Entretien avec Sadek Hadjères
Par Samir Bouakouir. La Nation, 22 novembre 2011
Quelle portée et quelles significations peut-on donner aux mouvements de révolte qu'ont connus et que connaissent les pays du monde arabe? Plus précisément, s'agit-il d'une rupture historique, d’une affirmation des peuples ou des conséquences d'un plan préétabli, comme celui du Grand Moyen-Orient?
Sadek
Hadjeres- Les deux faits sont simultanément à l’œuvre.
Les aspirations populaires et les visées impérialistes sont les deux facettes inséparables et antagoniques du mouvement d’ensemble qui secoue la région et même le monde. Dire
cela n’est pas une vision manichéenne et idéologique de la réalité, c’est un constat vécu objectivement et brutalement par les peuples, qu’ils soient du Sud, de l’Est ou du Nord de la
Méditerranée.
La crise aiguë du système capitaliste a aiguisé au maximum, sous différentes
variantes, l’affrontement entre, d’un côté la voracité, les diktats, l’agressivité belliciste au service de la haute finance mondialisée, et d’un autre côté l’aspiration des peuples à gérer leur
destin et leurs propres intérêts. Les peuples veulent échapper au statut politique et social étouffant et miséreux de protectorats ou de néo-colonie sous la botte et la tutelle
d’institutions de plus en plus ouvertement et directement prises en main par les appareils des complexes militaro-financiers et leurs relais locaux.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’après les conquêtes sociales et les décolonisations historiques du XXème siècle, les Croisés de la « Démocratie » par l’Argent et pour l’Argent ont jeté le masque libéral pour revenir, en plus grand et plus cynique, à leurs traditions et pratiques du XIXème siècle. La doctrine de l’OTAN remise à jour au milieu des années 90 malgré la fin de la « guerre froide », renoue avec l’arrogance du dépeçage de l’Afrique par le Congrès européen de Berlin en 1885. Après avoir semé depuis quinze ans le chaos et la désolation dans les Balkans, l’Afghanistan, l’Irak, le Sud Liban et Gaza, les puissances coalisées sous la bannière atlantique déploient et combinent contre les peuples et les Etats du monde arabe la politique des coups d’Etat financiers en remplacement des «Concessions » et la politique des missiles en remplacement des canonnières. Avec le poids des armes, ils conjuguent et combinent les pratiques de l’usure et du chantage à la famine et à la détresse matérielle.
Dans la dynamique d’ensemble, les évolutions se déroulent dans les
différents pays sous des formes complexes et spécifiques à chacun d’eux. Face aux modalités multiples de pression et d’agression, les réactions sont diversifiées selon le poids relatif des
aspirations nationales et populaires, leur niveau de conscience, l’union et l’efficacité de leurs résistances. Evidemment, les media inféodés ou sous influence, dans leur grande majorité,
contribuent de leur mieux à obscurcir les problèmes, en mettant en avant les aspects subjectifs, spectaculaires et de diversion, à l’encontre du bon sens et de « l’expertise sociale »
fondée sur l’expérience acquise grâce à leur vécu depuis des décennies par les populations et par les cercles politiques ou étatiques honnêtes et responsables.
Ainsi,
au cours du dit « printemps arabe », les opinions patriotiques et démocratiques ont été déroutées chaque fois qu’elles appréciaient superficiellement et isolément chacune des
données qui s’imbriquent et s’affrontent. Nombreux par exemple ont cru que les grands espoirs et les premiers succès arrachés par les soulèvements populaires tunisien et égyptien
allaient se reproduire automatiquement ailleurs et à l’identique. D’autres au contraire, après la tragédie libyenne, sont prêts à accepter que tout est déjà joué et qu’il ne reste aux autres
peuples et Etats, dont les Algériens, qu’à se coucher devant le rouleau compresseur conjugué de l’OTAN, Wall Street, la « Françafrique », la BCE et les monarchies
archéo-modernistes du Golfe.
