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Publié par Saoudi Abdelaziz

Depuis que la Cour suprême, en 2010, a levé toute restriction au financement des comités d’action politique, les « super PAC », qui soutiennent les candidats à la Maison-Blanche, une poignée de richissimes donateurs, détiennent les clefs de la campagne.

 

Par Virginie Robert

 

Les médias américains ne parlent que de ça. La campagne présidentielle est corrompue jusqu'à la moelle. Et c'est la faute de la Cour suprême, qui a ouvert les vannes à des flots d'argent inondant sans complexe et sans retenue des comités d'action politique favorables aux candidats. Quelques supermillionnaires ont entre leurs mains le destin des postulants à la Maison-Blanche et font monter les enchères, pour ce qui va être la campagne la plus chère de l'histoire des Etats-Unis. Celle-ci va facilement dépasser le milliard de dollars. Et si l'on prend en compte toutes les élections fédérales de 2012, le chiffre de 8 milliards de dollars est maintenant évoqué.

Rien ne justifie une telle débauche de moyens... si ce n'est qu'elle a été récemment rendue possible. En 2010, la Cour suprême des Etats-Unis a en effet autorisé les entreprises et les syndicats, comme les individus, à financer - sans limite aucune -des comités d'action politique, les super PAC (« political action committees »), qui soutiennent un candidat de leur choix. L'arrêt Citizens United est fondé sur la protection de la liberté d'expression par le Premier Amendement de la Constitution. De fait, « les juges ont donné aux entreprises un droit constitutionnel à dépenser de l'argent et influencer les élections fédérales », constate Fred Wertheimer, le président de Democracy 21, une organisation qui milite pour réformer les campagnes électorales.

Selon la Federal Election Commission, 777 millions de dollars ont déjà été recueillis en 2011. Les appels à contribution vont encore se multiplier dans les mois à venir, et les montants ne devraient cesser de grossir à l'approche du scrutin de novembre.

 

Publicités négatives

 

Cette débauche de ressources - dont la provenance n'est pas forcément connue -a déjà profondément altéré le cours de la campagne des primaires républicaines, où le candidat « dangereux » du moment est systématiquement matraqué par des publicités négatives payées plusieurs millions de dollars par les super PAC adverses. « Il est désormais prouvé que les super PAC peuvent lever davantage d'argent que les candidats et dépenser plus qu'eux. Ils ont pris la part du lion dans le financement politique », note Anthony Corrado, professeur à l'université de Colby, dans le Maine, un spécialiste du financement électoral. Cela rend la campagne plus concurrentielle d'un point de vue financier et cela force également les candidats à dépenser plus. « Tout cet argent finance des petites boutiques qui se nourrissent des campagnes, comme les instituts de sondages, les agences de publicité, les spécialistes en marketing politique, sans oublier les médias », observe Charles Kolb, président du Committee for Economic Development, un think tank de Washington.

Ce trop-plein risque aussi de nuire au jeu démocratique. « L'argent illimité et l'argent secret dans nos élections sont les ingrédients de la corruption et du scandale, et nous n'y échapperons pas », prévient Fred Wertheimer.

Plusieurs problèmes se posent en effet. Contrairement aux règles qui régissent le financement des partis et des candidats, il n'y a aucun plafonnement aux dons faits aux super PAC. Légalement, un individu ne peut donner plus de 2.500 dollars pour les primaires, autant pour la campagne générale et, chaque année, un maximum de 30.800 dollars au parti de son choix. Mais on a vu depuis l'an dernier des dons de plusieurs millions de dollars aller à des super PAC. Le patron du casino Sands de Las Vegas, Sheldon Adelson, a ainsi injecté avec sa femme 10 millions de dollars dans Winning Our Future, le comité d'action politique qui soutient l'ancien président de la Chambre des représentants, le populiste Newt Gingrich. Une contribution qui lui a permis de se battre à coups de spots télévisés et d'emporter la primaire de Caroline du Sud. Dans une interview au magazine « Forbes », le milliardaire a déclaré qu'il pourrait aller jusqu'à 100 millions de dollars.

 

Des candidats portés à bout de bras

 

Parce que la compétition est rude entre les républicains, les primaires sont extrêmement coûteuses pour les candidats. Hormis Mitt Romney, qui ratisse large, ses rivaux, à l'instar de Newt Gingrich, ne tiennent que grâce à l'intervention d'un ou deux généreux donateurs qui soutiennent de préférence leur super PAC - puisqu'il n'y a pas de limites. Foster Friess, un millionnaire du Wisconsin, est ainsi derrière l'ultraconservateur Rick Santorum, tandis que Peter Thiel, cofondateur de PayPal et actionnaire de Facebook, porte à bout de bras le super PAC du libertarien Ron Paul. Sans leur appui, ces derniers auraient déjà dû abandonner la course, faute de financement. « Gingrich et Santorum ont autant de dettes que d'argent levé mais quelques individus sont capables de les maintenir dans la course à coups de millions de dollars », indique Anthony Corrado. « Le système est corrompu à deux niveaux. Il donne à des superriches une influence exagérée sur les primaires et crée aussi la possibilité de corrompre le candidat qui gagnera », assure pour sa part le président de Democracy 21. « Ce sont eux qu'il faudrait interroger sur leurs intentions, plutôt que les candidats », a ironisé sur MSNBC Tina Brown, l'éditeur de « Newsweek ». Il est clair, par exemple, qu'un donateur comme Sheldon Adelson, grand ami d'Israël, influencerait immanquablement la politique étrangère de « son » candidat.

