Où sont les amis de la Palestine ?
Par Hocine Belalloufi
L’année 2011 a vu les peuples de plusieurs Etats du monde arabe se révolter contre les régimes
dictatoriaux en place. Une polémique fait rage depuis, certains considérant qu’il s’agit d’une révolte spontanée et légitime pendant que d’autres y voient un « complot ourdi » par les grandes
puissances (Etats-Unis et Europe). Dans la foulée des élections tenues en Tunisie, en Egypte et au Maroc notamment, la controverse s’est étendue et porte sur le fait de savoir si cette révolte a
débouché ou débouchera sur une libération des peuples concernés ou, au contraire, sur un « hiver islamiste ». Il n’existe aucun consensus quant à l’analyse de ces divers processus.
Tout le monde s’accorde en revanche à reconnaître que la Palestine a été épargnée par ce que des médias occidentaux ont appelé le « printemps arabe ».
Prisonniers à Gaza et spoliés en Cisjordanie et à El Qods
Les Palestiniens de la bande de Gaza – une prison à ciel ouvert de 40 km de long sur 6 à 12 km de
large – s’enfoncent chaque jour davantage dans la misère et la précarité. Plus d’un million d’entre eux, sur un total de 1,6 million d’habitants, vivent sous le seuil de pauvreté. Plus de 1,2
million ne survivent que grâce à l’aide alimentaire internationale. Le chômage y frappe quant à lui plus de la moitié de la population active. Les ressources en eau diminuent et se détériorent
d’année en année.
L’unique centrale électrique tourne au ralenti – les coupures durent de 16 à 18 h par jour – faute de carburant que l’Egypte n’a pas livré alors même que les Palestiniens ont payé d’avance ! Cela
confirme que le blocus de Gaza n’a pas été réellement levé du côté égyptien…
La colonisation (spoliation des terres et des maisons, élargissement des colonies existantes…) et la judaïsation continuent sans répit en Cisjordanie et à El Qods. La construction de centaines de
logements est lancée dans les colonies existantes (Shilo, Shvout Rachel…). Le sionisme poursuit l’entreprise de purification ethnique entamée avant même la création de l’Etat d’Israël et
amplifiée depuis par toute une série de méthodes : guerres, terreur, expropriations…
Une répression quotidienne
La spoliation sioniste de ce qui reste de la Palestine historique s’accompagne d’une répression
constante et de masse car les Palestiniens n’ont jamais cessé de résister.
Il y a aujourd’hui plus de 4 300 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. La plupart (plus de 3700) sont originaires de Cisjordanie. Le reste se répartit entre Gaza (462) et El Qods
(161). On compte 166 mineurs dont 25 n’ont même pas 16 ans.
Plus de 1 000 prisonniers ont été relâchés par Israël à la fin de l’année 2011 en échange de la libération par le Hamas du soldat israélien Gilad Shalit. Mais une partie de ces prisonniers font
partie des 380 palestiniens enlevés au mois de février dernier par l’armée d’occupation israélienne et dont on est souvent sans nouvelles.
Enlèvements, détention administrative comme celle de Hana Shalabi actuellement en grève de la faim, torture, tests d’ADN pratiqués de force… Les Israéliens violent massivement et constamment les
droits de l’Homme.
Mais Israël ne se contente pas de réprimer les résistants palestiniens. L’Etat sioniste livre une véritable guerre au légitime propriétaire de cette terre. Le 9 mars dernier, l’armée d’Ehud Barak
assassinait Zuhair El Qaisi, le secrétaire général des Comités de résistance populaire (CRP) ainsi que l’un de ses compagnons.
Afin de contrer la riposte des combattants palestiniens qui avaient tiré plusieurs dizaines de roquettes sur le Sud de son territoire – roquettes qui ne feront aucune victime – Israël bombardera
Gaza. On dénombrera 25 morts dont 18 combattants et 7 civils du côté palestiniens. Des bombardements similaires avaient déjà provoqué la mort de 14 personnes dont deux enfants en août
2011.
La duplicité des grandes puissances
Confrontés à un ennemi qui ne recule devant rien pour atteindre son objectif de colonisation de la
totalité, au moins, de la Palestine historique, les Palestiniens ne peuvent compter sur les grandes puissances occidentales.
