation crédible. Comment faire voter les Russes ? La réponse se trouve dans ce que nos collègues russes appellent "la ressource administrative". Les responsables locaux sont instruits des résultats attendus dans leurs circonscriptions. Le travail de préparation s'accomplit sur le terrain depuis des années. Dmitri Medvedev a fait valser les gouverneurs de province et de nombreux responsables d'administration. Poutine a sillonné les terres russes et multiplié les cadeaux électoraux.

Et pourtant, la victoire que remportent les clans sur les institutions publiques pourrait bien être une victoire à la Pyrrhus. Ces batailles en coulisses et cette précipitation indiquent une certaine nervosité. Sinon, pourquoi verrouiller à ce point un processus de "non succession" qui ne présentait pas, au fond, de grands risques ? Les blogs et les sites Internet indépendants traduisent la lucidité des Russes, encore minoritaires, qui suivent les affaires et parlent de "stagnation", de "dictature molle", de "pouvoir corrompu", de "l'usure" de Poutine.

 

Sans réforme d'envergure, et avec la même équipe au pouvoir depuis douze ans, les perspectives économiques et sociales s'assombrissent. Et Mikhail Gorbatchev, dernier président de l'URSS, s'indigne publiquement de la dérive autoritaire du système Poutine.

 

Marie Mendras. Le Monde.fr. 28 septembre 2011. Marie Mendras politologue au CNRS et au CERI, enseigne à Sciences Po Paris est aussi l'auteur de Russie. L'envers du pouvoir (Odile Jacob, 2008).

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/28/russie-victoire-des-clans-sur-les-institutions_1578245_3232.html

 

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