Parmi les courants authentiquement libérateurs, le fil conducteur de la contradiction fondamentale bien réelle qui les oppose aux intérêts impérialistes insatiables, n’est pas toujours clair. Les
évolutions complexes au cours de l’année écoulée ont été, comme d’habitude, embrouillées et biaisées par des conjonctures, des manœuvres et des tactiques
« contre-nature ». Les aboutissements concrets inégaux et les cheminements à venir pour la Tunisie, l’Egypte, la Libye et d’autres pays aujourd’hui ciblés,
sont en dernière analyse le résultat d’interactions multiples entre des facteurs sous-jacents importants mais peu apparents quand l’émotion compréhensible l’emporte sur
l’analyse.
Les trois facteurs
suivants sont déterminants: l’Histoire passée ou plus récente de chaque pays avec ses réalités et ses tendances lourdes ; les intérêts économiques et enjeux stratégiques en cause dans
la région ; enfin les rapports de force à la fois externes et internes propres à chacun des cas concernés.
Oui et non.
Oui jusqu’à un certain point, parce que le volontarisme ne suffit pas à lui seul. Et non, parce que la volonté et l’action unie des peuples et forces sociales opprimées pèsent aussi de leur grand
poids.
Les évènements les plus saillants de
l’année écoulée ont confirmé qu’il ne suffit pas de « s’indigner », de « chauffer le bendir », d’engager des initiatives audacieuses pour obtenir des changements profonds. Les
évolutions radicales ne relèvent ni de la spontanéité ni de directives ou d’injonctions « presse-bouton ». Elles se construisent dans une action politique à la fois résolue et
consciente capables de modifier et faire basculer les rapports de force internes et externes qui entravent les changements limités jusque-là à de trompeuses
réformettes.
Beaucoup dépend de la capacité des peuples et des sociétés à briser le champ clos des luttes au sommet, à faire irruption sur la scène politique et peser davantage
par leur mobilisation unitaire plus massive.
Cette capacité est le résultat d’une construction sur la durée, pas toujours ni forcément spectaculaire. Elle repose sur un socle politique, social, idéologique et culturel d’actions et
d’expériences accumulées et suffisamment intériorisées par la société et la scène politique.
Ce potentiel sous-jacent aux évènements a fait la force et les succès relatifs des mouvements tunisien et égyptien par rapport aux drames ou impasses en Libye, au Yémen, en Syrie, pour
lesquels ce socle a été absent, défaillant ou faussé par les enjeux et manœuvres externes.
Dans le passé, ce socle socio-politique avait fait mûrir, malgré les insuffisances, l’insurrection algérienne du 1ernovembre 54, le tournant (un vrai Dien Bien Phu politique) de
Décembre 1960, les grandes nationalisations et mesures sociales de Février 1971, la brève percée démocratique et les quelques acquis politiques et sociaux d’après Octobre 1988. Avec ce
dernier évènement, l’Algérie a été pionnière de ce que certains qualifient aujourd’hui de « printemps » et qu’il serait plus indiqué d’appeler une « tempête arabe »,
annonciatrice de nouveaux développements encore incertains mais sûrement mouvementés et de grande ampleur.
L’Octobre algérien de
1988 a montré par avance depuis vingt ans comment une secousse socio-politique de cette nature peut déboucher sur des tragédies et régressions comme celles de la décennie noire algérienne des
années 90 et ses conséquences ultérieures. Les « thawrat » et « intifadhat »arabes actuelles y sont fortement exposées dans l’immédiat ou à terme, si ses acteurs ne
parviennent pas à surmonter les défaillances et insuffisances politiques, rapidement récupérées ou exploitées par les cercles conservateurs, contre-révolutionnaires et liés aux intérêts
néocoloniaux et impérialistes.
Certains ont parlé de « retard algérien » par rapport aux bouillonnements spectaculaires observés au Maghreb et au Machreq. Outre que ce constat ne rend pas compte des innombrables
mouvements de « basse intensité » qui parcourent en profondeur la société algérienne, ce retard apparent exprime selon moi, la douloureuse maturation d’une évolution qui voit déjà
poindre nombre de prémices d’actions et de potentialités prometteuses dans toutes les couches des sphères civiles, politiques, associatives et même institutionnelles.
