C’est à Bazoul que deux paisibles oueds venant des Babors par Chekfa convergent, arrosant une des plaines les plus fertiles de la région de Jijel. L’une de ces
rivières s’appelle Oued Nil… Ma mère est née dans le hameau. Mon grand père y cultivait une variété de verveine réputée.
Il y a douze ans, l’hebdomadaire local Jijel-Infos, que j’avais fondé en 2001 (L’équipe a fait paraître une trentaine de numéros avant d’être totalement asphyxiée par le "système") alertait sur les menaces qui pesaient sur les terres agricoles de Bazoul et El
Kennar, les plus riches de la région. « Sommes-nous en train de perdre les terres agricoles ? écrivait Gehane
Khalfallah.
Douze
années après, la lecture de la lettre publiée par le Soir d’Algérie est un crêve cœur.
Epoque
: l’an 2013
Evénement
: l’Algérie fête le cinquantenaire de son indépendance
Lieu
: dachrate Bazoul, commune de Taher, wilaya de Jijel
Faits
: une famille de chouhada spoliée en signe de célébration du cinquantenaire de l’indépendance nationale.
Jeudi 10 janvier 2013, l’Algérie fête et se réjouit du cinquantenaire de son indépendance. A environ 400 km de la capitale, plus exactement dans la wilaya de Jijel, l’effervescence inhabituelle
d’une nuée de commis intrigue la curiosité des habitants de la grande bourgade de Taher. Une opération coup-de- poing contre un quelconque délit était en imminence de lancement. Les commentaires
citoyens vont bon train et les paris sont tout simplement lancés sur l’objectif de cette importante opération. Le cortège sous bonne garde finit par s’ébranler.
Le cortège traversa le village sous les applaudissements de soutien unanime des citoyens qui ne tardèrent pas à déchanter cependant. En effet, les véhicules s’immobilisèrent à hauteur de la
gare ferroviaire de Bazoul. Le meneur du cortège fut le premier à s’éjecter du véhicule avec témérité pour fouler une terre privée rougeâtre, sans doute colorée par le sang de la multitude de
chouhada l’ayant arrosée. Fier de son exploit grandiloquent, le costumé fit signe à une flopée d’agents d’envahir et d’occuper la parcelle de terre d’une famille de chouhada. Une réponse
«musclée» au refus des propriétaires de cette terre privée de subir une énième spoliation et voie de fait. Car quelques jours auparavant, les agents de Sonelgaz avaient «investi» cette même
propriété dans l’illégalité totale. Faute de documents officiels exigés par la Constitution et la loi, ils avaient été invités à vider les lieux.
Un simple regard sur Google Earth.
Mais à Jijel, et depuis quelques années, la Constitution et les lois de la République y sont interdites de séjour. On spolie, on occupe par la force en dehors du cadre procédurier
constitutionnel, ensuite on régularise et on fait mine d’indemniser… au rabais, en alignant le prix du mètre carré d’une terre urbaine et littorale sur le prix moyen du kilo de pomme de terre.
Pis, les occupants du domaine public sont indemnisés au même titre que les propriétaires privés. Qu’importe si le prix d’indemnisation exigé par la Constitution et la loi doit être juste et
équitable, c’est-à--dire au prix du marché. Ici, c’est l’arbitraire et l’abus de pouvoir qui priment. Pour donner une fin à ce carnaval, le cortège reprit le chemin du retour laissant derrière
lui, dans une mare boueuse, les principes posés par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Constitution de l’Etat algérien et les dispositions édictées par la loi en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique. «Il» est reparti avec la fierté d’avoir sévi, inconscient certainement qu’entre l’Etat de droit et l’autocratie, il n’existe qu’une fine et unique
frontière : le respect ou le non-respect de la Constitution des lois qui en découlent.
Dans ce cas d’espèce, on est passé de l’acte d’expropriation lourdement balisé en ce sens qu’il touche au droit de propriété, droit consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme
et clairement repris par la Loi fondamentale et les lois subséquentes, à un acte spoliateur découlant d’un détournement de pouvoirs également lourdement sanctionné par… la loi.
A quelques centaines de mètres de ce haut-lieu de «fait», le dernier cordon dunaire de Jijel a quasiment disparu pillé impunément et dans l’indifférence de tous par la maffia locale du sable. La
disparition de ces dunes est si impressionnante qu’un simple regard sur Google Earth, à l’est du port de Djen-Djen, permet de saisir l’ampleur de la catastrophe aussi bien pour ce patrimoine
naturel hautement protégé par la loi que pour la protection de la plaine côtière contre un éventuel cataclysme marin. A quelques centaines de mètres également de ce haut-lieu de fait, des
dizaines d’hectares de terres irriguées de très haute valeur agricole sont soustraites de la SAU de l’Algérie après avoir été vidées de leurs exploitants pour recevoir des flots de véhicules
débarqués au port de Djen-Djen. Une exception devrait toujours confirmer une règle générale. Jijel serait-elle cette exception ?
Rafik M., 27 septembre 2013. Le Soir d’Algérie