Le Liban résiste aux dictats occidentaux
Le Liban semble à l’abri de la tourmente du proche Orient. Pourtant le pays des cèdres est dans l’œil du cyclone, comme l’explique Hocine Bellaloufi dans sa dernière analyse parue dans l’hebdomadaire La Nation.info. EXTRAITS
(…) Le Liban est par ailleurs dirigé par un gouvernement qui résiste au diktat politique des puissances occidentales (Etats-Unis et France) et à l’arrogance d’Israël. L’occasion de le déstabiliser semble donc se présenter avec l’éclatement de la crise syrienne. Si le gouvernement baasiste de Damas chute, le «gouvernement du Hezbollah» ne pourra que l’accompagner dans sa tombe pensent certains stratèges obsédés par «l’axe militaire Téhéran-Damas-Beyrouth». Ils vont donc s’efforcer d’étouffer le régime syrien à partir du Liban et de renverser le gouvernement de Najib Mikati accusé de n’être qu’un cache-sexe du Hezbollah
La Russie et la Chine ayant empêché les grandes puissances occidentales de rééditer en Syrie leur expédition militaire libyenne, sous couvert de l’ONU, les Etats-Unis, la France et leurs relais régionaux et locaux tentent de forger une puissante armée d’opposition afin de lui permettre de l’emporter.
Exploitant les profondes attaches sociales reliant les populations de part et d’autres de la frontière syro-libanaise (familiales, confessionnelles,
professionnelles, commerciales…), de la porosité de cette frontière et de la présence de réfugiés syriens ayant fui la répression du régime alaouite, les stratèges chercheraient à transformer la
région du Akkar (Nord) en base militaire libérée par l’Armée syrienne libre (ASL). Cette région deviendrait une nouvelle Cyrénaïque à partir de laquelle les rebelles pourraient reconquérir le
reste du pays et Damas.
Une telle tactique requiert d’utiliser le Liban-Nord comme base-arrière. On comprend mieux pourquoi l’opposition libanaise dirigée par Saad Hariri à organisé
dernièrement une grande manifestation à Tripoli (capitale du Nord) pour fustiger le régime de Damas et les armes du Hezbollah. Mais la population de la ville ne s’est pas mobilisée massivement
car elle refuse de s’ingérer dans la crise syrienne. C’est pourquoi le Courant du Futur et ses alliés islamistes – une partie de la Jamaa islamiya elle-même divisée sur la question – ont ramené
des manifestants par cars de la région frontalière…
L’hebdomadaire français Le Canard Enchainé a révélé récemment que des agents du renseignement français – des espions – avaient été envoyés en Turquie et au Nord-Liban pour aider à la constitution des premiers contingents de l’ASL.
Le
gouvernement de Najib Mikati constitue l’un des principaux obstacles au projet d’utilisation de Liban-Nord comme base-arrière pour renverser le régime syrien. Si l’armée libanaise ne peut
étanchéifier totalement la frontière, elle peut néanmoins limiter les gros trafics d’armes. Afin d’arriver à leurs fins, les opposants et leurs protecteurs occidentaux cherchent donc à renverser
le gouvernement du Hezbollah et de ses alliés du Courant patriotique libre de Michel Aoun, du mouvement Amal de Nabih Berri et du Parti socialiste progressiste de Walid Djoumblatt.
La question du financement du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a constitué l’occasion pour les grandes puissances et le Courant du Futur de tenter de
mettre en difficulté le gouvernement Mikati. On se souvient que le TSL, juridiction des Nations-Unies basée à la Haye (Pays-Bas), est chargé d’enquêter sur la disparition de l’ancien Premier
ministre Rafic Hariri assassiné le 14 février 2005 à Beyrouth. Après avoir accusé, des années durant et sans la moindre preuve, la Syrie d’être l’instigatrice de l’attentat, le TSL, totalement
aux mains des grandes puissances et qui a toujours refusé d’examiner d’autres pistes (Israël…), a finalement accusé quatre membres du Hezbollah. Ce dernier refuse de les remettre et accuse le TSL
d’être un «tribunal
américano-israélien, anticonstitutionnel, illégal, ayant des visées politiques.» D’autres forces politiques libanaises portent la même appréciation.
Mais de fortes pressions ont été exercées sur le Premier ministre qui a menacé de démissionner si le gouvernement ne payait pas sa contribution annuelle au TSL. Ainsi, l’objectif consistait à faire tomber le gouvernement Mikati afin de permettre au Courant du Futur et à ses alliés islamistes et extrémistes de droite (Geagea et Gemayel) de revenir aux affaires.
Mais
le Hezbollah et ses alliés semblent avoir compris la manœuvre. Prenant en considération les changements stratégiques à l’œuvre dans la région (crise syrienne), ils ont reculé en acceptant que le
gouvernement paie 32 millions de dollars pour l’année 2011.
L’Exécutif est momentanément sauvé. Mais ses adversaires reviendront à la charge dans quelques mois pour exiger qu’il livre les accusés. Mikati résistera-t-il alors aux injonctions
américano-françaises, lui qui demande que le TSL «soit juste et impartial, loin de
toute politisation» ? Et quelle attitude adoptera Israël qui fait preuve jusqu’ici d’une inhabituelle retenue ? L’Etat sioniste lancera-t-il une nouvelle guerre au risque
d’embraser la région et de faire chuter le régime syrien ? Ne préfèrera-t-il pas reconduire l’actuel statu quo pour éviter
tout saut dans l’inconnu ?
La guerre de position risque donc de se prolonger un certain temps encore au Liban, aucun protagoniste n’ayant les moyens de la transformer en guerre de mouvement par le lancement d’une offensive décisive.
Hocine Bellaloufi, 7 décembre 2011. Texte intégral : La Nation.info