L’émergence du torrent souterrain actuel sera bénéfique ou non selon qu’il aura été ou non maîtrisé et conduit politiquement par les acteurs avides de progrès réel et du bien
commun.
Cela est valable pour tous les pays de la région. Mais s’agissant de l’Algérie à
la veille du cinquantenaire de l’indépendance, j’entends par là une capacité à tirer les enseignements du demi-siècle, pour prolonger et faire avancer à meilleur terme
« ath-thawra » de 1954-62. On s’est beaucoup enorgueilli de cette Révolution dans les familles meurtries et dans les organisations qui en ont conservé le sens authentique. On
en a beaucoup parlé dans les commémorations officielles, mais la Révolution s’est arrêtée au milieu du gué. Elle a été pervertie et détournée par des couches et des secteurs qui le plus souvent,
comme cela se voit aujourd’hui en Tunisie ou en Egypte, n’avaient pas toujours été aux premiers rangs des initiatives et des sacrifices. Pourtant, avec ses ressources humaines et matérielles,
l’Algérie est encore capable,, sous les formes pacifiques propices à l’édification nationale et sociale, avancer à travers les dangers en redonnant tout son sens à l’élan initial du
peuple de « va-nu-pieds » qui avait cru viscéralement à la devise « Par le Peuple et pour le Peuple ». Qui, animé de cet espoir, a accompli le miracle de mettre fin à
l’emprise coloniale directe. Qui peut le prolonger s’il garde ou acquiert la capacité à repérer les obstacles, les erreurs et les insuffisances qui ont brisé ou détourné son élan.
La tâche commune face aux forces mondiales antidémocratiques qui se sont redéployées contre les besoins et les espoirs des peuples de l’Atlantique au Golfe, c’est de corriger toutes ces
insuffisances par la mobilisation unitaire dans l’action, qui est la meilleure école et le meilleur guide pour reprendre pied dans l’avenir.
Les obstacles sont externes et internes, les premiers pesant lourdement sur les
seconds.
Les dirigeants des puissances capitalistes occidentales, leurs « think thanks » et leurs relais locaux voient leur système planétaire contesté, en déclin ou en grand danger un peu
partout. En même temps qu’ils déploient leur agressivité et leur fameuse « stratégie du choc » destinée à tétaniser les résistances, ainsi que l’arme des dépendances économique,
technologique et militaire, ils cherchent parallèlement à insuffler aux peuples leur propre désarroi et leurs angoisses quant à l’avenir. Ils voudraient que face à leur mythique toute-puissance,
nos peuples restent recroquevillés sur le complexe et la fatalité du « colonisable » et de l’impuissance, dont on nous chantait le refrain du temps de l’occupation. Ils visent
particulièrement les milieux intellectuels, les secteurs médiatiques « faiseurs d’opinion » ou détenteurs de responsabilités politiques ou administratives. Or malgré les déboires
d’après l’indépendance, ce complexe de la guerre psychologique ne pèse plus devant la mémoire et la fierté encore viscérale d’avoir mis à la porte les prédécesseurs des néocolonialistes actuels,
dans des contextes et des rapports de force globaux qui étaient apparemment aussi défavorables sinon plus qu’aujourd’hui.
A la veille de
novembre 54, prétendant que l’Algérie était une oasis de paix entre les incendies qui enflammaient les deux ailes occidentale et orientale du Maghreb, les partisans européens de
« l’Eurafrique » préparaient leurs couteaux pour dépecer et se partager les zones d’influence de notre continent, en appui sur la CED (Communauté Européenne de Défense) qu’ils tentaient
de forger aux côtés des forces de l’OTAN, dont une division française mécanisée installée en Allemagne fut dépêchée en Algérie dès les premiers jours de l’insurrection.