 

Opacité sur l'identité des donateurs

 

Selon la Federal Election Commission (FEC), 25 % des fonds versés aux super PAC proviennent de seulement cinq individus : le Texan Harold Simmons, qui a arrosé à peu près tous les candidats républicains, Sheldon Adelson, Peter Thiel et un autre Texan, Bob Perry, qui a notamment donné 7 millions de dollars à American Crossroads, le super PAC anti-Obama de Karl Rove. Côté démocrate, on trouve le financier de Chicago John Rogers, PDG d'Ariel Investments. Jeff Katzenberg, le patron de DreamWorks, mérite aussi d'être mentionné car c'est un grand soutien financier du parti de l'âne (par opposition à l'éléphant républicain).

 

Autre constat, le manque de transparence : les noms des donateurs ne sont révélés qu'épisodiquement à la FEC, et encore, ils peuvent se dissimuler derrière une association ou une organisation quelconque. Car les super PAC ne sont pas les seuls à profiter de cette opacité. Un lobby comme la Chambre de commerce américaine, qui a clairement indiqué qu'elle participerait à la campagne, n'est pas tenu de révéler l'identité de ses donateurs. En fait, à condition que la politique ne soit pas leur activité principale, un certain nombre d'organisations à but non lucratif peuvent lever autant d'argent qu'elles le souhaitent, payer des publicités ou donner à des super PAC sans jamais avoir à révéler l'identité de la personne soutenue.

Enfin, les super PAC sont en théorie indépendants des campagnes des candidats et supposés intervenir de leur propre chef. Mais, en pratique, « ils ont été montés par des anciens collaborateurs des candidats. Ils opèrent de façon parallèle aux équipes de campagne », explique Anthony Corrado. « C'est une vraie farce, il est impossible de croire qu'ils ne collaborent pas ensemble », estime Charles Kolb. « En fait, poursuit Anthony Corrado, on assiste à une division du travail entre le PAC, qui se charge des attaques télévisées négatives contre les concurrents, et la campagne, qui finance des publicités positives sur son candidat. » C'est ainsi que Restore Our Future, le super PAC qui soutient Mitt Romney et le mieux financé de tous, a dépensé 3 millions dans l'Iowa pour descendre en flammes son rival Newt Gingrich et encore plus en Caroline du Sud, où celui-ci l'a pourtant battu. Maintenant, les canons sont tournés contre Rick Santorum, qui menace l'ex-gouverneur du Massachusetts pour les primaires dans l'Arizona et le Michigan, qui se tiennent aujourd'hui.

 

Obama rejoint la bataille

 

Les républicains ont clairement un grand avantage avec les super PAC car ils se sont organisés plus tôt. Les choses vont se corser pour l'élection générale. Via America Crossroads, Karl Rove, l'ancienne éminence grise de George Bush, espère lever un total de 240 à 300 millions de dollars. Son seul objectif : faire tomber Obama. Par pragmatisme et après avoir vivement critiqué la Cour suprême, le président a cédé à la pression et autorisé son propre super PAC, Priorities USA, à rejoindre la bataille. Ce dernier n'a que 1,3 million de dollars en caisse pour l'instant. Si des officiels de son administration participeront aux efforts de « fund raising », le président, son épouse et le vice-président s'en dispenseront. « Nous l'avons fait parce que nous ne pouvons accepter que le travail que vous faites dans vos communautés soit détruit par des centaines de millions de dollars de publicité négative », a expliqué aux militants démocrates Jim Messina, le directeur de campagne de Barak Obama. Pour Anthony Corrado, cette volte-face d'Obama est « le signe clair qu'il pense qu'il n'aura pas l'avantage financier autrement ».

 

Cela complique aussi les espoirs de réforme rapide. Mi-février, Democracy 21 a demandé au ministre de la Justice, Eric Holder, d'enquêter sur les super PAC en faveur de Barak Obama, de Mitt Romney et de Rick Santorum pour violation des lois sur le financement électoral. « L'histoire de ce pays est faite de scandales qui amènent des réformes. C'est le cas aujourd'hui. Et nous espérons que les réformes se feront en 2013 », indique Fred Wertheimer. Son groupe prépare une législation qui traiterait les super PAC dédiés au soutien d'un candidat comme le bras armé de son équipe de campagne, utilisé à seule fin de contourner les lois sur le financement électoral. L'objectif du texte est de contraindre ces comités d'action politique à respecter les mêmes règles que celles imposées au candidat. Pour Charlie Kolb, les Américains ne peuvent qu'être écoeurés par cette évolution de leur système politique. Lui aussi croit que les scandales sont inévitables. « Il faut que quelqu'un mène cette réforme au plus haut niveau national », assure-t-il. Une façon de souligner qu'il y a là une promesse que Barak Obama n'a pas tenue.

 

VIrginie Robert, 28 février 2012. Les Echos.fr

 

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