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Publié par Saoudi Abdelaziz

 

 

DR-« La Banque mondiale peine à se départir de ses vieux réflexes d’orthodoxie libérale, quitte à faire dans le parjure ! »

 

 

Le rapport annuel de la Banque mondiale « Doing Business 2013» par lequel elle évalue le climat des affaires et de l’investissement dans 185 pays (il a ravalé encore plus bas ce qui reste de notre économie à la 152e place) a provoqué l’ire de la Confédération syndicale internationale dont le siège est à Bruxelles et qui revendique la représentation de 175 millions de travailleuses et de travailleurs au travers de 308 organisations nationales affiliées dans 153 pays et territoires.

 

Dans une prompte réaction datée du 23 octobre dernier, le jour même de la publication du rapport, la CSI estime que la Banque mondiale y exprime «des demandes non fondées à propos de la déréglementation». Elle lui reproche essentiellement de prétendre «erronément que l’affaiblissement des réglementations du travail stimulera la création d’emplois». Une condamnation tirée d’une lecture plus qu’attentive, vigilante, du document qui lui permet de pointer à la page 100 de la version anglaise que les pays qui réduisent les périodes de préavis en cas de renvoi ou les indemnités de licenciement «s’attaquent à l’un des principaux facteurs empêchant les entreprises de créer des emplois dans le secteur formel».

 

Chasse le naturel, il revient au galop : la Banque mondiale peine à se départir de ses vieux réflexes d’orthodoxie libérale, quitte à faire dans le parjure ! Entre Anglo-saxons, c’est la pire des monstruosités. Mme Sharan Burrow, la secrétaire générale de la CSI, qui est australienne, rappelle à la Banque mondiale que l’une des conclusions majeures contenues dans son propre rapport sur le développement dans le monde de 2013, publié un peu plus tôt au cours du même mois, était qu’au cours de «ces vingt dernières années, de nouvelles données et des méthodologies plus rigoureuses ont encouragé une série d’études empiriques sur les effets de la réglementation du travail (…) La plupart d’entre elles estiment que son incidence sur les niveaux d’emploi est insignifiante ou modeste»(*). Forçant le trait, la responsable syndicale «trouve particulièrement répréhensible que Doing Business 2013 condamne l’Afrique subsaharienne pour son “approche très restrictive” car elle exige en moyenne 3,67 mois de salaire en indemnités de licenciement pour les salariés qui perdent définitivement leur emploi et que cette moyenne est supérieure à celle des pays riches. La Banque sait pertinemment bien que, exception faite de l’Afrique du Sud, il n’existe pratiquement pas d’allocations publiques de chômage en Afrique subsaharienne, contrairement aux pays à revenu élevé de l’OCDE».

 

Elle a bien raison de le rappeler. «Dans les pays en développement, les emplois sont la pierre angulaire du développement et ont un impact bien au-delà des revenus qu’ils procurent. Ils sont essentiels à la réduction de la pauvreté, au fonctionnement des villes et à l'ouverture aux jeunes de perspectives autres que la violence», est-il écrit dans le même rapport de la Banque mondiale Une assertion confortée par les propos de ses propres responsables : «L’emploi est synonyme d’espoir. L’espoir est synonyme de paix. L’emploi peut aider des pays fragiles à se stabiliser», avait admis Jim Young Kim, président du Groupe de la Banque mondiale, à l’occasion de la publication du rapport. Rappelant la Banque mondiale et son président, Jim Yong Kim, à leurs engagements précédents, la secrétaire générale de la CSI les invite «à concevoir une nouvelle approche équilibrée du marché de l’emploi, favorable au travail décent, s’inspirant des recommandations du rapport sur le développement dans le monde de 2013 et à supprimer une fois pour toutes le thème du travail de la publication Doing Business». Elle réfute une nouvelle fois que la déréglementation du marché du travail crée des emplois et favorise le climat des affaires, en se référant aux propres travaux de la Banque dont les anciens dogmes ont été sensiblement infléchis par la persistance de la crise financière à partir de 2009. Sharan Burrow a par ailleurs bien fait de rappeler aux auteurs du rapport Doing Business les résultats des travaux pertinents du Groupe d’évaluation indépendante (GEI) de la Banque de 2008(**). En 2009, la Banque mondiale avait, sur les recommandations du Groupe d’évaluation indépendante, ordonné à son personnel de cesser d’utiliser l’indicateur «embauche des travailleurs» de Doing Business dans les conseils politiques ou les conditions de prêt.

 

Or, déplore encore la CSI, « l’édition de 2013 ne fait mention ni de la directive au personnel sur les échecs de cet indicateur, ni du rapport du Groupe d’évaluation indépendante, ni des conclusions du rapport sur le développement de 2013». La note d’orientation du GEI, datant d’octobre 2009, concédait alors que «l'indicateur embauche des travailleurs ne représente pas la politique de la Banque mondiale et ne doit pas être utilisé comme une base pour des conseils stratégiques ou dans les documents de programme de pays pour décrire ou évaluer la stratégie de développement ou d'assistance pour un pays». «L'indicateur embauche des travailleurs présente une certaine souplesse dans la réglementation du travail, mais ne tient pas compte d'autres dimensions clés de la politique de l'emploi, telles que les mesures de protection des travailleurs.» Le même mémo souligne par ailleurs «l'importance des approches réglementaires qui facilitent la création de plus d'emplois dans le secteur formel avec des garanties adéquates pour les droits des salariés et qui préservent les travailleurs et les familles à faible revenu des risques de délocalisation des entreprises, particulièrement en temps de crise». Se voulant un peu plus altruiste, elle sollicita qu’en plus d'utiliser des critères de bonnes pratiques, «d'autres aspects doivent être pris en considération, surtout la vitesse et la facilité de mise en œuvre du programme, en tenant compte de l'infrastructure existante et des capacités institutionnelles, et la capacité à venir en aide aux groupes les plus touchés par la crise». Ainsi, était-il explicitement indiqué comme orientation pour le personnel de la Banque mondiale de suspendre l'utilisation de l'indice litigieux dans l’élaboration des «conseils stratégiques», qu’il s’agisse des stratégies d'aide-pays et d’études économiques et sectorielles, d’assistance technique ou de préparation de projets et de supervision. Alors, amnésie ou parjure ?

 

Ammar Belhimer, 30 octobre 2012. Le Soir d’Algérie

 

(*) Banque mondiale, rapport sur le développement dans le monde 2013, édition anglaise, http://siteresources. worldbank.org/EXTN WDR2013/Resources/825802 4-1320950747192/8260293- 1322665883147/Chapter- 8.pdf, page 261.

(**) http://www.doingbusiness. org/methodology/~/med ia/FPDKM/Doing%20Busines s/Documents/Methodology/E WI/EWI-guidance-note.pdf.

 

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