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Publié par Saoudi Abdelaziz

La discussion sur les circonstances de l'assassinat et de la décapitationdes moines  de Tibhirine est relancée après la publications des conclusions de l'enquête menée par  la justice française.

Le 23 mai 2013 la chaîne publique française FR3 diffusait  un documentaire français, intitulé « Le martyre des sept moines de Tibhirine », réalisé par Malik Ait–Aoudia et Séverine Labat. La journaliste Martine Gozlan qui avait vu en primeur ce film l'a commenté favorablement dans un compte rendu publié dans l'hebdomadaire Marianne. Dès le lendemain la plupart des journaux algériens ont  largement commenté et approuvé comme un seul homme ce commentaire, avant d'avoir vu le documentaire qui conforte les thèses officielles algéro-françaises: "C'est bien le Gia qui a fait le coup".

Notre blog avait rendu compte de l'événement tout en signalant les réserves d'Armand Veilleux,  le procureur général de l'Ordre cistercien de la stricte observance (OCSO)- ordre auquel les moines appartenaient. Il écrit  : « N’en déplaise à Martine Gozlan de la revue Marianne, ce film ne met pas « un point final» à l’enquête sur Tibhirine. Il faudra pour cela trouver des témoins ayant au moins un minimum de crédibilité »

 

Le compte rendu mis en ligne le 23 mai 2013

Dans un article intitulé « Témoignages inédits sur les moines de Tibhirine » Walid Mebarek écrit dans El Watan : « Des terroristes repentis s’y expriment et donnent leur version détaillée des faits. Pourquoi les moines de Tibhirine ont-ils été exécutés ? A quel moment cette décision a-t-elle été prise et par qui ? Qui sont les bourreaux qui ont égorgé les religieux à bout de souffle et malades après leurs longues journées de captivité et d’errance dans le maquis ? Pourquoi le scénario échafaudé par le commando de Djamel Zitouni a-t-il échoué ? Les zones d’ombre autour de l’assassinat en mai 1996 des moines de Tibhirine seront-elles un jour éclaircies ? Le documentaire «Le martyre des moines de Tibhirine» cherche à lever quelques énigmes, apportant au dossier des éléments ». Dans ce documentaire, on assistera notamment au témoignage de Hassan Hattab : «Solennel, trônant dans un fauteuil d’un superbe salon», indique Martine Gozlan, journaliste de Marianne, il raconte les états d’âme qui l’opposaient à Djamel Zitouni, son rival parmi les chefferies du maquis intégriste : « Zitouni m’a appelé et m’a dit, je t’informe que j’ai tué les moines ce matin ; je lui ai répondu : dans ce cas, on ne va pas pouvoir continuer à travailler ensemble… Tu as peur de tes hommes plutôt que de Dieu.»

 L’Expressionreprend presque intégralement l’article de Martine Gozlan. On peut lire notamment : « Marianne rappelle alors que les terroristes du GIA ont pourtant revendiqué le crime dans le communiqué 44 de leur bulletin « Al Ansar », mais que « néanmoins, pour dédouaner l’islamisme de sa barbarie, certains ont imputé l’assassinat à une bavure de l’armée algérienne ou à une machination des services secrets ». « C’est dans les journaux, voire devant les tribunaux qu’on s’est affronté. Marianne aussi s’est retrouvé dans les prétoires pour rappeler les faits, les forfaits, la sauvagerie du GIA »,soutient l’hebdomadaire qui « ne doute pas » que, cette fois encore, « dix-sept ans après les meurtres, la polémique va faire rage » et que « cette fois plus que jamais, l’idéologie, celle qui décrète coupable par nature l’armée et le pouvoir algérien on voudra ferrailler contre la force et la vérité du témoignage ».

 Dans la Tribune-dz, Rabah Igueraffirme d’emblée : « Du nouveau dans l’affaire des moines de Tibhirine. Le documentaire de Malik Aït Aoudia qui sera diffusé le 23 mai prochain sur France 3 apporte un nouvel éclairage sur l’identité des assassins des sept moines. Il s’agit bel est bien du GIA”.

