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Publié par Saoudi Abdelaziz

A gauche, le prince Salman, pressenti pour prendre le trône après la mort du prince Nayef, samedi 16 juin, à droite sur cette photo.

Le roi Abdallah, 89 ans, et son prince héritier Salman (76 ans)

 

 

 

Le portrait du prince Nayef, décédé le 16 juin, trône toujours dans les bâtiments officiels, aux côtés de ceux du fondateur du royaume, Abdelaziz Al-Saoud, et du roi Abdallah. Il faudra encore un peu de temps avant que son successeur, le nouveau prince héritier, Salman, ne le remplace. Le temps, c’est précisément la ressource qui commence à manquer à la dynastie saoudienne. Les prédécesseurs d’Abdallah avaient tous moins de 65 ans lorsqu’ils avaient accédé à la fonction suprême.

 

Agé de 89 ans, l'actuel souverain est secondé par un demi-frère de 76 ans à la santé parfois chancelante, et il est douteux qu'un second vice-premier ministre, la fonction qui désigne l'héritier en second, soit rapidement nommé, faute de consensus. Le poste est déjà resté vacant entre 2005 et 2009, et depuis la mort d'un premier prince héritier, Sultan, en 2011, qui avait précipité l'ascension de Nayef. Roi, prince héritier, par ailleurs ministre de la défense, ministre de l'intérieur, tous sont au mieux septuagénaires.

 

Ce vieillissement est la conséquence d'un mode de succession horizontal qui passe par l'épuisement d'une génération - seuls sont concernés en son sein les fils jugés les plus capables - avant de parvenirà la suivante. Ce mécanisme a jusqu'à présent garanti la cohésion de la famille, mais pas sa capacité de répondre aux défis du royaume, qui sont nombreux.

 

Premier producteur de pétrole au monde, avec plus de 10 millions de barils par jour, vendus en moyenne au-dessus du prix retenu pour élaborer le budget national, le royaume saoudien a les reins solides et demeure un marché solvable attractif, mais il fait du laxisme budgétaire un mode de fonctionnement. Pour contrerl'effet de souffle potentiel du "printemps arabe", il a, par exemple, enclenché en mars 2011 un plan de dépenses publiques sur cinq ans de 130 milliards de dollars, un montant comparable au dernier plan européen, pour une population vingt fois moins nombreuse. Par ailleurs, il n'a jamais rien engagé qui pourrait contenirla consommation intérieure galopante de la richesse nationale (25 % de la production actuelle), au risque de voirles exportations sans cesse rognées alors qu'elles assurent ce train de vie dispendieux.

 

 

Supportable dans les pétro-principautés alentour dépourvues de population, cette gestion rentière montre ses limites dans un pays de plus de 20 millions d'habitants dont la moitié ont moins de 25 ans. Mal formés, dans des établissements où la part de l'enseignement religieux reste importante, concurrencés par une main-d'oeuvre étrangère qui ne se contente pas des travaux de labeur, les jeunes Saoudiens ont du mal à intégrer le marché de l'emploi. Judicieux sur le fond, l'envoi massif d'étudiants à l'étranger - environ 130 000 - ne fait que renforcerleurs attentes une fois qu'ils sont de retour au pays.

 

L'effet cumulé de ces attentes et des transitions politiques expérimentées dans le monde arabe est potentiellement ravageur pour l'alliance du sabre et du Coran qui constitue le socle sur lequel repose la monarchie. Le "clergé" saoudien a perdu de sa superbe depuis le mouvement de contestation du "réveil", il y a vingt ans, même si la dynamique qui portait ce dernier a désormais disparu. Le succès rencontré sur Internet par la vidéo réalisée en mai à partirde son téléphone portable par une jeune Saoudienne à qui la police religieuse reprochait un vernis à ongles jugé trop voyant dans l'un des centres commerciaux de Riyad, témoigne à sa manière de cette perte de légitimité et de l'exaspération que peut susciterce contrôle social tatillon et envahissant.

 

Quant à la main de fer politique, qui est aussi la marque du pouvoirsaoudien, elle était précisément incarnée par Nayef, bête noire des minoritaires que sont les libéraux, les chiites, mais également les féministes saoudiennes, qui tous tiennent bruyamment forum sur les réseaux sociaux. Que deviendra le stratégique ministère de l'intérieur sous la direction du frère du prince disparu, Ahmad, resté dans l'ombre pendant près de quarante ans ?

 

Bien décidé, en 2005, à moderniserenfin le pays après une longue régence de fait due à l'état de santé de son prédécesseur, le roi Fahd, entre 1995 et 2005, Abdallah a dû se contenter- et les Saoudiens avec lui -, de réformes limitées et de grands projets qui n'ont pas modifié en profondeur les déséquilibres du pays, à commencerpar le chômage et la pauvreté. Le souverain s'est bien lancé dans une lutte contre la corruption, qui est versée à son crédit, mais elle est loin de rejaillirsur l'ensemble de la famille royale.

 

Une course de vitesse feutrée est engagée au sein de la famille royale pour adapterla gouvernance au vieillissement de l'exécutif. Un vieillissement qui touche désormais la seconde génération, dont certains membres éminents et respectés, comme le ministre des affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, et des gouverneurs de provinces stratégiques, comme celle de La Mecque, sont également déjà septuagénaires. Ces ajustements feutrés, auxquels les Saoudiens assistent en spectateurs, ne doivent pas masquerle fait que la course contre la montre la plus importante pour le royaume reste celle qui oppose un pouvoirfondamentalement résistant au changement à une jeunesse qui pourrait exprimer, de plus en plus distinctement, son impatience et ses frustrations.

 

 

Gilles Paris, Service International, 18 juillet 2012. Le Monde.fr

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