La MISSA survit à la pression psychologique à froid
La chronique du condjador (41)
La politique d’abared (à froid) –faire pression sur les buveurs de vin, de l’intérieur - est une nouvelle technique appliquée par les gendarmes, depuis environ six mois. L’objectif est de décourager puis de disperser une missa, bonne ou mauvaise.
Présence quotidienne, recensement des présents, lancement par radio des noms pour vérification dans les fichiers. La procédure dure environ deux heures. Pendant ce temps, les bouteilles sont près de nous mais défendu d’y toucher devant le gendarme ! En cas de protestation, les bouteilles seront cassées, même celles d’un groupe de buveurs situés loin de la personne qui a « manqué de respect ». Des buveurs âgés sont même obligés de demander au gendarme de 24 ans l’autorisation d’allumer une cigarette !
L’opération d’abared continue donc. Le gendarme appelle à haute voix son groupement. Maintenant, les buveurs connaissent les dates de naissance, les noms des mères et pères de chacun : le gendarme répète l’appel de toute sa liste plusieurs fois à cause des interférences de sa radio.
Au fond de nous, chacun se dit : « Bazaf alih, c’est fatiguant comme méthode». Mais, c’est le but de cette action psychologique.
Les habitués de ces missa se réunissent à la périphérie de Jijel, pour se retrouver autour d’un verre de vin, loin des tracas et de l’insécurité des bars. Cette recherche de confidentialité de la missa impose à son gérant d’assurer un ordre irréprochable. Car, ici, les gens se connaissent et viennent partager des moments de discussion à la fin de leurs journées de travail.
Les missa font travailler les taxieurs sans licence, les chouaillines qui vendent leurs brochettes ou mettent leur feu à la disposition des clients qui ramènent leur propre viande.
Les gérants des missa anticipent les problèmes : avant qu’une bagarre ne se déclare, les personnes sont vite séparées, la victime aura un taxieur gratuit pour quitter les lieux, le deuxième sera retenu et encadré par les aides du gérant de la missa. Ce qui qui ne se fait pas dans les bars. Avec tous leurs papiers en règle et puisque ils sont juridiquement couverts, Ils n’en ont rien à foutre du client, une fois qu’ils le font sortir de l’établissement. J’ai vu une personne expulsée d’un bar de Jijel après une bagarre, se faire agresser sur le trottoir même de l’établissement, à coup de goulots au visage, par quatre personnes qui l’avaient suivi à l’extérieur.
La présence, de temps en temps, des gendarmes dans les missa est souhaitable, car elle aide le gérant à éloigner les indésirables ou ceux recherchés par la justice. Parfois, un client, qui ne sait pas parler à un gendarme, dit des commentaires provocants touchant indirectement l’agent dans l’exercice de ses fonctions. Le gérant de la missa lui demandera de ne plus venir, et entre nous, on le classe comme un non- évolué socialement car il n’a pas la fibre de tolérance des bons buveurs. La missa à la longue effectue, avec son gérant, une sélection minutieuse.
Les gendarmes sont devenus beaucoup plus patients ces dernières années, ils sont tous jeunes, sportifs, et la plupart diplômés de l’université. Leur défaut c’est qu’ils n’ont pas encore vu la vie avec son vrai visage. L’âge leur fait défaut.
La missa à la longue effectue, avec son gérant, une sélection minutieuse. Même si le vin n’est plus disponible sur place à cause de la politique d’abared, les habitués l’achètent dans un autre lieu puis viennent tranquillement se rassembler, comme d’habitude, dans leur missa préférée.