« La Grèce appartient définitivement à un autre continent »
Par Michel Colomès
La Grèce va obtenir de l'Europe 130 milliards d'euros. Mais cette aide, même si elle suffisait financièrement, ne guérirait pas l'humiliation subie
Un micro, laissé ouvert par mégarde, jeudi dernier, lors de la dernière réunion des ministres des Finances de la zone euro, a semé, si c'est encore possible, un peu plus la consternation en Grèce. Wolfgang Schäuble, le ministre de l'Économie allemand, venait de confier à Vitor Gaspar, son homologue portugais, que si le Portugal se trouvait dans une situation semblable à celle de la Grèce, Berlin n'hésiterait pas à accepter des aménagements à un plan d'austérité qu'il refuserait pour Athènes.
Bien sûr, il s'agissait d'un aparté qui n'aurait jamais dû être connu, mais inutile de préciser que la confidence aussi désinvolte que maladroite a un peu plus convaincu les Grecs qu'ils sont devenus pour de bon les parias de l'Europe. Quels que soient les efforts qui leur sont demandés, la zone euro leur en demandera toujours plus. Ils auront beau se serrer la ceinture au-delà du raisonnable, ils ne parviendront plus à rétablir une confiance sans laquelle on les voit mal se tirer d'affaire, tant qu'ils sont dans l'eurozone.
25 % de chômage
Or, même si dans un passé récent la Grèce a trompé ses partenaires, vécu à crédit en profitant de l'euro, caché des statistiques qui l'auraient obligé à contrôler le nombre effarant de ses fonctionnaires, manqué à son obligation de lever l'impôt de façon équitable comme cela se pratique dans n'importe quelle démocratie européenne, elle est depuis plus d'un an dans une situation qui ressemble à la grande dépression des années trente.
Cela donne lieu à des scènes que l'on espérait ne plus jamais voir dans nos pays prospères : des fermiers qui viennent à Athènes ou à Salonique distribuer à prix coûtant, quand ce n'est pas gratuitement, les produits que les citadins n'arrivent plus à acheter, provoquant d'ailleurs de véritables émeutes parmi les affamés. Des enfants, dans leurs salles de classe, ne quittant plus leurs anoraks et leurs bonnets parce que la diminution de 55 % des crédits de l'éducation, conjuguée à la hausse des taxes sur le fioul, oblige les directeurs d'école à arrêter de chauffer leurs locaux. Des dizaines de jeunes gens qui errent sans but apparent dans les rues des villes, parce que plus de 25 % d'entre eux sont au chômage dans un pays de 11 millions d'habitants, dont on estime aujourd'hui que moins de 4 millions ont un emploi.
Deux tiers de l'aide directement pour les créanciers
Le parlement grec a donc accepté le sixième (!) plan d'austérité qui lui était imposé. Les rues d'Athènes se sont enflammées en des manifestations qui peuvent basculer à tout moment vers une situation incontrôlable. 15 000 fonctionnaires vont être licenciés, les salaires vont être diminués de 22 %. Et les spécialistes annoncent déjà que sur les 130 milliards d'euros d'aide, enfin acceptés par l'eurogroupe et le FMI, les deux tiers ne serviront pas à donner un peu d'oxygène au gouvernement grec, mais à rembourser ses créanciers ! Autant dire que bien peu d'économistes se font encore d'illusions sur la capacité de la Grèce à se tirer d'affaire sans sortir de l'euro. Ce que Wolfgang Schäuble, encore lui, a confirmé ce week-end à sa manière toujours délicate : dans un journal allemand, il a déclaré que sauver la Grèce de la faillite serait autrement plus difficile que ne l'avait été l'absorption de la RDA après la réunification.
La Grèce l'a bien cherché. Mais elle est donc définitivement humiliée. Est-ce ainsi que l'on peut inciter ce pays à mettre tout en oeuvre pour se redresser ? Un mot court aujourd'hui dans les rues d'Athènes : que nous sortions ou non de l'euro le résultat sera le même, la Grèce appartient définitivement à un autre continent.
Michel Colomès, 13 février 2012. Le Point.fr