Jijel- Abderrahim Sekfali, "le maître", nous a quittés
Abderrahim Sekfali
Les Jijéliens l’appelaient « le maître ». Il acceptait volontiers ce titre car Abderrahim incarnait cette volonté de savoir, qui marque depuis toujours les citadins de Jijel. Professeur d’histoire à l’Université de Constantine, le Maître avait traversé la Décennie noire, penché sur les archives des grandes grèves jijéliennes des années trente. ll a publié les premiers résultats de ses recherches dans l’ouvrage, disponible en librairie, Grèves et luttes syndicales à Djidjelli (Jijel et sa région).Nous avions publié un compte rendu de cet ouvrage.
Jijel : deux instituteurs au cœur des luttes ouvrières
« La succursale de Djijdjelli de la Armstrong Cook Compagny de Lancaster, Pennsylvanie, Etats-Unis d’Amérique, est occupée par les grévistes depuis deux heures de l’après-midi d’hier ». Le Consul Américain d’Algérie envoyait une note au Gouverneur général d’Algérie le 8 juillet 1936. Les liégeurs de Jijel avaient levé la tête. La féroce répression de l’administration coloniale restera dans la mémoire jijélienne.
Cette note du Consulat général des Etats-Unis date du 8 juillet 1936, au lendemain du déclenchement de la grève qui paralyse toutes les usines de liège de Jijel, en premier lieu la plus importante, celle de Calzada. Les usines sont occupées par les grévistes. Le Consul général, M. Silvers demande que « les autorités compétentes soient prévenues afin que les autorités de Djidjelli reçoivent les instructions nécessaires pour protéger l’usine contre l’incendie et d’autres dégâts, et pour faire évacuer les locaux qui sont actuellement occupés par cent vingt ouvriers indigènes et cinq ouvriers européens »
Les opérations d’évacuation sont engagées deux jours après après l'échec des injonctions. Les ouvriers sont délogés à coup de matraque le 10 juillet. Ces évènements ouvrent une période de grève massivement suivis et violemment réprimées qui se prolongent jusqu’à l’automne. En février 1937 les dockers du port de Jijel prennent la relève et se mettent eux aussi en grève.
Deux syndicalistes de la CGT, animateurs de l’Union locale de Djidjelli, se sont distingués dans la direction des luttes sociales mythiques des liégeurs et des dockers : Clément Oculi et Larbi Roula. Tous deux ont subi la condamnation et l’emprisonnement pour leur participation au mouvement. Tous deux étaient instituteurs, formés le premier à l’Ecole normale de Constantine, le second à celle de Bouzaréah.
Clément Oculi, fils d’un cabaretier, est né à Chekfa et sera toujours communiste. Il fera partie, en 1956, du fameux commando du lieutenant Maillot des Combattant de la libération du PCA et qui s’empara d’un camion d’armes, qui sera acheminé vers les maquis de l’ALN ; après l’indépendance il sera instituteur dans l’Algérois jusqu’en 1970. Il a pris sa retraite à Nice.
J’ai davantage croisé Larbi Roula. On garde en mémoire la silhouette et la blouse du Maître Roula, le pédagogue, devant le petit hangar qui lui servait de classe privée, en bordure du terrain de foot du quartier.
Militant syndical et associatif, candidat aux élections, sous l’étiquette « Congrès musulman » en 1937 « Mouvement nationaliste indépendant » en 1947, « Congrès algérien » en 1948. Interné politique sous Vichy et pendant la guerre de libération, Larbi Roula, qui était déjà un habitué des geôles coloniales dès les années 30, n’a jamais appartenu au Parti communiste, ni à aucun autre parti. Son compagnon de lutte Clément Oculi dira que c’est « une nationaliste religieux ». Il publia en 1962 un ouvrage intitulé « L’Algérie par l’Istiklal » où il appelle à gouverner le pays « dans la liberté et dans l’Islam ». Il reprendra son métier d’instituteur libre jusqu’en 1977. Une foule imposante l’accompagna le 16 janvier 1985 au cimetière marin de Jijel.
Nos informations sont puisées dans l’ouvrage, disponible en librairie, publié par Abderrahim Sekfali, Grèves et luttes syndicales à Djidjelli (Jijel et sa région). Abderrahim, maître assistant d’histoire à l’Université de Constantine, a effectué pendant de nombreuses années de persévérantes recherches et nous livre de précieux documents d’archive, des témoignages des protagonistes, dont celle de Clément Oculi.
Saoudi Abdelaziz, 1er juin 2011