LE DERNIER SOUHAIT DE SID ALI AOUN
"Dans la dernière
période de sa vie notre ami se préoccupait de la non parution d’Alger républicain, alors que les luttes en cours, les travailleurs et les hommes de progrès, la mise en échec des menaces contre
notre pays ont tellement besoin d’un tel outil politique. Il ne comprenait pas que ce journal qui nous appartient à tous soit accaparé par un groupe restreint et réduit au silence. Il était sur
le point de lancer une pétition demandant la reparution d’Alger Rep".
Sid Ali : le fils du peuple est
parti !
L'hommage de Noureddine Abdelmoumène
12 octobre 2013
Sid Ali Aoun est parti
ce vendredi 11 octobre, discrètement dans la nuit, si brusquement que beaucoup de ses camarades et amis n’ont pu l’accompagner au cimetière de Ben Aknoun. Jusqu’à maintenant je n’arrive pas à
réaliser qu’il est parti pour de bon.
Sid Ali avait plein de
projets en cours, des choses à réaliser avec sa famille, et encore des combats à mener avec ses camarades…
Si je tiens à rendre un
hommage particulier à ce compagnon de lutte c’est pour témoigner de faits que peu de gens connaissent de lui.
Derrière sa gouaille de
fils d’Alger, fils de Bab El Oued, sa barbe de trois ou quatre jours, ses blagues, son rire inimitable, sa modestie et sa discrétion se cachait un grand homme, un homme de
combat.
On s’est connu par
hasard à Rouiba , il y a cinquante sept ans, en 1966, dans la première tannerie industrielle de l’Algérie indépendante, construite en coopération avec la Yougoslavie.
Sid Ali s’occupait du
transit et bataillait avec la douane pour sortir les équipements et produits importés. Il partait le matin mais ne revenait que le soir : insaisissable quand on le cherchait, impossible à
discipliner, il revenait le soir avec les « bons à enlever » : mission accomplie. De mon coté j’occupais le poste, bien éphémère de directeur, ce qui m’a permis de faire recruter
d’anciens d’Alger républicain et d’autres camarades sortis de prison après la répression suite au coup d’Etat du 19 juin 1965. Nous étions une bande de jeunes copains et le travail avançait
bien.
Au cours des
discussions Sid Ali se livrait peu, mais on sentait sous sa carapace « blindée » une sensibilité à fleur de peau, une grande révolte contre la misère et les injustices. Sous des
formules choc, à la limite du cynisme, il dénonçait la misère du monde, l’exploitation coloniale, la féodalité, le brigandage impérialiste et les ravages du sous développement. C’est ainsi qu’il
nous lance au cours d’une discussion, en nous regardant bien dans les yeux : « il parait qu’en Inde quelqu’un a lancé une poignée de riz dans la foule, il y a eu 1000
morts »
Le 19 décembre 1967,
fut un jour sombre pour l’organisation du PAGS à Rouiba. Par un pur hasard, les barrages de gendarmerie dressés après la tentative de coup d’Etat de Tahar Zbiri contre Boumédiène, interceptent un
paquet de littérature que transportait un camarade de Rouiba. La répression s’abat sur une grande partie de l’organisation de la zone industrielle : des dizaines de camarades sont arrêtés et
torturés des jours et des jours comme Abderrahmane Chergou ou Abdelghani responsable de l’union locale de l’UGTA, d’autres recherchés. Or c’est moi qui livrais les tracts et journaux à cette
région. Les gendarmes se sont présentés à l’usine pour m’arrêter mais je n’y étais pas, alors ils ont demandé mon adresse à Alger : amnésie générale, les amis gagnaient du temps. Entre temps
j’étais informé par un coup de fil ami et j’avais pris la clé des champs. Et c’est là qu’intervient Sid Ali : je ne sais pas diable comment il a fait pour sortir de l’usine ; trouver un
véhicule ; quitter Rouiba et se rendre à mon domicile à Alger centre pour donner l’alerte ! Il eut juste le temps de s’éclipser avant que les gendarmes n’envahissent
l’immeuble !
Ce n’est que dix ans après au cours d’une rencontre par hasard dans la clandestinité que nous avons parlé brièvement de cet épisode ; ensuite plus jamais !
Sid Ali aimait aussi
partager ce qu’il aimait.
Un de ses amis m’avait
parlé du fameux pastis que notre ami préparait et qu’il partageait entre potes, mais malgré moult invitations je ne pus goûter à cette merveille !
Un jour il nous fait découvrir, mon épouse et moi, son trésor caché : Larhat et sa crique merveilleuse entre Cherchell et Ténés. Il nous amena visiter deux adresses clé du village : le
café et la boulangerie ! Des années plus tard nous faillîmes y prendre racine.
Sid Ali Aoun avait été profondément affecté par la disparition du PAGS. Il avait perdu ses points de repère solides. Il lui arrivait de naviguer entre les différents morceaux, sollicité par les
bons et les moins bons. Des fois quand il était devant des choix cruciaux ; il m’appelait ou passait me voir. Il avait confiance, me disait-il.
Quand je pouvais je
participais aux activités de l’association de défense des droits des assurés sociaux, dont la cheville ouvrière avait été Sid Ali. C’est une association tellement utile, elle ne doit pas
disparaitre avec son animateur
Il y a quelques années,
après la célébration du Ier Mai dans les locaux d’Algérie républicain, je cherchais quelqu’un pour raccompagner Georges Acampora chez lui. Sid Ali nous prit dans sa voiture fit un détour pour
récupérer son fils, un adolescent et nous voici filant vers Bab El Oued. Notre ami était en verve comme jamais. Il se mit à taquiner georgeot « ne crois pas que tu es le seul de Bab El
Oued, moi aussi. Tu sais, je crois que j’ai été toujours communiste et mon père aussi". C’est une femme d’origine européenne, et il donna le nom et le prénom, qui est à l’origine de ma prise
de conscience par sa seule façon de vivre et de se comporter avec nous. Georgeot la connaissait ; il était aux anges. Il n’arrêtait pas de rire ou de sourire. On dépose l’ancien condamné à
mort devant sa maison et pour faire diversion, raccourcir les adieux, Sid Ali lui lance « tu vois que mon fils se comporte avec moi comme un copain » et c’était vrai le père et
le fils se parlaient comme des potes ! Et le fils voulait rejoindre ses …copains qui l’attendaient.
Dans la dernière
période de sa vie notre ami se préoccupait de la non parution d’Alger républicain, alors que les luttes en cours, les travailleurs et les hommes de progrès, la mise en échec des menaces contre
notre pays ont tellement besoin d’un tel outil politique. Il ne comprenait pas que ce journal qui nous appartient à tous soit accaparé par un groupe restreint et réduit au silence. Il était sur
le point de lancer une pétition demandant la reparution d’Alger Rep.
Sid Ali Aoun manquera cruellement à sa femme et à son fils, à sa famille et à ses amis, il manquera beaucoup à ses frères de combat.
Source: raina-dz.net