 Dans Liberté, Farid Abdeladim est aussi catégorique que son confrère : « Le feuilleton de l’affaire de l’assassinat, en 1996, des moines de Tibhirine, qui a fait couler beaucoup d’encre, semble enfin connaître son épilogue. Et la vérité qui a jailli tout récemment sur cette affaire a soulagé aussi bien les autorités algériennes que leurs homologues d’outre-mer. “La vérité finit toujours par triompher”, se félicite, en effet, le conseiller du président de la République, Kamel Rezzag Bara »

 Terminons par le chapeau de l'article dans El Moudjahid : « Il a fallu des années de patience, de rigueur, mais aussi de passion pour les réalisateurs Malik Aït Aoudia et Séverine Labat, pour retrouver les témoins directs dans cette affaire, qui a fait couler un fleuve d’encre, et apporter des preuves irréfutables sur l’implication des terroristes du GIA dans l’assassinat des moines Tibhirine ».

Pour les journaux cités dans cette revue de presse, la boucle est bouclée, dirait-on. On sait qui a tué, sur l'ordre de qui et dans quelles circonstances. Ce sont des témoins directs, des terroristes "repentis", des gros calibres, qui nous l'affirment.

 Armand Veilleux n’est pas convaincu et l’écrit : « N’en déplaise à Martine Gozlan de la revue Marianne, ce film ne met pas « un point final» à l’enquête sur Tibhirine. Il faudra pour cela trouver des témoins ayant au moins un minimum de crédibilité ». Lorsque, le 30 mai 1996, le gouvernement algérien annonce la découverte des dépouilles des moines, c’est le père Armand Veilleux, alors procureur général de l'Ordre cistercien de la stricte observance (OCSO)- ordre auquel les moines appartenaient -qui se rend en Algérie et demande à voir les corps. Celui qui deviendra Grand serviteur de l’Ordre s’associe le 9 décembre 2003 aux membres de la famille de Christophe Lebreton, un des moines assassinés, dans la plainte avec constitution de partie civile déposée à Paris. Comme les journalistes algérois qui en rendent compte, par oui-dire, Armand Veilleux n’a pas encore vu le documentaire. Pourtant il définit ainsi le documentaire : « Un nouveau pare-feu trahissant un sentiment de panique. Les quelques survivants parmi les généraux de l’époque ne peuvent quand même pas risquer une cour pénale internationale ! ». Le texte intégral de l'article féroce, exempt de charité chrétienne, d’un homme qui veut la vérité sur la mort de ses « frères », risque de rebuter les allergiques aux « qui tue qui ».

 Un nouveau documentaire sur Tibhirine
 Ce à quoi on peut s’attendre

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DR

 

 

Par Armand Veilleux, 11 mai 2013

Ce n’est pas la première chose que Malik Ait-Aoudia et Sévérine Labat font ensemble. Le 9 mai 2002, ils ont présenté, également sur France 3 un documentaire intitulé Vol AF 8969 Alger-Paris ; et en octobre 2005, sur France 5 Algérie 1988-2000, autopsie d’une tragédie ». Dans chacun de ces deux documentaires ils ont fait intervenir, entre autres, un certain Omar Chikhi, présenté par la presse algérienne comme l’ «ex-chef du très redouté maquis de Zbarbar ».

Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, s’interrogent avec raison, en 2004, dans Francealgérie. Crimes et mensonges d’états (p. 12) : « Comment expliquer qu’en 1996 un ancien fondateur du GIA reconnaissant avoir assassiné plusieurs journalistes ait pu bénéficier d’une loi de « clémence », et puisse se pavaner aujourd’hui dans plusieurs documentaires diffusés à la télévision française, où il confirme opportunément les thèses du pouvoir ». Voir aussi à ce sujet « Les révélations sur mesure d’un repenti islamiste algérien » de José Garçon dans Libération, 19-20 novembre 1994.

Mais qui est Malik Ait-Aoudia ? C’est un ancien chargé de communication du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), petit parti kabyle de Saïd Saadi, de tendance nettement « éradicatrice » et proche des généraux algériens. Depuis 2001, se rattachant au ralliement de Khalida Toumi (autrefois Khalida Messaoudi) et de son oncle Amara Benyounes, il est devenu un grand supporteur de Bouteflika et un des principaux agents de liaison entre le service de presse du DRS (Sécurité militaire) et les équipes de télévisions étrangères, notamment françaises, dont France 2, France 3 et France 5.

