Le rôle des mouvements sociaux en Amérique latine
La montée en puissance des années 1990 aux nouvelles contradictions des années 2010
Par Christophe Ventura, 1er août 2012
Pour expliquer
l’émergence et l’affirmation des gouvernements progressistes [1] en Amérique latine depuis la première élection de Hugo Chávez à la
présidence du Venezuela en 1998, il faut prendre la mesure du rôle joué par les mouvements sociaux dans cette région au cours des vingt dernières années.
Ces mouvements ont des histoires, des bases sociales et revendicatives et des ancrages dans les territoires ruraux ou urbains très différents. Ils sont néanmoins capables de se mobiliser collectivement autour d’objectifs communs, notamment lorsqu’un projet politique gouvernemental, supranational ou économique (stratégie d’une multinationale par exemple) menace les secteurs qu’ils représentent.
Il est possible d’identifier quelques familles structurantes au sein de cette nébuleuse d’organisations locales, régionales ou nationales dont l’histoire commune s’est forgée dans les résistances aux oligarchies et aux politiques néolibérales depuis une trentaine d’années : les mouvements indigènes ( très actifs en particulier dans les pays andins) ; les mouvements et syndicats paysans (présents sur l’ensemble du sous-continent et dont le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil (MST) est le plus emblématique et le plus puissant) ; les mouvements de femmes ; les syndicats ouvriers et de la fonction publique ; les mouvements de jeunes et d’étudiants ; les associations environnementales.
Ces mouvements ont contribué de plusieurs manières à la vague de victoires qui a conduit l’Amérique latine à devenir la seule région du monde gouvernée majoritairement au centre gauche et à gauche depuis plus de dix ans. D’un côté par leurs puissantes mobilisations - parfois quasi insurrectionnelles comme en Argentine, en Bolivie ou en Equateur au début des années 2000 - contre les régimes politiques, les partis et les oligarchies économiques. D’un autre côté, par la formulation de revendications et de propositions pouvant inspirer ou définir les programmes des candidats progressistes. Et ce, en particulier dans le domaine de la refonte des règles de la vie démocratique. Enfin en leur fournissant des bases sociales organisées lors des campagnes électorales.
Dans certains cas, les mouvements sociaux ont impulsé la formation de partis ou y ont largement contribué : en Bolivie avec le Movimiento al socialismo (MAS), en Equateur où la création de la coalition Alianza PAIS a bénéficié d’un fort appui de mouvements indigènes engagés contre les gouvernements antérieurs, au Brésil où ils ont participé à la fondation du Parti des travailleurs (PT).
Une dynamique progressiste
Tous les gouvernements progressistes latino-américains convergent aujourd’hui autour d’objectifs politiques et géopolitiques communs qui intègrent plusieurs préoccupations centrales des mouvements sociaux [2] : rejet du néolibéralisme ; refondation de la souveraineté populaire et nationale à travers des processus d’élections d’assemblées constituantes et/ou le développement de formes de démocratie participative ou d’implication populaire (des « révolutions citoyennes » dans la terminologie équatorienne) ; reconnaissance, dans ce cadre, des droits des peuples indigènes ; récupération des ressources naturelles et énergétiques (avec parfois des processus de nationalisations) ; mise en place de programmes sociaux d’envergure dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la lutte contre la pauvreté ; émancipation des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, etc.) et des Etats-Unis ; développement de nouvelles formes d’intégration régionale inédites (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique-traité de commerce des peuples -ALBA-TCP-, Union des nations sud-américaines -UNASUR-, Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes - CELAC -).
Il convient de signaler que ces objectifs ne s’accompagnent pas d’une remise en cause de l’économie de marché et s’inscrivent dans le cadre de l’intégration de la région sud-américaine dans l’économie capitaliste mondialisée.
Les récentes victoires de Ollanta Humala à l’élection présidentielle du Pérou (juin), de Cristina Fernández en Argentine le 23 octobre ou même de Daniel Ortega le 6 novembre (dont l’action fait néanmoins l’objet de débats au sein des mouvements sociaux) confirment la continuité de cette dynamique politique.
En 2012, c’est le Venezuela qui sera concerné par un scrutin présidentiel (7 octobre 2012). L’enjeu sera crucial pour l’avenir de la gauche latino-américaine alors que Hugo Chávez est confronté aux suites d’un cancer.(...)
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