Comptes numérotes, sociétés-écrans et amis nécessaires
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« Qui peut leur reprocher d'être incrédules quand on leur assure que ces affaires ne passeront pas à la trappe ? Ils en ont vu d'autres… »
Par K.Selim, 24 février 2013. Le Quotidien d’Oran
Les affaires «algériennes» dont s'occupent les
enquêteurs et les juges italiens et canadiens (en attendant d'autres juridictions ?) offrent un panorama intercontinental particulièrement déplorable de notre pays en matière de corruption et de
pots-de-vin et, plus que probablement, de surfacturation des projets réalisés par des entreprises étrangères. Le «profil doré» d'un rejeton de la nomenklatura algérienne qui se retrouve au centre
des affaires «italiennes» et «canadiennes» provoque une crise nationale d'urticaire sur le mode de «c'est encore pire que ce qu'on imaginait» !
De très nombreux Algériens se
demandent en effet ce qu'un tel personnage - hormis de porter un «nom», d'être né avec une cuillère d'argent dans la bouche et d'avoir l'entregent et les connexions indispensables- peut avoir
comme talent et ce qu'il apporte à ce pays pour se retrouver à traiter au nom de Sonatrach. Même si elle a perdu beaucoup trop de cadres, l'entreprise nationale emblématique n'a assurément pas
besoin d'intermédiation crapuleuse pour traiter avec l'étranger. Il y a longtemps que les Algériens ont le sentiment que Sonatrach échappe aux logiques nationales et que celle-ci, marché spot ou
non, apparaît comme exotique par absence radicale de transparence. Cette gestion opaque nourrit une suspicion permanente que les révélations de presse en Italie et au Canada corroborent
impitoyablement.
L'annonce, très pudique, par le
parquet que l'affaire révélée par les juges et les médias italiens était «traitée» (Sonatrach 2) a suscité un profond scepticisme, pour ne pas dire un haussement d'épaules généralisé et des
sourires entendus. Ces scandales consolident le sentiment partagé que partout dans les sphères de la gestion publique, la primauté va aux intérêts particuliers sur fond d'attentats au Trésor
public. Et bien entendu, plus il y a de l'argent en jeu et plus le coup est rude pour l'économie du pays. L'actualité étant ce qu'elle est, la répression infligée aux chômeurs maghrébins ne peut
qu'être mise en miroir avec la chronique d'un jeune escroc, qui n'a de relations avec l'Algérie qu'en tant que théâtre de la rapine, très introduit et «ami nécessaire» d'entreprises étrangères
peu regardantes sur les moyens. Comme il ne semble pas disposer de qualités particulières, ce jeune «bien né»mais largement délocalisé tire son influence de ses liens «parentaux» avec le
pouvoir.
Tous les discours sur l'autorité
de l'Etat sont ruinés par cette histoire invraisemblable mais ô combien révélatrice. L'imagination des Algériens qui découvrent que la réalité dépasse toujours la fiction se met à fréquenter
d'improbables rivages où le détournement atteint des niveaux cosmiques et l'abjection est sans limites. Et ce 24 février que les Algériens associaient à une certaine fierté patriotique et à une
reprise en main des ressources nationales est aujourd'hui fortement affecté par le sentiment que ce potentiel nourrit prioritairement la dolce vita de certains, au-dessus de la loi, hors-la-loi.
L'écho en est-il parvenu à la présidence ? Abdelaziz Bouteflika a promis qu'il n'allait pas «passer sous silence» et a dit sa «révolte et réprobation». Mais cela suffit-il alors que ce sont bien
des proches parmi les proches qui sont aujourd'hui sur la sellette, non par une action interne toujours susceptible d'être lue par le prisme des oppositions claniques, mais du fait d'actions
judiciaires à l'étranger.
Le scepticisme est d'autant plus marqué que l'ancien ministre de l'Energie, pour d'obscures raisons, bénéficie d'un «aman» qui n'a pas fonctionné pour les dirigeants de Sonatrach, lesquels n'étaient pourtant que ses collaborateurs. Beaucoup d'Algériens observent autour d'eux les dégâts incommensurables, économiques mais aussi moraux, de pratiques corruptives installées en tant que normes sociales au pays de la chkara, de la tchippa et des «amis nécessaires» pour mouvementer les comptes dans les paradis fiscaux. Qui peut leur reprocher d'être incrédules quand on leur assure que ces affaires ne passeront pas à la trappe ? Ils en ont vu d'autres…