En 1998 il diffusa sur France 3 « Ce que j’ai vu en Algérie. Carnets de route d’André Glucksmann », un travail honteux de désinformation et de propagande. Un titre plus vrai aurait été : « Ce que les généraux algériens ont choisi de me faire voir en Algérie ». Il s’agit d’un documentaire sur la terrible tragédie des massacres de Sidi-Hammed survenue dans la nuit du 11 janvier 1998 (le lendemain de l’arrivée de Glucksmann à Alger). Selon de très nombreux témoignages, indépendants les uns des autres, il est presque certain que ces massacres ont été menés par des commandos des forces spéciales de l’armée avec l’appui d’hélicoptères de l’armée. Guidé par Khalida Messaoudi le philosophe de service Glucksmann est alors mené sur les lieux du massacre, privilège refusé à l’époque aux organisations de défense des droits de l’homme, et même à l’ONU. (Voir Francealgérie, pages 541-544).

Tous les documentaires de Malik Ait-Aoudia, ont la même caractéristique. Il s’agit toujours d’une analyse ultra éradicatrice des événements. Avec l’aide de témoins nouveaux et inconnus jusqu’alors, dont l’identité et la véracité sont invérifiables, il présente la victoire de l’armée, toute pure, qui a sauvé l’Algérie des démons islamistes.

Depuis 1993, mais surtout depuis 1996, je suis attentivement tout ce qui arrive en Algérie, et, bien sûr, d’une façon particulière, tout ce qui concerne nos frères de Tibhirine. Il est facile de noter que chaque fois que des informations embarrassantes pour le régime des Généraux sont données par d’anciens agents de la DRS (Sécurité militaire), celle-ci fait apparaître de nouveaux « témoins » du crime. Chaque fois que l’enquête menée par le juge Trévédic (après les années désastreuses de Bruguière) progresse quelque peu, la DRS fait connaître les nouvelles « révélations » d’un nouveau « repenti » qui va dans l’autre sens. Le truc est récurrent au point que c’en est comique. (Sans oublier que plusieurs de ces « repentis » sont des membres de la DRS qui avaient infiltré les groupes islamistes et à qui une loi d’amnistie faite sur mesure a permis de réintégrer la vie civile, avec, en général, une bonne activité économique).

Chaque fois, la journaliste de service Salima Tlemçani (Zineb Oubouchou de son vrai nom, et haut gradée dans la DRS) est utilisée pour un article dans El Watan. Dans les moments plus importants, Malik Ait-Aoudia semble réquisitionné pour un documentaire à paraître sur la télévision française. Le juge Marc Trévédic ayant été autorisé à aller en Algérie dans les prochains mois, il fallait cette fois un pare-feu d’importance. On y a mis le gros paquet – un documentaire de 75 minutes. Et, comme par hasard, cela passera sur France 3 le 23 mai, juste avant le départ de Trévidic pour Alger. Ait-Aoudia se plaint de n’avoir pas été reçu par Trévidic. Il aurait évidemment été illégal pour Trévidic de parler à un journaliste d’une enquête en cours à moins de le convoquer et de l’entendre comme témoin (ce qui pourrait devenir intéressant un jour).

Il y aurait beaucoup à dire sur les « témoins » révélés au fur et à mesure des besoins par la DRS, et sur leur crédibilité. Il y a, bien sûr, l’incontournable Ali Benhajar. En lisant tout ce qu’il a dit et écrit sur le sujet, en particulier sa déposition lors de la commission rogatoire du juge Bruguière en Algérie, on pourrait écrire tout un livre sur ses contradictions. Ce qu’il raconte depuis son « amnistie » est loin de correspondre à ce qu’il écrivait auparavant. Il dit avoir participé au massacre des Croates ? Est-ce bien sûr ? Il dit avoir été présent lors de la visite de Saya Attiya à Tibhirine, dans la nuit de Noël 1993. Est-ce vrai ? Cela reste à prouver. Il n’a cessé de dire, au cours des années, que Saya Attiya avait alors donné l’aman (protection) aux frères. Or, frère Christian l’a nié très clairement et très explicitement dans les conversations que j’ai eues avec lui sur le sujet.

