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Publié par Saoudi Abdelaziz

Par Sandrine Morel

 

La mi-journée, la grève générale était peu perceptible dans les rues de Madrid. Les commerces sont restés ouverts et dans certains quartiers, comme la rue commerçante de Goya, les gens se promènent comme n'importe quel jour de la semaine. Autour de la Puerta del Sol en revanche, l'ambiance est plus chaude. Des manifestations, organisées par les syndicats minoritaires et les "indignés", ont commencé à rassembler étudiants, chômeurs et grévistes, une foule de mécontents qui n'ont qu'une envie, clamer haut et fort ce dont ils souffrent au présent et ce qu'ils craignent pour l'avenir. En voici quelques exemples.

 

"Nous sommes là pour notre fille, pour son avenir et le notre"

 

Puerta del Sol, Raul Rodriguez et Laura Bretel manifestent en silence, au côté des militants de Confédération nationale du travail (CNT) et des "indignés". Ils sont venus avec Emma, leur bébé de quatre mois, qui dort paisiblement malgré les sifflets et les chants des manifestants. Ils ne sont pas syndiqués, ne sont pas venus non plus en réponse à l’appel des indignés. "On est là pour elle, pour son avenir et le notre", explique Raul.

Le couple n'est pas venu protester seulement contre la réforme du marché du travail mais "contre les politiques qui se plient aux exigences capitalistes et qui ne s'intéressent qu'aux intérêts des entreprises".

Surtout, il craint que le gouvernement s'en prenne à l'éducation et à la santé, "nos droits essentiels". "Nous voulons juste vivre dignement."

Raul vient de retrouver un emploi d'informaticien après un an et demi de chômage. "J'ai dû accepter de baisser mon salaire de moitié, de 2 000 euros mensuels à 1 000 euros, ce que je gagnais quand j'avais 18 ans. Aujourd'hui, j'en ai 30 et un bébé..."

Sa femme, Laura, n'est pas dans une meilleure situation. En congé maternité, elle a appris que son employeur, le groupe industriel ThyssenKrupp, mettait en place un plan social qui affectera la moitié des salariés de l'usine métallurgique où elle travaille. "En septembre, je serai sans travail. Pourtant, l'entreprise fait des bénéfices. Ce plan social est simplement une question stratégique. Elle préfère investir dans les pays émergents, comme le Brésil, plutôt qu'en Espagne, où il n'y a plus de chantiers, plus de construction", explique-t-elle, déçue et inquiète, elle qui se considérait comme une privilégiée. "J'avais des conditions de travail très bonnes, avec un salaire de 21 000 euros annuel et de bons horaires. Aujourd'hui je sais que je devrai accepter un travail à 600 euros, sans doute à temps partiel parce que les entreprises ne font pas de facilités pour celles qui ont des enfants et que je ne pourrai plus faire d'heures supplémentaires..."

Raul et Laura n'ont pas voulu se mêler aux syndicats majoritaires, de plus en plus contestés par les travailleurs qui les accusent de ne pas réagir suffisamment rapidement, de ne pas veiller correctement aux droits de tous et de ne s'occuper que de leurs affiliés.

Mais ils ont voulu être là pour dénoncer une réforme synonyme de "précarité" et de "remise en cause des droits socio-professionnels".

 

"Ils vont réussir à faire baisser le chômage : en faisant fuir les jeunes"

 

En face du grand magasin espagnol Corte Ingles de la rue Preciados, à deux pas de la Puerta del Sol, José Antonio Nuñez a remis son costume de carnaval, celui d'un squelette. "C'est comme ça qu'ils vont nous laisser : sans rien sur les os ! Ils pensent sans doute que les grands-parents, avec leur pension de 500 euros, vont pouvoir faire vivre leurs enfants et petits-enfants pendant des années !" Cet ancien syndicaliste de 69 ans tient le coup, sous le soleil radieux de cette journée de printemps et face à une dizaine de policiers, postés devant les diverses entrées du grand magasin pour garantir l'accès aux clients potentiels. "Pendant 30 ans, j'ai défendu les droits des travailleurs et maintenant arrive un nouveau gouvernement qui voudrait tout jeter à la poubelle. Leur réforme permet aux entreprises de licencier juste lorsqu'elles pensent avoir des pertes... En réalité, elle signifie le licenciement libre et gratuit ! Ils vont réussir à faire baisser le chômage, c'est sûr, mais pas en créant de l'emploi : en faisant fuir nos jeunes diplômés à l'étranger, comme ma fille qui travaille à Paris !"

 

"Le gouvernement doit rectifier les points les plus négatifs"

 

En face du ministère des finances, au numéro 9 de la rue Alcala, José Luis Fernandez manifeste avec ses compagnons de l'USO, le troisième syndicat espagnol, sous l'œil d'une vingtaine de policiers. "Les Espagnols doivent manifester leur rejet de la réforme du marché du travail. Comme le reconnaît le gouvernement [qui a prévenu que ses effets ne se verront qu'à 'moyen terme' et que le chômage continuera d'augmenter cette année, ndlr], elle ne va pas créer d'emplois. Au contraire, elle pousse à la baisse les salaires et la consommation", souligne ce professeur de lycée, secrétaire de communication de l'USO. Malgré la mobilisation, il ne croit pas que le gouvernement retire la loi, mais il espère au moins qu'il en "modifie les points les plus négatifs, à commencer par la suppression de l'autorisation administration préalable aux plans sociaux et licenciements collectifs. Sans elle, les entreprises peuvent faire ce qu'elles veulent!"

José Luis pense aussi que la manifestation doit faire réagir le gouvernement à la veille d’un rendez-vous capital : "Demain sera annoncé le projet de budget de l'Etat pour 2012 et nous craignons que les investissements, la seule manière de relancer l'activité dans l'immédiat, chutent." De fait, le ministre de l'économie a annoncé que les investissements seront réduits de 40 %, alors qu'ils ont déjà été sérieusement rognés par les budgets 2010 et 2011.

 

"Cette grève arrive trop tard"

 

Dans le hall désert de la gare d'Atocha, Véronica Esteban passe le temps en discutant avec une amie. Contrairement à une grande majorité de ses compagnons, cette jeune Espagnole de 22 ans a décidé de ne pas faire grève. "Ce n'est pas le moment, c'est trop tard. Il fallait la faire avant que le gouvernement ne prenne les mesures", estime-t-elle, l'air las. Selon elle pourtant, la réforme du marché du travail, contre laquelle a été organisée la grève "n'est pas mauvaise, elle est pire que cela : elle est terrible".

Résignée, elle considère qu'elle n'a pas d'autre choix que de subir la nouvelle loi. "De toute façon, j'ai un contrat précaire. Je ne peux pas m'absenter, je risquerais d'être licenciée. Et puis, je ne peux pas non plus me permettre de perdre une journée de salaire, vu ce que je gagne..."

 

Sandrine Morel, 29 mars 2012. Espagne.blog

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