Lewis-McChord, une base US maudite
Le GI qui a massacré seize civils afghan venait de Lewis-MacChord. D’autres avant lui, aussi.
Un soir de juin 2011, à la tombée de la nuit, le soldat Jared August Hagemann se trouvait sur un terrain d'entraînement de la base de Lewis-McChord, dans l'État de Washington. Après huit tours d'opération en Irak et en Afghanistan, cet Army Ranger de 25 ans avait pris l'habitude de porter son revolver d'ordonnance à la ceinture, en toute circonstance. À bout de nerfs, et sans que quiconque puisse réagir, il dégaina son arme et la porta contre sa tempe droite, avant de presser sur la détente.
Jared Hagemann souffrait de stress post-traumatique (ou Post Traumatic Syndrom Disorder, PTSD), un mal plus vicieux que tous les snipers talibans qu'il ait eu à affronter. Comme lui, onze autres soldats de cette base, située à 70 km au sud de Seattle, ont mis fin à leurs jours l'an passé, établissant un nouveau record au sein de l'armée américaine. Avec ses 37.000 ha de forêts, polygones de tir et bâtiments en brique rouge, ses 43.000 militaires et 14.000 civils, Lewis-McChord est un des plus grands complexes militaires des États-Unis. Et depuis le début des opérations en Irak et en Afghanistan, elle souffre d'une réputation déplorable. En décembre 2010, la revue militaire Stars and Stripeslui a même décerné le qualificatif peu glorieux de «base la plus perturbée» du pays. La même année, cinq de ses soldats avaient été condamnés pour le meurtre prémédité de trois civils en Afghanistan. Dimanche dernier, un autre soldat de «Lewis», un sergent de 38 ans de la 3e brigade, 2e division d'infanterie, cantonné dans la province afghane de Kandahar, s'est livré au massacre en règle de seize civils afghans. Il en était à son quatrième déploiement outre-mer, trois en Irak et un en Afghanistan, après onze ans de service.
Sales histoires
«Je ne suis pas surpris que ce soldat vienne de Lewis-McChord, explique Jorge Gonzales, directeur de Coffee Strong, une association d'entraide aux vétérans. Il y a des tas de sales histoires. On se voile les yeux devant les vrais dégâts occasionnés par la guerre: on voit des types se suicider, commettre des meurtres ou sombrer dans la violence conjugale.»
En février, le quotidien Seattle Timesrévélait que des médecins du Madigan Army Medical Center de Lewis-McChord avaient été mis à pied pour avoir altéré les dossiers de 300 vétérans souffrant de PTSD. Ils avaient, semble-t-il, été sommés par leur hiérarchie de réduire les coûts liés aux pensions de ces anciens combattants. «Il y a un problème de commandement à Lewis-McChord, renchérit Jorge Gonzales. Trop de soldats ne sont tout simplement pas écoutés à leur retour de mission.»
Ils ne sont pas les seuls. En 2010, le père d'un des cinq soldats meurtriers avait appelé la base après avoir eu vent du premier crime. Il tenait à prévenir la hiérarchie que d'autres meurtres étaient en préparation. Le sergent de permanence décida de ne pas transmettre le message, estimant ne pouvoir déclencher une enquête en zone de guerre. Quelques mois plus tard, deux autres civils afghans étaient morts.
Maurin Picard, 13 mars 2012. Le Figaro.com