De l'information et du côté obscur de la rébellion syrienne, par Akram Belkaid
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« Au pire peut toujours succéder l'« encore pire ».
En règle générale, et en matière d'actualité, l'être humain aime les histoires simples, celles où les frontières entre le mal et le bien sont clairement
délimitées et où l'ambigüité et le clair-obscur sont réduits à la portion congrue. Mais l'une des règles majeures du (bon) journalisme est de se méfier des contes parfaits, des situations
binaires où chaque partie (bonne et mauvaise) est bien identifiée. Malheureusement, c'est l'une des règles parmi les moins respectées en ces temps de course au clic et à l'audience, de « story
telling » (l'art de raconter une belle histoire) et de simplification du message. Le cas de la guerre en Syrie et de la manière dont elle est couverte par une majeure partie de la presse
occidentale, sans oublier les télévisions arabes Al-Jazeera et Al-Arabia, en sont une parfaite illustration. D'un côté, le mal absolu (le régime de Bachar al-Assad) et, de l'autre, le bien
personnifié (la rébellion).
Commençons par l'indispensable préalable. Le régime syrien est une dictature sanguinaire et indéfendable. A son modeste niveau, le présent chroniqueur peut
témoigner de la brutalité d'un système basé sur la peur et la délation et que seul égalait en horreurs son équivalent irakien de l'époque de Saddam Hussein (à côté de ces deux dictatures,
celle, pourtant paranoïaque, de Zine el Abidine Ben Ali faisait pâle figure). Il ne s'agit donc pas d'introduire le moindre doute. Assad et sa clique terrorisent et tuent leur propre peuple. Il
leur faudra donc répondre de leurs actes et il n'est pas acceptable qu'ils puissent se maintenir au pouvoir. Ceci étant précisé, faut-il pour autant restreindre l'information quand celle-ci ne
colle pas à la grille de lecture manichéenne chère à Bernard-Henry Levy et à tous ceux qui, comme lui (y compris en Algérie…),
n'en finissent pas d'en appeler à une intervention
militaire ? C'est d'autant plus important que personne ne sait à quoi ressemblera l'après-Assad, les « bons »d'aujourd'hui pouvant facilement devenir les « méchants » de demain comme en
témoignent certains signaux précurseurs inquiétants.
Ces questions sont légitimes. Les poser ne signifie pas que l'on défende le régime mais juste que l'on cherche à connaître la vérité sachant que cette dernière est, avec
les populations civiles, l'une des premières victimes de la guerre. D'ailleurs, à propos de populations civiles, un autre article de Fisk a largement été passé sous silence par le rouleau
compresseur médiatique anti-Assad. Il s'agit du massacre de Darraya où près de 300 personnes ont perdu la vie (2). Bien loin de la version communément admise (et qui met en cause l'armée
syrienne), il semble que la tuerie ait résulté d'un échange de prisonniers qui aurait mal tourné et que les deux parties seraient impliquées. Dire cela, le rapporter au public est une manière
de se prémunir vis-à-vis des lendemains qui déchantent. La Guerre d'Espagne a montré que le « camp du bien », en l'occurrence celui des républicains, pouvait être capable lui aussi des pires
exactions. Est-ce que cela discrédite la cause défendue par ceux qui, au final, ont été vaincus par les franquistes ? Evidemment non mais connaître la vérité, ne serait-ce au moins qu'une
partie, est nécessaire.
Le régime d'Assad finira par tomber. La question est de savoir quand et comment. Surtout, on a le droit de s'interroger à propos de ce qui va suivre. Que la lutte armée
soit menée, en partie, par des djihadistes armés par des pays comme l'Arabie Saoudite et le Qatar n'est pas forcément une bonne nouvelle. Quelle tendance va triompher au sein de la rébellion ?
Les démocrates et autres forces dites laïco-progressistes ? Ou bien alors les partisans d'une théocratie qui, une fois installés au pouvoir, s'empresseront d'oublier leurs promesses de
tolérance et de respect du pluralisme politique. Nul ne le sait mais une chose est certaine : au pire peut toujours succéder l'« encore pire ».
Akram Belkaïd, 8 septembre 2012. Le Quotidien d’Oran
Note:
(1) « The bloody truth about Syria's uncivil war »,The Independent, 26 août 2012.
(2) « Inside Daraya - how a failed prisoner swap turned into a massacre », The Independent, 29 août 2012.