Désindustrialisation : le point de non-retour ?
« L'enquête de l'ONS confirme l'ampleur de désindustrialisation et l'explosion des activités commerciales et de services liés à l'importation », écrit aujourd’hui M. Saadoune, dans son éditorial du Quotidien d’Oran. Il note la faillite économique de la « contre-réforme », mise en œuvre depuis le début des années 90, lorsque le pouvoir a mis fin aux tentatives de réforme entreprise par le gouvernement Hamrouche, au lendemain de l’avertissement d’octobre 1988 : « Le tissu industriel public s'est dégradé et désintégré au cours des vingt dernières années, il n'a pas été remplacé par le secteur privé algérien qui n'avait ni les dimensions ni les moyens de prendre la relève. En cours de route, le savoir-faire industriel acquis s'est étiolé ». En contrepoint, Farid Haddouche, correspondant local du journal, dresse un constat valable pour toutes les régions d’Algérie, en notant : « Dans la région de Sour El Ghozlane, le marasme est visible, malgré les capacités de développement existantes, le changement tarde à s'affirmer ».
Sour-El-Ghozlane : le chômage en question
Par Farid Haddouche
Sour El Ghozlane l'une des plus considérables communes de la wilaya de Bouira, si ce n'est la plus importante, elle se situe à 35 km au sud du chef-lieu de la wilaya, Bouira. Les opportunités de développement s'y trouvent réellement, avec la création de la zone industrielle de Sidi Khaled qui se trouve à une dizaine de kilomètres à vol d'oiseau de la commune de Sour El Ghozlane, et qui comporte toute une kyrielle d'entreprises de fabrication dans des domaines différents de l'économie, avec comme tout ce qu'elle génère comme création d'emplois permanents. En plus des conséquents projets lancés dans le cadre de l'intéressant programme des Hauts Plateaux, dont tire spécialement profit la daïra de Sour El Ghozlane.
Pourtant cette dernière avec ses 50.000 habitants, n'arrive toujours pas à connaître l'essor. Nombreux sont les citoyens que nous avons rencontrés particulièrement jeunes, se plaignent du chômage qui est omniprésent et des difficultés rencontrées dans l'amélioration de leur vie quotidienne. Les deux grandes usines, qui se trouvent à proximité de la ville de Sour El Ghozlane, qui sont l'ENAD, une fabrique spécialisée dans la production des détergents et l'ERCC, une usine de ciment. Ces deux complexes importants ont certes offert des postes d'emploi aux citoyens auparavant, mais avec le nombre de la population qui a augmenté depuis, il se trouve que des milliers de jeunes chômeurs ne trouvent pas de travail, du moins un emploi qui puisse leur assurer une carrière dans leur vie.
Certes il y a des dispositifs de recrutement dans le cadre du pré-emploi, de l'ANSEJ, de l'agence nationale de l'emploi (ANEM), et de la direction de l'action sociale et de la solidarité (DASS), il reste néanmoins des recrutements sous contrat, et à durée déterminée, c'est-à-dire temporaire, en contre partie des bas salaires. Il y a aussi des jeunes universitaires diplômés qui déclarent être désœuvrés à force de déposer des demandes d'emploi qui sont restées sans suite. Une frange de jeunes semble ne pas être attirée par la formule du pré-emploi dont ils trouvent les salaires dérisoires, il y a une autre catégorie de ces jeunes qui sautent sur l'occasion parce qu'ils n'ont aucun autre moyen de vie. En somme, dans la région de Sour El Ghozlane, le marasme est visible, malgré les capacités de développement existantes, le changement tarde à s'affirmer.
Le Quotidien d’Oran, 15 juillet 2012
LE VIRAGE ET L'ICEBERG
Editorial de M. Saadoune
Des économistes se sont encore exprimés avec une vigueur inquiète sur l'état de l'économie algérienne au sujet des résultats de l'enquête de l'ONS qui confirme l'ampleur de désindustrialisation
et l'explosion des activités commerciales et de services liés à l'importation. L'angoisse de ces experts n'est pas surfaite quand on conjugue les paramètres des besoins en constante augmentation,
des ressources non renouvelables à la durée limitée et une croissance très molle.
Se projeter sur trente ans à
partir des paramètres actuels - et des politiques qui sont menées - n'a rien de réjouissant. Et c'est sans doute cela la source de la formule choc de l'économiste Abdelmadjid Bouzidi sur une
économie faite de «bric et de broc». L'enquête de l'Ons n'a sans doute pas appris des choses nouvelles aux économistes algériens mais ils s'en saisissent, à juste titre, de manière citoyenne,
pour souligner que l'économie algérienne n'est pas sur la bonne pente. Ce constat est partagé par des économistes qui n'ont pas forcément la même vision sur la place du secteur privé ou du
secteur public ou sur la nature du rôle de l'Etat. Les constats sont suffisamment établis sur les raisons de cette régression. Le tissu industriel public s'est dégradé et désintégré au cours des
vingt dernières années, il n'a pas été remplacé par le secteur privé algérien qui n'avait ni les dimensions ni les moyens de prendre la relève. En cours de route, le savoir-faire industriel
acquis s'est étiolé…
La
solution est connue : il faut diversifier l'économie, favoriser les investissements productifs et sortir l'Algérie de la posture dangereuse de marché de déversement des produits étrangers
et de simple
fournisseur d'hydrocarbures. Remettre l'industrie au premier plan tombe sous le sens même si l'évidence s'est perdue après des années de désindustrialisation et de désinvestissement. Au point que
certains économistes, par dépit, suggéraient qu'il faut désormais mieux former des vendeurs et des agents commerciaux plutôt que des ingénieurs dont l'économie n'a plus besoin. Il faut bien sûr
favoriser une relance de l'industrie nationale, privée comme publique. Dans le contexte algérien actuel, et quand on sort de la vision purement idéologique, le secteur public industriel «qui
reste» peut constituer le vecteur de croissance. Mais cela dépend clairement d'une gestion selon les normes universelles, c'est-à-dire de mettre fin aux intrusions de la bureaucratie, ce qui
n'enlève en rien à l'Etat ses prérogatives dans le domaine de la politique industrielle et de soutien à la production nationale.
Il faut dire que c'est une
démarche qui avait été déjà entamée et devait s'approfondir avec le lancement des reformes politiques après l'avertissement d'octobre 1988. La suite on la connait. Dans un contexte de violences,
l'Algérie a connu un processus de contre-réforme dont la finalité consistait à «gagner du temps». On l'a perdu et il n'est pas facile à rattraper. D'ou l'angoisse de ceux qui essaient de faire
une projection sur l'Algérie dans deux ou trois décennies. Le groupe Nabni a choisi de frapper les esprits en comparant l'Algérie au Titanic qui n'a pas fait le virage au bon moment pour éviter
le contact avec l'iceberg fatal.
Le Quotidien d’Oran, 15 juillet 2012