L’Algérie n’est pas protégée contre les manipulations étrangères
K. Selim écrit ce matin en conclusion de son éditorial du Quotidien d’Oran : « Aujourd'hui, il faut bien s'en tenir à la «doctrine» de non-intervention sur des théâtres extérieurs. Mais si l'on pense aux intérêts de l'Algérie, il faudra bien engager le debat stratégique. Et il serait totalement absurde de croire qu'il peut être mene sans une réelle mise à plat de l'état du système algerien et de ses institutions ».
Le débat essentiel à venir
Par K. Selim
La guerre était à nos portes, elle a été portée chez nous. L'opération d'In Amenas a probablement était préparée depuis longtemps dans la perspective d'une
intervention extérieure au Nord-Mali et elle a été exécutée assez rapidement après l'intervention française. Le bilan de l'opération d'In Amenas - encore non officiel en début d'après-midi - est
suffisamment lourd pour les capitales étrangères qui commencent à émettre des critiques, voire des dénonciations comme c'est le cas de Tokyo.
La presse parisienne met en évidence le fait que Paris ménage son «allié» - avec des guillemets bien visibles - et loue ce qu'une chroniqueuse diplomatique
appelle un «paradoxale effet d'aubaine» qui permet de dire que désormais la France n'est plus «seule» dans la guerre. Cela n'empêchera pas de nombreux Algériens - y compris au sein du
pouvoir - de se demander pourquoi Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, a éprouvé le besoin de rendre publique l'autorisation de survol «sans limite» de l'espace
aérien algérien par l'aviation française. Personne ne l'accusera d'avoir provoqué l'attaque d'In Amenas - on hurlerait à la théorie du complot !- mais cela n'empêchera pas des gens raisonnables
d'y voir un élément déclenchant d'une opération déjà préparée par les terroristes.
Il y a des mois on s'inquiétait, ici, d'un «glissement progressif» de l'Algérie dans la guerre malienne. Désormais, avec ce qui s'est passé, certains seraient
enclins - et en France on le dit ouvertement - à dire que l'Algérie est, qu'elle le veuille ou non, dans la guerre malienne. Il n'est en général pas indiqué de parler de questions stratégiques
dans des moments délicats et difficiles comme celui que traverse l'Algérie. Et où le pouvoir algérien connaît, au moins en apparence, une certaine solitude. Mais il serait faux de dire que le
débat stratégique ne se posait pas depuis des mois, voire des années. Des journalistes, avec leur limite, soulèvent ces questions dans une scène politique aphone. Comment défendre les intérêts de
l'Algérie dans un monde où les forces dominantes mènent une entreprise de recomposition afin de préserver leur suprématie ?
Le cas de la Libye était un avertissement. Il y a un mouvement de contestation limité qui a été «traité» et transformé en «révolution» réalisée par les moyens
de l'Otan. L'Algérie qui a refusé de«s'aligner» sur les Occidentaux a été attaquée et critiquée mais elle a surtout été neutralisée. Elle s'est retrouvée, paradoxalement, prisonnière de sa
doctrine, juste et morale, de non-intervention dans les affaires d'autrui et de non-engagement des forces militaires nationales hors du territoire. Or, il est manifeste que ce qui se passe en
Libye n'était pas une affaire purement extérieure et qu'on aurait gagné à être plus actif, plus proactif et d'agir plutôt que de subir. Mais aujourd'hui, avec cette attaque sanglante sur le
territoire national, qui plus est dans le secteur d'activité le plus névralgique, l'Algérie doit se laisser aller à suivre le «paradoxal effet d'aubaine» qui plaît secrètement à Paris pour
aller au Mali ?
Les arguments simplistes pour répondre «oui» ne manquent pas. Le plus reitéré ces dernieres heures est qu'il vaut mieux aller attaquer les terroristes au Mali avant qu'ils ne viennent ici. Mais une réponse simpliste ne peut qu'évacuer le débat stratégique. Quel intérêt devons-nous défendre ? Est-ce que la qualite de nos institutions - démocratie, efficience -permet de se projeter de manière autonome dans un environnement compliqué pour défendre nos intérêts sans devenir des agents ou des supplétifs d'une recomposition décidée de l'exterieur ? Et pour des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Aujourd'hui, il faut bien s'en tenir à la «doctrine» de non-intervention sur des théâtres extérieurs. Mais si l'on pense aux intérêts de l'Algérie, il faudra bien engager le debat stratégique. Et il serait totalement absurde de croire qu'il peut être mene sans une réelle mise à plat de l'état du système algerien et de ses institutions. Il serait absurde de ne pas constater que cette affaire est un grave echec. Le pire, c'est bien cela, faire comme s'il n'a pas existé.
K. Selim, 19 janvier 2013. Le Quotidien d’Oran