On sait ce qui est advenu de la prétention impérialiste. Ce rêve récurrent de
domination des peuples jugés fragiles doit connaître, sous des formes appropriées, la même riposte et la même fin lamentable. C’est un rêve creux que celui qui s’exprime en termes classiques de
supériorité écrasante des géants sur les nains militairement et économiquement démunis. Si les peuples irakien et libyen malgré leurs potentialités considérables ont connu le désastre, c’est
parce que leurs dirigeants ont jeté leur pays dans le piège des prétentions et des atouts de puissance militaire et financière alors qu’un fossé politique béant se creusait entre les populations
réprimées et divisées et le système dirigeant.
Méditons au contraire comment des « petits » peuples et pays, placés dans un environnement exceptionnellement hostile de blocus médiatique et économique, de pression et d’agressivité militaire, ont maintenu haut et ferme la juste cause de leur peuple jusqu’à susciter la plus grande attention et solidarité mondiale : Pourquoi Cuba coupée depuis vingt ans du puissant soutien de l’URSS est toujours debout aux portes des USA ?, Pourquoi la cause palestinienne si durement frappée depuis 60 ans recueille la quasi-unanimité de l’opinion internationale, pourquoi les résistances populaires de cette région si vulnérable ont mis à deux reprises en échec au Sud Liban ou à Gaza le formidable potentiel militaire israélien qui avait battu et détruit de grandes armées classiques arabes ? Pourquoi le « petit » peuple grec, poussé à la détresse matérielle quotidienne par les nouveaux gauleiters financiers européens et des dirigeants indignes qui bradent le pays, a pris néanmoins la stature d’un grand et respectable symbole des aspirations populaires mondiales et du rejet de la dictature financière et de l’humiliation ? L’Algérie n’a-t-elle pas les moyens d’être plus au niveau des espoirs nationaux et populaires, du haut de sa rente financière, de son précieux potentiel humain et de sa fierté historique désormais menacée de discrédit ?
Le cycle d’échecs , d’impasses et de malheurs répétés depuis les décennies de l’indépendance donneraient effectivement à désespérer si les enseignements n’en étaient pas tirés à temps et les correctifs mis en œuvre de façon radicale, Les changements à espérer, à l’encontre d’un contexte international moins favorable, ne peuvent être l’œuvre du seul système en place qui s’est enfermé dans des orientations non seulement improductives mais génératrices de nouvelles spirales de dégradation impossibles à colmater par de trompeurs effets d’annonce et de tardives et insignifiantes réformes rapidement désavouées ou dépassées. Que dire d’un Etat qui brasse des centaines de milliards et qui en cinquante ans n’a même pas mis en place pour les citoyens d’élémentaires cartes et moyens de paiement susceptibles de saisir les flux commerciaux et financiers. Le seul espoir qui reste à l’Algérie vient d’une possible et nécessaire mobilisation des secteurs encore sains de la société, du champ politique et de l’Etat, mobilisation assez puissante et consciente pour contraindre le système au sauvetage du pays.
Il n’y a pas d’autre alternative, elle est à la hauteur des dégâts et du mal constatés. A moins que le peuple algérien se résigne à n’être que le troupeau des moutons de l’Aïd offerts aux monopoles et maîtres du monde autoproclamés. Lutter n’est pas la voie de la facilité mais dans l’immédiat c’est la seule pour atténuer les souffrances et sacrifices imposés aux peuples et, c’est aussi la seule sur la durée, pour contribuer à forger les perspectives d’une transformation suffisante des rapports de force régionaux et internationaux. Dans tous les cas, lutter n’est pas une vue de l’esprit, la volonté s’en exprime quotidiennement sur la scène sociale et politique à la base, avec certaines répercussions perceptibles mais encore insuffisantes aux échelons étatiques et de pouvoir. La grande question, comme l’a bien exprimé une analyse du CNES (Coordination Nationale de l‘Enseignement Supérieur) concernant l’état du mouvement syndical, sur quels axes doivent s’élever les niveaux de conscience pour éclairer et faire converger les volontés de lutte évidentes mais entravées par les incompréhensions entretenues par les hégémonismes extérieurs et internes ?
