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Publié par Saoudi Abdelaziz

 

C'est un des nombreux paradoxes dont regorge l’Iran. Si, officiellement, l'alcool n'a plus droit d'entrée dans le pays depuis l'avènement de la République islamique en 1979, il est en réalité très facile pour les Iraniens de s'en procurer.

 

Selon le quotidien iranien Shargh, cité par Radio Free Europe, il ne leur faut que 17 minutes pour trouver de quoi se désaltérer. Ainsi, chaque année, ce sont entre 60 à 80 millions de litres qui entrent illégalement dans le pays, pour un montant total avoisinant les 580 millions d'euros.

 

Outre la présence des plus grandes marques de whisky et de vodka, vendues au prix fort, l'interdiction de la production et du commerce d'alcool a provoqué en Iran un phénomène pour le moins étonnant. "Les Iraniens sont devenus les spécialistes de la fabrication de vin et d'alcool à domicile", explique au Point.fr l'écrivaine et sociologue Chahla Chafiq*. Il est ainsi tout à fait courant d'apercevoir des grands-mères fouler au pied des raisins en pleine baignoire, pour un résultat plutôt amer.

Alcool à 90 °

 

Autre spécialité maison, l'arak, sorte de liqueur made in Iran contenant 45 % d'éthanol pur. Mais le dernier "péché" en vogue se trouve dans toutes les bonnes pharmacies. Après avoir acheté une bouteille d'alcool à désinfecter (à 90 °, NDLR), de nombreux jeunes distillent le produit avec de la vanille. Or, le breuvage se révèle parfois mortel. Des dizaines d'Iraniens en font la cruelle expérience chaque année. Comment expliquer ce troublant paradoxe au pays des mollahs ? "Le vin n'est pas interdit dans la culture perse", souligne Chahla Chafiq. En effet, les poèmes légendaires d'Omar Khayyam et de Rumi portent de nombreuses références aux plaisirs du vin. "L'usage de l'alcool a même été conseillé dans l'histoire pour guérir de nombreux maux", renchérit la sociologue. La consommation d'alcool s'est poursuivie à l'époque du Shah, dans les bars et les cabarets.

 

Il fallait donc, pour les autorités islamiques, trouver un remède à ce fléau. D'après le Code pénal iranien, basé sur la charia, prendre un verre en Iran est aujourd'hui passible de 80 coups de fouet. "La loi étant considérée comme sacrée, les autorités ont instauré une confusion entre délit et péché." Mais cette ambiguïté s'est vite révélée contre-productive. Goût de l'interdit, mais surtout désespoir chez une population dont les trois quarts ont moins de 30 ans, la consommation d'alcool a récemment explosé en République islamique.

Un conducteur ivre sur cinq

 

D'après la police, le taux d'alcool confisqué a augmenté de 69 % à la fin mars. Du 20 avril au 20 mai dernier, les tests d'alcoolémie pratiqués à Téhéran ont révélé que 26 % des conducteurs étaient saouls, rapporte la BBC. "Ce chiffre traduit la dépression généralisée qui sévit au sein de la société iranienne", note Chahla Chafiq. "Le champ des loisirs autorisés étant extrêmement réduit, on assiste à une dérive vers une consommation démesurée d'alcool." Selon le ministère iranien de la Santé, la hausse, spectaculaire, toucherait avant tout les quartiers sud - beaucoup plus déshérités et traditionnels - de Téhéran.

 

Une nouvelle qui n'a rien d'étonnant, estime la sociologue. "Voyant leurs convictions piétinées par ceux qui les gouvernent, ces populations s'éloignent du religieux et réclament aussi leur part du plaisir. Le respect du ramadan ne les empêche pas de boire et d'avoir des relations avant le mariage." Récemment, le chef de la police, le général Esmaïl Ahmadi Moghadam, a affirmé que le pays comptait quelque "200 000 alcooliques", et que 80 % de l'alcool de contrebande entrait en Iran depuis le Kurdistan irakien. Pourtant, seul un quart des bouteilles sont interceptées par les autorités.

 

"Avec la montée de la corruption au sein du pouvoir, les agents de l'ordre sont eux-mêmes devenus marchands", affirme Chahla Chafiq. "Ils assurent le bon fonctionnement d'un marché noir lucratif." En parallèle, les autorités semblent avoir pris des mesures chocs. Deux buveurs viennent ainsi d'être condamnés à mort dans le nord-est du pays. D'après Hassan Shariati, chef de la justice de la province Khorassan Razavi, les deux individus, qui avaient reçu 160 coups de fouet, ont consommé de l'alcool pour la troisième fois. Les deux hommes peuvent néanmoins échapper à la peine capitale, s'ils se repentent.



Armin Arefi, 29 juin 2012. Le Point.fr

 

(*) Chahla Chafiq, auteur de Islam politique, sexe et genre. À la lumière de l'expérience iranienne (PUF, 2011)

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