Après l’assassinat de nos frères, le gouvernement algérien n’a fait aucune enquête. Sans doute à cause de la demande insistante d’une telle enquête par Mgr Tessier, les autorités algériennes ont décidé de faire quelque chose. Ils ont arrêté le portier du monastère, Mohamed, et après l’avoir laissé en prison plusieurs mois, ils lui ont fait un procès bidon au terme duquel il fut acquitté. Le but de ce procès semble avoir été de faire apparaître un « témoin », dont on n’avait jamais parlé jusqu’alors, un certain Larbi Ben Mouloud (de la famille d’Ali Benhadjar), qui aurait été enlevé (ainsi que deux autres membres de sa famille) avec les frères, et aurait ensuite réussi à s’enfuir. Il a donc pu, à ce procès, décrire en détail les divers endroits où les frères auraient été conduits. Sa mémoire, qui semble beaucoup trop précise pour être vraie, le trahit cependant parfois. Ainsi, dans le contexte de la commission rogatoire du général Bruguière, dans une déposition il dit que les frères ont été emportés dans une voiture de marque Daewoo ; et dans une autre déposition, il affirme n’avoir pu identifier la voiture à cause de l’obscurité. Rien ne prouve qu’il y a quoi que ce soit de vrai dans son histoire.

La revue Marianne qui fait déjà de la pub pour ce documentaire nous fait connaître quelques-uns des témoins qui sont censés apporter toute la vérité sur l’affaire. Il y a un certain Abou Imen, jusqu’ici inconnu au dossier, qui aurait été le dernier geôlier des moines et qui s’offre pour décrire leur décapitation. Mais il y a surtout Hassan Hattab, et son implication dans ce documentaire ne peut que jeter du discrédit sur celui-ci. Dans divers articles fort bien documentés, au fil des années, Algeria Watch nous a fait connaître toutes les zones d’ombre qui entourent ce mystérieux personnage. Il aurait longtemps été l’émir de la zone 2 des GIA (Kabylie et partie Est de la capitale), à l’époque où le GIA était éclaté et que plusieurs de ses « zones » étaient infiltrées par la DRS. Il aurait pris ses distances par rapport au GIA en septembre 1998 pour créer le GPSC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) qui se transformera plus tard en AQMI (supposément affiliée à Ben Laden). Il participa à tous les grands massacres qui ont endeuillé l’Algérie et particulièrement la région d’Alger entre 1996 et 2000. Selon un commentateur algérien, il aurait autant de meurtres sur la conscience que de poils dans la barbe. Entre 2000 et 2007 les sources autorisées font plusieurs fois état de sa mort, de sa capture et de sa reddition. Il a été plusieurs fois jugé et condamné par contumace (même s’il était censé être alors aux mains de la justice) durant cette période, dont trois fois à la peine capitale. Certains des crimes dont il était accusé par la justice algérienne, en particulier le « dépôt d’explosifs dans des édifices publics » sont des crimes pour lesquels la loi d’amnistie ne peut s’appliquer selon la lettre même de la loi. Or ce criminel sanguinaire, considéré amnistié, et appelé un jour « Monsieur Hattab » par le président Bouteflika, se pavane maintenant en public et peut venir réciter devant la caméra de Malik Ait-Aoudia la version officielle des faits concernant les moines de Tibhirine.

N’en déplaise à Martine Gozlan de la revue Marianne, ce film ne met pas « un point final » à l’enquête sur Tibhirine. Il faudra pour cela trouver des témoins ayant au moins un minimum de crédibilité.

Somme toute, ce nouveau documentaire en sera sans doute un de trop, n’ayant aucune autre utilité que d’entretenir la confusion et rendre un peu plus difficile la reconnaissance de la vérité. En effet, si ce documentaire est du même genre que ceux faits dans le passé par le même Ait-Aoudia, on peut s’attendre à une nouvelle présentation de la thèse officielle des généraux algériens. Un nouveau pare-feu trahissant un sentiment de panique. Les quelques survivants parmi les généraux de l’époque ne peuvent quand même pas risquer une cour pénale internationale !

 Armand Veilleux, 11 mai 2013

 Lien : algeriawatch.org

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