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Publié par Saoudi Abdelaziz

 

 

Sadek Hadjerès

 

 

Le bidonville de la cité Mahieddine, il y a 63 ans.  « Mon premier article dans la presse communiste »: Sadek Hadjerès publie sur son site cette trouvaille exhumée du passé par l’historien anglais Jim House. C’est une série de trois articles consacrés La cité Mahieddinne, qui était alors un énorme bidonville surplombant Belcourt. Ils ont été publiés par Liberté, le journal du PCA, auquel Sadek Hadjerès venait d’adhérer, après avoir quitté le PPA-MTLD en 1949. « Après la crise dite faussement "berbériste" » précise-t-il. Utlisant le pseudonyme de Rabah Serradj, Sadek Hadjerès avait alors 22 ans.

A l’historien anglais Jim House, qui a retrouvé ces articles de Liberté dont je lui avais signalé l’existence

Jim House. Photo : Algeriepatriotique

DR

 

 

Je vous remercie, vous m’avez fait retrouver avec émotion mes premiers pas vers le parti communiste.

J’avais choisi comme thème de l’article la Cité Mahieddine, bidonville monstrueux qui m’impressionnait par son immensité quand je me rendais à la piscine des Groupes Laïques, aujourdhui toujours présente alors que le bidonville a été rasé, dans le quartier où se dressent après l’indépendance le grand Complexe sportif et la Salle Harcha.

J’avais signé la série des trois articles "Rabah Serradj" (c’était adjress renversé). Le pseudo a continué à être utilisé par moi puis par d’autres ;

L’année universitaire venait de s’achever (j’étais en troisième année de médecine), j’allais bientôt terminer mon mandat de président de l’AEMAN depuis octobre 49, le mois suivant j’allais diriger la délégation de la jeunesse étudiante qui se rendait au Congrès de l’UIE à Prague et six mois après, j’ai adhéré officiellement au PCA.

Durant l’été, j’ai offert à la rédaction de “Liberté” de faire un reportage sur le terrain social, un domaine qui me passionnait et qui a été à la base des positions que j’avais défendu sans résultat jusqu’à l’année précédente au sein du PPA-MTLD que j’ai quitté en 1949 après la crise dite faussement "berbériste".

L’aspect identitaire de cette crise, hypertrophié par la direction nationaliste petite bourgeoise de la rue Marengo, n’était qu’un élément du malaise qui traversait le mouvement national, alors que l’aspect social était sous jacent, ce qui a entraîné à la même époque un mouvement de passages de syndicalistes du MTLD vers le PCA, notamment chez les traminos (dont Belaid Khelifa)

Rachid Dalibey représentait ces dokers qui avaient bataillé pour l’élire élu au Conseil Général de l’Algérois.

 

 

 

 

BIDONVILLES : CITÉS DE LA FAIM

 


Par Rabah Serradj, juillet 1950

 

 

De l’ancien château du Bey Mahiedinne

Les cris des hommes torturés parvenaient aux habitants des cavernes

 

 

 

Sur les flancs d’une hauteur d’Alger, au-dessus de Belcourt, s’étale une des plaies hideuses du colonialisme dans notre pays, le bidonville Mahieddine, qu’on a pompeusement appelé « Cité » et qui est en réalité un enfer dans lequel vivent plusieurs milliers d’êtres humains.

S’il subsiste encore quelques incrédules, on devrait leur conseiller volontiers la visite de ce « chef-d’œuvre » de la colonisation pour leur faire perdre leurs dernières illusions sur la « mission civilisatrice du colonialisme » et autres légendes du même goût.

Prenons donc, au-dessus de la rue de Lyon, le chemin Fontaine-Bleue. Sur notre gauche en montant, des immeubles datant de quelques années seulement avec des pots de fleurs sur les balcons et de jolis rideaux. Sur notre droite un talus assez haut et qui cache la vue. Rien de plus naturel semble-t-il, mais quelle stupeur lorsqu’en montant un peu plus nous frappe brusquement le spectacle désolant d’un nombre immense de bicoques étagées sur une terre brulée de soleil.

Un serrement de cœur nous prend lorsque, quittant le chemin de Fontaine-Bleue, nous nous engageons sur la route blanche poussiéreuse qui pénètre au cœur de la cité. Au-dessous de nous, sur un petit plateau qui surplombe le chemin Fontaine-Bleue, c’est le désordre d’un marché avec ses étalages pêle-mêle et plus loin, de l’autre côté comme pour souligner le contraste, la belle piscine des Groupes Laïques, aux lignes régulières.

Au-dessus de nous c’est l’étagement invraisemblable des baraques. C’est l’aspect brutal de tous « les villages nègres », avec ici une particulière densité, qui n’empêche cependant pas d’apercevoir parfois, comme une vision d’un autre monde, au loin, un petit coin de mer bleue avec les voiles blanches de bateaux de plaisance.