Pour ma part j’en vois trois, que j’appelle le trépied de la stabilité et de la
réussite du processus de libération et d’édification après l’indépendance. Qu’un seul de ces pieds manque et tout l’édifice reste bancal ou s’écroule. C’est, comme dans d’autres pays du monde
arabe, la raison des échecs dont ont été responsables leurs régimes qui même lorsque ils ont progressé ou réalisé dans un ou deux des domaines essentiels, ont négligé ou sabordé l’un ou les deux
autres.
Avant d’énumérer les éléments de ce trépied, je souligne que son absence ou sa faiblesse, comme dans d’autres pays de la région, résulte d’une tare originelle, apparue au grand jour en Algérie
dès la crise de l’été 1962. La défaillance centrale est à partir de
cette date, d’avoir abandonné et laissé tomber des mains du mouvement national sa meilleure arme, l’arme politique à seule fin et avec l’illusion d’utiliser la possession des armes de
guerre pour trancher arbitrairement dans les problèmes de tous ordres posés au pays. La vie et les mœurs politiques s’en sont trouvées perverties et réduites à des intrigues
politiciennes. La juste cause populaire et les intérêts de l’Algérie profonde se sont trouvés désormais prisonniers d’un mode de fonctionnement où le critère n’était plus que les citoyens
soient jugés selon la conformité de leurs actes à l’intérêt général mais selon leur allégeance aux clans, aux sensibilités identitaires aisément manipulables, aux personnes ou factions
détentrices des instruments de la violence armée. Il se trouve que non seulement cela a nui à la réalisation des tâches d’édification mais sous tous les régimes arabes a fragilisé les
nations et les Etats en rendant leur fonctionnement dépendants seulement ou principalement des institutions militaires dont la force et la cohésion sont
elles-mêmes à la merci de tant de problèmes quand le pays repose sur un trépied bancal, un front intérieur lézardé.
Le trépied garant du processus de libération et de développement repose en effet impérativement et à la fois sur :
1. Sur la démocratie comme objectif et comme moyen, la démocratisation de la vie politique et sociale dans toutes ses dimensions ; englobant le respect et la promotion de toutes les libertés
et les droits humains, la compétition politique régulée au sein d’un Etat de droit et pas seulement les pratiques électorales, dont on sait à quel point elles-mêmes sont fragiles et méritent
d’être défendues.
2. L’importance du facteur social, de la justice, du progrès, du lien social. Ce n’est pas pour rien que ce facteur a été souligné avec force par l’appel du
1er novembre. Ce facteur de cohésion et de constitution des alliances dans la transparence implique en premier lieu le respect des libertés syndicales et la
des revendications, qui ont subi les premières attaques et les abus de pouvoir.
3. La mobilisation et la solidarité anti-impérialistes : un axe capital que j’ai déjà abordé plus haut. Les régimes arabes n’ont pas eu de position conséquente sur ce point, l’exemple type
étant Qaddafi naviguant entre des positions extrêmes plus ou moins aventuristes et des compromissions du plus bas étage. L’important est qu’il s’est agi souvent de positions non
connectées avec l’opinion nationale.
L’intérêt de cette notion de triple exigence est qu’elle éclaire le pourquoi du fiasco de régimes qui présentaient par tel ou tel aspect de leur politique des aspects encourageants ; mais un
Nasser ou un Boumediène, dans leurs meilleurs moments ou initiatives anti impérialistes ou sociale, avaient des illusions sur la possibilité « d’acheter » la technologie chez les
Occidentaux et de les « rouler », de jouer au plus malin avec eux, ils réprimaient durement les courants authentiquement socialistes et faisaient preuve de complaisance envers des
milieux peu portés sur l’intérêt national ou la justice sociale
Mettre l’accent sur ces trois axes permet d’orienter les efforts pour la constitution de programmes d’action, initier des mobilisations unitaires couvrant un large éventail patriotique
….