Barak Obama qui n’a même pas réussi à arrêter, ne serait-ce que momentanément, la colonisation de la Cisjordanie, ose affirmer aujourd’hui à Mahmoud Abbas que la paix israélo-palestinienne
constitue sa priorité et ce, depuis son élection en 2008 ! Le président de l’Autorité palestinienne semble tellement convaincu par les propos du président des Etats-Unis qu’il a déclaré ces
derniers jours s’attendre, en se réveillant le matin, à trouver des colonies israéliennes en plein cœur de Ramallah…
Le soutien des grandes puissances à l’égard d’Israël est inconditionnel. La politique du deux poids deux mesures à l’honneur dans ce conflit s’est étendue depuis à toutes les autres crises. La «
communauté internationale », c’est-à-dire le G7, s’est mobilisé pour « sauver » le peuple libyen, se mobiliser pour « sauver » le peuple syrien, mais n’a jamais levé le petit doigt depuis 60 ans
pour protéger un tant soit peu le peuple palestinien martyrisé, spolié et chassé de ses terres. Pis, ces grandes puissances impérialistes n’ont eu de cesse d’armer et de soutenir l’Etat colonial,
raciste et expansionniste d’Israël dans son entreprise de purification ethnique.
Rien à attendre des « frères arabes »
Les Etats du monde arabe se divisent en deux groupes. Le premier est celui des alliés de Washington
qui, à l’instar de l’Arabie saoudite et du Qatar, arment une partie de l’opposition syrienne afin de faire tomber un régime qui n’est pas aux ordres de Washington, casser l’axe Téhéran-Beyrouth
et isoler davantage l’Iran, ultime verrou empêchant l’application totale du projet de Grand Moyen-Orient. Ces monarchies sont totalement intégrées à la stratégie américaine de mise au pas de
l’Iran. Riad vient de proclamer sa ferme intention d’accroître ses exportations de pétrole à destination de l’Europe afin de compenser l’arrêt des livraisons de pétrole iranien au Vieux
continent. Les autoproclamés Gardiens des lieux saints de l’islam participent ainsi ouvertement à la mise en œuvre du projet d’étranglement de l’Iran (sanctions et autres embargos…), prélude à
une agression menée par… Israël.
L’exacerbation des contradictions internationales contraint ainsi les monarchies du Golfe et leurs alliés dans la région (Jordanie…) à choisir ouvertement leur camp. Ils ne peuvent être du côté
des Palestiniens puisqu’ils sont les alliés, au moins objectifs, du bourreau israélien. L’Emir du Qatar a d’ailleurs établi des liens diplomatiques sous couvert de relations commerciales, avec
Tel-Aviv et s’est même rendu en Israël pour rencontrer les dirigeants sionistes. Il serait intéressant de voir comment les islamistes justifient cette politique…
Le second groupe d’Etats arabes sont issus de l’ancien Front de la fermeté. Les plus « fermes » d’entre eux sont directement ciblés aujourd’hui, à l’instar de la Syrie. Les autres, ont cessé
d’être fermes et tentent, à défaut de s’aligner totalement sur l’axe Washington-Riad-Doha, d’éviter de constituer les prochaines cibles de l’Empire. Ils ne seront donc pas d’un grand secours pour
le peuple palestinien.
Un peuple éclaté
La situation géographique du peuple palestinien, fruit de son histoire récente, est dramatique. Il
est compartimenté dans des ensembles séparés de manière étanche : une partie vit à l’intérieur du territoire de 1948 (Israël) avec la nationalité de l’occupant mais sous un régime d’apartheid qui
ne dit pas son nom ; une seconde partie vit sous occupation en Cisjordanie et à El Qods et subit quotidiennement un processus de spoliation ; une troisième partie survit sous blocus conjoint
israélo-égyptien à Gaza où elle fait l’objet d’agressions criminelles régulières de la part d’Israël ; une quatrième partie, importante, vit dans quatre pays limitrophes (Jordanie, Liban, Syrie
et Egypte) ; une cinquième partie enfin est disséminée dans le reste du monde arabe et sur les cinq continents.