 

Vous croyez avoir tout vu, mais en montant encore vous apercevez un peu à l’écart, sur une colline, deux ou trois petites agglomérations d’environ 50 guitounes, également serrées les une contre les autres, bien entourées de fils barbelés et qui ont l’air de camps de concentration dans lesquels on a parqué les nouveaux arrivants pour les empêcher d’étendre leur « domaine », un domaine qu’ils partagent d’ailleurs avec quelques volailles ne payant pas de mine.

 

Un peu plus bas cependant, au milieu des arbres, se trouve le château du R.P.F. Faivre, maire de Birmandreïs, ami de Pierre de Gaulle, et mari de l’arrière-petite-fille de Germain-Brantôme. Il occupe là 25 pièces et trouve que c’est peu.

 

C’est dans les dépendances de ces habitations, appartenant anciennement aux beys Mahieddine, féodaux bien connus dans la région de l’Arba, qu’ont été amenés et parqués pendant 45 jours plusieurs dizaines de militants progressistes arrêtés à l’occasion du complot colonialiste ; c’est là qu’ils furent l’objet des pires sévices. Et les habitants de la cité habitant le voisinage ont pu entendre les cris de ceux qu’on maltraitait dans les grands couloirs de cette succursale de la trop fameuse villa des Oiseaux.

 

En montant encore plus haut, on parvient au boulevard Bru, qui surplombe toute la cité. On peut le longer puis redescendre le long du chemin Kablé ; on a alors fait le tour de cette agglomération où sont entassés plus de dix mille habitants.

 

Mais c’est dans le détail qu’on peut apprécier davantage la hideur des conditions dans lesquelles sont obligés de vivre ces « rescapés de la misère » de tous les coins d’Algérie.

 

La nécessité d’économiser la place a conduit à transformer de véritables cavernes en lieux d’habitation : on nous disait pourtant que l’homme des cavernes vivait il y a plusieurs milliers d’années.

On se demande parfois si les cabanes en planches sont véritablement faites pour des hommes, tant elles ressemblent à des niches avec leurs dimensions réduites, et pourtant, on nous assure qu’il vit là jusqu’à plus de 10 personnes, cependant que les guitounes, où il faut se courber pour entrer, abritent jusqu’à 2 ou 3 familles.

L’exiguïté des dimensions ne le cède qu’à la diversité et à l’invraisemblance des matériaux utilisés à la construction de ces baraques : les constructions en pierre ou en terre battue sont tout à fait exceptionnelles ; par contre, beaucoup de planches, des volets de fenêtre, des sommiers de lits, des tôles, des morceaux de barrière, des bidons, des cageots , des corbeilles, des blocs fixant les tôles qui servent de toit, tout cela tient en un équilibre plus ou moins stable et forme les « maisons » de cette « cité », auxquelles on accède souvent par une gymnastique périlleuse grâce à des escaliers creusés à même la terre.

 

On frémit en pensant à ce que deviennent l’hiver les gens qui logent dans ces habitations, dont l’intérieur, sans air et sans lumière, est réduit à sa plus simple expression, avec un plancher qui ne diffère en rien du sol du dehors.
Dans les ruelles tortueuses, des rigoles, car il n’y a pas d’égouts.
Partout les mouches et la poussière, au milieu desquels jouent des nuées d’enfants.
Quelques fontaines, installées par la municipalité Tubert, sont les bienvenues dans cette cité.

Mais les ordures croupissent en tas, faute d’être enlevées, et ce n’est pourtant pas la faute des habitants, car on remarque que le devant des baraques et des magasins est soigneusement balayé.

 

Tout montre l’âpreté de la lutte pour la vie : ces gens pauvrement habillés mais dont on sent dans leur tenue qu’ils s’efforcent de l’être le mieux possible, ces étalages misérables où l’on vend les choses les plus élémentaires, tout juste de quoi vous garder en vie : quelques pains, des planchettes pour faire du feu, des légumes, du petit lait dans des outres portées par un âne. A côté des vieux habits, de vieux meubles, de vieux souliers.

 

Un épicier nous montre un cahier rempli de la liste des achats faits à crédit pas ses clients : ils sont modestes, mais le cahier est plein.

 

Nous avons vu de près la misère de ces gens ; mais ces hommes n’admettent pas passivement la situation qui leur est faite par un régime cruel qui les a chassés des terres qu’ils possédaient. Tout en eux respire le désir d’arracher un meilleur avenir ; en discutant avec eux, le soir, au cours de ces veillées de Ramadhan, nous n’avons pas cessé d’admirer leur énergie et leur dignité, leur solide bon sens, leur grande affabilité. Ils nous ont mieux aidé à pénétrer l’âme de notre peuple et à comprendre qu’avec de telles qualités, il est invincible, pour peu qu’on l’aide à trouver la voie de l’avenir.(…)

 

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