Propos recueillis par Samir Bouakouir. La Nation.info
Samir Bouakouir
Authentique homme de gauche, Sadek Hadjerès, un des trois anciens secrétaires
nationaux du PCA (avec Bachir Hadj Ali et Larbi Bouhali) et premier Secrétaire du PAGS (1966-1990), parie sur une "plus grande lisibilité des enjeux de
classe et des problématiques sociales concrètes". Ce que rend possible une meilleure visibilité des acteurs sociaux, des syndicats autonomes, des associations et des acteurs
politiques. L’épais « brouillard idéologique » se dissipe pour redonner de la clarté dans l’analyse des contradictions sociales. Ce marxiste, en quête d’approches lucides malgré le
poids des ans, n’a eu de cesse de pourfendre les nuisances des "phénomènes identitaires" lorsqu’ils sont fondés sur des conceptions biaisées de la nation, de la religion ou des langues, à
l’origine des faux clivages, à la source des violences manipulées. La perversion la plus nocive des enjeux fondamentaux, lourde de conséquence, a notamment pris la forme d’un "pseudo affrontement
idéologique entre laïcisme et islamismes", encouragé par des courants du pouvoir dont il faisait l’affaire.
De la « métaphysique !», aime à répéter Hadjerès, quand on insiste un peu sur l’éventuelle légitimité de ce type de confrontation. « Islamisme, Nationalisme, Berbérisme,
Communisme et autres …ISMES lorsqu’ils sont abordés dans des globalités théoriques sans référence à l’analyse concrète des situations, des enjeux économiques et des rapports sociaux ,
sont des « notions abstraites » qui tendent à occulter les réels enjeux sous-jacents et s’y substituer ». Ce qui compte, pour ce fidèle de l’analyse matérialiste, c’est « le
contenu de classe », les contradictions et les luttes antagoniques ou unitaires qui en découlent.
C’est précisément cet enseignement que certains de ses camarades, une minorité selon lui, ont renié en créant Ettahadi par le sabordage du PAGS, à une époque où « la fin de l’Histoire »
était à la mode sous la houlette des refondateurs ultralibéraux de la planète ». Plus qu’une « dissolution formelle avec un changement de sigle », c’est d’un « changement
radical d’orientation politique, stratégique et organique dont il s’agissait, au mépris des statuts du PAGS adoptés à son Congrès de 1990 et dont l’histoire des cheminements et le bilan
restent à faire».
En clair, les militants et la base sociale du PAGS ont été la première victime d’un procédé largement éprouvé, qui a caractérisé la « culture » politique nationale et a
atteint l’ensemble des organisations et de la vie politique algérienne : le coup d’Etat « scientifique » et ses « redressements » par le haut.
Il ne mâche en tous cas pas ces mots : Ettahadi a tourné le dos non seulement au PAGS mais aux traditions démocratiques et sociales du mouvement ouvrier et paysan algérien !
Pour Hadjerès, Ettahadi a pris le contre-pied des orientations les meilleures du mouvement communiste algérien, qui remonte à 1936 à cette alliance de lutte progressiste entre les
communistes et les oulémas de Ben Badis. Une alliance qui à travers la qualité des luttes sociales et culturelles, a « grandement contribué à l'émergence de la conscience nationale ».
Une orientation que l’infatigable militant communiste résume en rappelant en substance une des idées et des mots de feu de Sadek Aissat et de bien d’autres : « le plus grand
problème pour nous communistes n’est pas en soi d’être avec ou contre le FIS, c’est d’être ou non avec et aux côtés des masses musulmanes dans leurs aspirations sociales, leur sensibilité et
leurs luttes légitimes ».
Le jugement est donc sans appel : Ettahadi n'a rien eu à voir avec le PCA et le PAGS. L'orientation libérale qu'il s'est donnée avait rompu catégoriquement avec l'héritage progressiste.