Il n’est pas aisé, dans ces conditions, de réaliser l’unité politique du peuple palestinien. Chacune de ses parties du peuple palestinien se trouve confrontée à une réalité politique locale
différente. La plupart des Palestiniens vivant dans les pays de l’ancienne « ligne de front » sont empêchés d’agir directement contre Israël. D’intolérables pressions politiques sont exercées sur
leurs organisations par les différents régimes arabes qui cherchent à les instrumentaliser.
Les divisions politiques palestiniennes persistent
A cet éclatement objectif viennent s’ajouter des divisions d’ordre politique. L’accord de
réconciliation passé entre le Hamas et le Fatah tarde à entrer en application. La cause principale du blocage provient de divergences sur la question du gouvernement d’union nationale. Les
élections sont donc retardées et le statu quo, c’est-à-dire la division entre l’Autorité palestinienne de Ramallah d’un côté et le gouvernement Hamas de Gaza de l’autre, persiste.
La question de l’unification des mouvements n’a pas, elle aussi, avancé. Le Hamas et le Djihad ont rejoint la structure dirigeante provisoire de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)
mais ne l’ont pas intégrée formellement. La principale question en suspens a trait à la nature de la « nouvelle OLP ». Celle-ci exprimera-t-elle les positions du mouvement national palestinien,
toutes tendances confondues, ou celles de l’Autorité palestinienne. Il semble qu’aucun consensus ne se soit encore dégagé sur ces questions.
Sur le terrain, la réalité des divisions continuent et chaque organisation agit à sa guise. Les négociations avec Israël sont au point mort, mais cela n’empêche pas l’Autorité de poursuivre sa
coopération sécuritaire avec l’occupant… Des membres du Djihad sont ainsi détenus dans les prisons de l’Autorité.
Sur le plan de la résistance armée, le Hamas semble avoir opté pour une situation de ni guerre ni paix face à Israël alors que le Djihad islamique s’est récemment félicité d’avoir instauré un «
équilibre de la terreur » en lançant plusieurs dizaines de bombes sur Israël dans la première quinzaine du mois de mars.
Impasse politique totale
Mais le problème le plus grave auquel est confronté le peuple palestinien est l’absence de
stratégie. Comment résoudre la question nationale palestinienne ? Quel est l’objectif premier de son mouvement national ? La libération totale et immédiate de toute la Palestine au moyen de la
lutte armée (Djihad islamique) ? La création d’un Etat palestinien sur la Cisjordanie et Gaza (OLP et Hamas) aux côtés de l’Etat d’Israël ? Une telle perspective constitue-t-elle une étape sur le
chemin de la libération de toute la Palestine (Hamas, FPLP…) ou l’objectif final de ce combat (Autorité palestinienne et une partie du Fatah…) ? Cette perspective est-elle crédible alors
qu’Israël a pratiquement colonisé toute la Cisjordanie et El Qods ? Face à l’échec de la stratégie de deux Etats, faut-il revenir à celle d’un seul Etat qui fut l’objectif initial de l’OLP après
1967 ? S’agira-t-il alors de se battre pour transformer l’Etat d’Israël en Etat palestinien ? Comment gagner une partie significative de la société israélienne à ce combat, sachant que
l’idéologie sioniste est hégémonique au sein de la population de cet Etat colonial ? S’agira-t-il, au vu du rapport de forces, de se battre pour un Etat israélien démocratique et laïc (non
ethnique, non juif) et supprimer le régime d’apartheid ? Comment fusionner alors les combats et mouvements du peuple palestinien et des forces non sionistes de l’Etat d’Israël ?
Toutes ces questions sont loin d’avoir été toutes tranchées, ni même simplement posées par l’ensemble des forces du mouvement national palestinien. A cela s’ajoute l’interaction avec la situation
régionale explosive : renversement de Moubarak en Egypte, guerre civile en Syrie, menaces de guerre contre l’Iran, déstabilisation de la Libye…
La longue marche du peuple palestinien se poursuit donc dans des conditions particulièrement délicates et difficiles. Le réveil des peuples des Etats du monde arabe constitue un potentiel renfort
pour sa cause. Encore faut-il que ce réveil débouche sur l’instauration de régimes démocratiques, mais aussi progressistes et anti-impérialistes qui refusent le diktat des grandes puissances
extérieures à la région et de leur rejeton israélien.
Hocine Belalloufi, 20 mars 2012. Publié dans La Nation.info