Lorsque Wikileaks soulevait les dessous du business en Algérie
Les révélations italiennes risqueraient de nous égarer dans une approche anectodique de la corruption en Algérie. Je remets en lignes deux articles que j’avais consacrés, il y plus de deux ans, aux révélations de Wikileaks sur les dessous du fonctionnement du business en Algérie. Ils jettent une petite lumière sur la façon dont l'Etat algérien est dépossédé de manière structurelle de sa capacité autonome de jugement et de décision.
Mardi 6 septembre 2011
La publication des câbles de Wikileaks intervient dans un contexte national marqué par une intensification des luttes entre les différents clans du système pour le contrôle du pouvoir.
« Les secrets d'Etat les plus protégés ne figurent pas dans les documents dont nous avons eu connaissance », affirmait en novembre dernier Sylvie Kauffman, directrice de la rédaction du journal Le Monde, chargée du tri et de la mise en forme des documents fournis par Wikileaks.
Aujourd’hui, ces câbles semblent être un vide-grenier, une sorte de marché aux puces où chacun peut trouver la pièce qui étaye ses propres hypothèses.
Ainsi ce câble sur l’entrevue en date du 31 janvier 2007 entre un expert financier et l’ambassadeur Robert S. Ford :
«Mohamed Ghernaout nous a dit que la liquidation de Khalifa relève d’un deal entre les dirigeants algériens et le renseignement français, justement pour laisser le champ libre aux banques françaises en Algérie. Il nous a dit aussi que Khalifa est devenu trop grand en un tout petit laps de temps. Les Français, qui voulaient avoir leur part du gâteau, ont misé sur l’imprudence du playboy Abdelmoumen pour appuyer leur thèse et faire tomber la banque». Et, semble-t-il, l’analyse de Ghernaout a marqué l’Américain : «sa prophétie est devenue réalité. En ces dernières années, les banques françaises, Société Générale et BNP Paribas qui ont ouvert plus de 50 succursales en Algérie ont affiché leurs intentions à reprendre le Crédit populaire algérien (CPA), listé parmi les sociétés privatisables». (Le Soir d’Algérie, 6/9/2011).
Jeudi 8 septembre 2011
Wikileaks, Orascom, Carlyle et Ben Laden
El Watan Titre ainsi un article consacré à un câbles Wikileaks : « Le gouvernement américain n’est pas indifférent aux déboires d’Orascom Telecom (OTA) en Algérie ». On y apprend qu’en février 2008, David D. Pearce, l’ambassadeur américain à Alger avait exprimé au ministre algérien Temmar, « les inquiétudes des investisseurs américains au sujet du litige qui existe entre OTA et l’administration fiscale ».
L’auteur de la note estime que l’Algérie a eu «une réaction économique nationaliste» à la réussite d’OTA et aux transferts de centaines de millions de dollars de dividendes.
El Watan, qui brode sur cette information mais ne semble pas vouloir savoir qui sont ces fameux « investisseurs américains » qui ont poussé l’ambassadeur à s’immiscer dans un litige fiscal local.
Dans son essai « La Martingale algérienne », dont El Watan avait rendu compte, on trouve une phrase qui nous met la puce à l’oreille. Hadj Nacer écrit : « La nature a horreur du vide. La disparition, depuis 1992, de toute tentative d'élaboration d'un processus d'arbitrage, a conduit à la délocalisation de la décision stratégique à l'extérieur du pays. Pendant que Carlyle décide qu'Orascom sera le détenteur de la licence de téléphonie mobile, l'arbitrage se résume au partage du reliquat de la rente ». (La Martingale algérienne, p50)
Mais qui est ce puissant Carlyle qui a le pouvoir de choisir nos partenaires ? On sait qu’il a été le principal initiateur de la création, en 2006, du Fonds souverain libyen, doté d’une centaine de milliards de pétrodollars injecté par Kadhafi dans les opérations boursières (et gelé sur décision de l’Otan en avril dernier). On dit que Carlyle orchestrerait en sous main, depuis 2007, la campagne médiatique pour la création d’un fonds similaire dans notre pays.
Poussons plus avant. Qui est derrière ce Carlyle dont le nom évoque le fameux penseur conservateur écossais.
On peut lire sur le net, dans l’encyclopédie Wikipédia : « Le Groupe Carlyle est dirigé depuis janvier 2003 par Louis Gerstner, ancien patron d'IBM. Parmi ses dirigeants, de nombreuses personnalités se sont succédé, telles que George H. W. Bush ou encore Olivier Sarkozy ». Il s’agit de Bush père, le président de la première guerre du Golfe ; l’autre est le frère ainé du président français.
Ce fonds d’investissement américain, crée en 1987, avait été pris en main en janvier 1989 par Franck Carlucci, ancien directeur adjoint de la CIA, conseiller à la sécurité nationale puis secrétaire à la Défense de Ronald Reagan. Sous la présidence de Carlucci, le groupe réalise sa première grande affaire, en 1997, lorsqu’il acquiert la société américaine United Defense, gros fournisseur de l'armée américaine en véhicules de combat et en artillerie.
Wikipédia nous régale d’une anecdote qui a les allures d’un fait historique : « Le 11 septembre 2001, le jour de l'attaque terroriste contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, Carlyle réunit dans cette même ville plusieurs centaines d'investisseurs liés au groupe. Parmi les invités figurent entre autres George H. W. Bush, 41è président des États-Unis et père du président George W. Bush, et Shafiq Ben Laden, un demi-frère d'Oussama Ben Laden, l'homme à la tête d'Al-Qaida, la structure accusée de l'agression. Shafiq Ben Laden faisait partie des 13 membres de la famille Ben Laden qui ont quitté les États-Unis à bord d'un Boeing 727 immatriculé aux États-Unis N521DB, le 19 septembre 2001. La proximité des noms Bush et Ben Laden en ce jour précis frappe les consciences et révèle Carlyle au grand public ».