On peut bien sûr ne pas partager la stratégie de "soutien critique" au pouvoir du parti unique, expression que Hadjerès récuse fortement comme n’étant qu’une « caricature polémiste de la
stratégie et de la pratique globales du PAGS ». A titre d'exemple, « le PCA avait soutenu les combats de l’ALN-FLN malgré certaines pratiques anticommunistes virulentes durant la
guerre. De la même façon, au moment où nombre de nos militants étaient emprisonnés, torturés, persécutés, le soutien apporté à la réforme agraire ou aux grandes nationalisations « qui sont
le poumon économique, malheureusement saboté par l’autoritarisme et la corruption, grâce auquel l’Algérie a survécu jusqu’ici, n'impliquait aucunement un soutien aux pratiques du système de
pouvoir de Boumediène que nous avons dénoncé et combattu au prix de la liberté et des sacrifices des militants du PAGS qui ont été les premiers et les seuls à se dresser contre ce système
dans les premières années qui ont suivi le coup d’Etat de juin 65».
On peut également accuser les responsables du Pags de s’être accommodés du despotisme au nom de la stratégie de la VNC (voie non capitaliste), ce que Sadek Hadjerès récuse comme une
schématisation de l’Histoire. Mais on ne peut qu'acquiescer lorsqu'il pointe les dérives de ceux qui se "prétendaient" les continuateurs du PAGS en s'inscrivant volontairement ou inconsciemment
dans la stratégie des « « forces compradores, réactionnaires et de corruption » du régime post janvier 92. Les mêmes forces que le commun des Algériens désignent sous l’expression
de « mafia politico-financière » et qui, en juin 91, ont fait chuter le gouvernement Hamrouche et fait avorter des reformes que Hadjerès considérait comme « démocratiques et
progressistes, soucieuses de préserver les acquis sociaux et qui ne remettaient pas en cause la souveraineté de notre pays ».
22 novembre 2011. Lien La Nation.info
Repères
biographiques
Né en 1928, étudiant, médecin praticien et chercheur en sciences médicales
jusqu’en 1955.
Responsable de groupe des SMA (Scouts Musulmans Algériens) en 1943. Militant du PPA en 1944 et responsable de la section universitaire de ce parti en 1948. L’un des trois rédacteurs, au sein du
PPA en 1949, de la plate-forme démocratique « L’Algérie
libre vivra ». Quitte le
PPA après la crise.
Président de l’AEMAN (Association des Etudiants Musulmans de l’Afrique du Nord) en 1950.
Adhérent de base du PCA en 1951. Membre du CC de ce parti en 1952 et du BP en 1955. Directeur de la revue « Progrès » en 1953-54 et conseiller général de l’Est-Mitidja-El’Harrach en
1955.
Pendant la guerre d’indépendance, clandestin à partir de décembre 1955, condamné aux travaux forcés par contumace, responsable national-adjoint de l’organisation armée « Combattants
de la Libération ». Avec Bachir
Hadj Ali en Avril-Juin 1956), il négocie et organise avec les dirigeants du FLN l’intégration de cette formation dans l’ALN.
Après l’indépendance, membre du secrétariat du PCA (interdit sous Benbella).
Coordinateur de son appareil clandestin pendant « l’occultation » officielle du PCA après la Charte socialiste d’Alger (1964). Suite au coup d’Etat de Boumediène (Juin 1965), nouvelle
clandestinité pendant 24 ans . Membre de l’ORP (organisation de la résistance populaire), puis l’un des fondateurs et premier Secrétaire du PAGS (Parti de l’Avant-Garde Socialiste)
Revenu à la vie légale en 1989, il se dégage en 1991 de toute responsabilité de parti. Depuis 1993, se consacre à des recherches en géopolitique auprès du CRAG (Centre de Recherches et d’Analyses
Géopolitiques à l’Université de Paris VIII). Auteur de plusieurs communications et publications, notamment dans la revue Hérodote.
Au total, 7 années de lutte clandestine sur le sol national durant la guerre de libération, 24 années de clandestinité sous le règne du parti unique FLN dont les 18 premières sur le sol national,
19 années d’exil à partir de 1992