Hier à la "place Tahrir" de Ouargla
Photo : El Watan-weekend
« SUD : le pouvoir au pied du mur ». Superbe reportage réalisé dans El Watan, par Adlène Meddi, Houria Alioua, Mélanie Matares sur les manifestations pour l’emploi d’hier à Ouargla.
EXTRAITS :
La manifestation d’hier à Ouargla, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes à l’appel de la Coordination nationale des chômeurs, a exacerbé une des plus grandes contradictions du régime algérien : pays riche, peuple pauvre. Boostés par le succès de leur démonstration de force, malgré les tentatives de torpillage du pouvoir et de ses relais, les chômeurs du Sud ont donné une semaine aux autorités pour mettre fin à un calvaire qui dure depuis plus de vingt ans.
Un vent de sable s’est levé, apportant avec lui une forte odeur de gaz et une fumée noire diffuse. Les torchères des champs pétroliers se trouvent à quelques kilomètres seulement. Au bout de routes noires impeccablement goudronnées jurant avec la lumière dorée des dunes. Celle qui relie Hassi Messaoud à Ouargla, soumise au ballet incessant de camions poussiéreux et d’impétueux minibus, et où le sable s’engouffre dans les fissures du bitume, est moins photogénique. «Il faut s’estimer heureux, c’est la seule route potable de la ville.» Hakima, la trentaine, relativise. Elle vit dans la commune la plus riche d’Algérie mais son décor est fait de panneaux de signalisation cassés, de trottoirs défoncés, de poubelles éventrées et de carcasses d’appareils électroménagers. Employée d’une des filiales de Sonatrach, maîtresse toute puissante de la ville, elle avoue «s’en tenir à son boulot», vu que, de toute manière, «à Hassi Messaoud, il n’y a rien d’autre à faire.» Ah si.
Il faut chaque matin trouver un itinéraire bis pour contourner les routes coupées par les chômeurs qui manifestent devant l’agence locale de l’emploi. Ce jeudi, ils ont rejoint la grande manifestation organisée à Ouargla à l’appel de la Coordination nationale des chômeurs sur la symbolique place de l’ALN, rebaptisée «place Tahrir». L’objectif du million de manifestants n’a pas été atteint, mais ils étaient tout de même quelques milliers. Une réussite compte tenu de toutes les tentatives menées par le pouvoir depuis le début de la semaine pour faire imploser le mouvement. La condamnation des chômeurs en début de semaine à de la prison ferme, par le tribunal de Laghouat, n’a pas eu l’effet de dissuasion escompté. Les discours de Hanoune ou de Ghoul appelant les jeunes à ne pas sortir pour «contrecarrer toute tentative de déstabilisation de l’Algérie» au nom de «la sécurité et l’unité du pays» n’ont, quant à eux, pas eu d’effet du tout.
Dignité
Pour couper court à toute rumeur de manipulation, les organisateurs avaient prévu une distribution générale de fanions aux couleurs nationales, la diffusion de chants patriotiques par une sono, un drapeau algérien à hisser en chantant Qassaman le poing levé, et surtout, une banderole sur laquelle était peint «L’unité nationale, une ligne rouge». La veille, dans un quartier populaire, entre chien et loup, cachés par des maisons basses et le sable soulevé par les bourrasques de vent, les militants se sont bien préparés autour de Tahar Belabbès. Leur charismatique leader au béret et aux yeux cernés n’a cédé ni à la pression, ni aux rumeurs le décrivant comme un «soulard», un «drogué» manipulé et acheté par des forces obscures. A 33 ans, il s’est imposé aujourd’hui comme un nouveau leader du Sud aux côtés de Yacine Zaïd, l’infatigable syndicaliste de Laghouat, ou de Abdelmalek Aibek, mi-Targui de Tamanrasset, mi-Ouargli, numéro 2 et tête pensante de la Coordination. Autour de Belabbès, il y avait Tayeb, un homme discret à l’œil malicieux. Les cheveux ont blanchi, le dos s’est courbé un peu, mais Tayeb Termoun, une des têtes du Mouvement des enfants du Sud pour la justice (MSJ), veut montrer qu’il est toujours là, même après une longue éclipse. «Le Mouvement des chômeurs du Sud est une continuité de notre lutte, lance-t-il avec un grand sourire. Le mot d’ordre du MSJ a toujours été la dignité, et c’est exactement le combat de ces jeunes d’aujourd’hui, explique un proche du mouvement. C’est une manière de dire que, dix ans après, les gens du Sud sont toujours confrontés aux mêmes problèmes (…)
Texte Intégral : El Watan.com