Comment on tue les bonnes idées
Les impressions du jeudi
Par Saoudi Abdelaziz
L’organisation patronale FCE, bien en cour, et son médiatique président, font la une depuis quelques jours. Ils pérorent sans fin sur la nécessité de produire « hors hydrocarbures ». Des professeurs d’économie et des « experts » se joignent au concert. Le ministre chargé de l’industrie avait donné le ton il y quelques semaine, préconisant un nouveau modèle industriel.
Mobilisation nationale en faveur de la production, amorce de redressement ou bien nouvelle manœuvre d’envoutement préélectorale, à l’heure où les jeunes chômeurs occupent les zones industrielles et où s’étale au grand jour le désastre industriel? Rappelons-nous la fièvre industrialisante sans lendemain de 2008, encouragée par le pouvoir à la veille des élections présidentielles, avec la même série de colloques, « symposiums » et paroles d’experts.
Hier, un jeune homme de 23 ans a tenté de s'immoler par le feu, à Bordj Bou-Arreridj. Il avait un projet d’activité qui sort de l’ordinaire : récupérer, transporter, fabriquer du papier. La commission de l’Ansej a refusé son projet. « Cette réponse l'a mis dans une colère noire, lit-on aujourd’hui dans le Temps d’Algérie. Il a pris une bouteille de diluant dont il s'est aspergé. Les agents de l'agence l'ont sauvé à temps. Il a eu quelques blessures aux mains et au visage. Après avoir reçu les premiers soins, il a été emmené par les agents de l'ordre pour une enquête sur les raisons qui l'ont poussé à tenter de mettre fin à ses jours ».
Est-ce vraiment l’affaire des « agents de l’ordre » ? Les journaux ne peuvent-ils pas enquêter eux-mêmes et nous éclairer sur les dessous de cette affaire. Dites-nous ce qui se passe du côté des jeunes. On ne peut plus se contenter ni des chiffres officiels sur le « boom des micro-investissements », ni des reportages superficiels sur le désespoir des exclus.
Ceux qui savent nous parlent de la galère de ces jeunes qui veulent faire du productif, créer de la valeur ajoutée. Les institutions de l’Etat leur coupent presque systématiquement l’herbe sous les pieds. C’est la tendance générale de comportement du système actuel de microcrédit. Pourquoi ?
Les chroniqueurs ont la plume facile quand il s’agit de se moquer des jeunes Algériens qui veulent « toucher leur part de la rente » auprès des organismes de crédit. L’écrasante majorité des jeunes, ceux issus des couches populaires, à défaut d’emplois salariés stables, mettent au point avec ardeur des projets productifs, contrairement aux pistonnés qui obtiennent facilement, grâce aux nomenklaturas locales, de l’argent pour, par exemple, acheter des véhicules utilitaires destinés à la revente.
Notre ami marin de Jijel, Nadjib le condjador me décrivait hier, dans un mail sur le vif, son parcours du combattant, après qu’il ait engagé le projet de faire de l’élevage sur son lopin de terre de Beni-Caïd.
Voici des extraits du témoignage du condjador.
« Il ne faut rien croire à la propagande des médias, sans exception : écrits, visuels ou audios. Je le constate chaque fois que je vais au bureau de la Cnac, là où des gens rendus presque hystériques crient à haute voix leur désespoir. Pour comprendre les rouages d’un système qui ne fonctionne pas, il faut infiltrer cette administration, l’étudier de l’intérieur. Je l’ai fait plus d’une année.
Ceux qui s’adressent à la Cnac, ce sont les 30-50 ans, qui au début de la fin de leur vie cherchent à gagner leur vie en faisant quelque chose de vraiment utile.
Le problème de cette bureaucratie infranchissable ce sont en réalité les 28/100ème de crédit non remboursable que la Cnac doit garantir auprès de la banque Badr de Jijel. On multiplie les obstacles pour décourager ceux qui veulent faire de la production. La technique des conseillers de la Cnac c’est de demander les papiers du dossier les uns après les autres. Je l’ai poussé à me donner une liste complète des pièces exigées. Je n’ai mémorisé qu’une partie des conditions posées par la Cnac, en sachant que la Badr, de son côté, fait aussi tout pour ne pas s’engager : elle mobilisé les huissiers, les notaires, les assurances pour protéger ses 70/100ème.
Ainsi, ceux qui veulent faire de l’élevage de deux au trois vaches, doivent fournir à la Cnac : un constat d’huissier pour l’étable, l’agrément du service vétérinaire, le contrat de location notarié de deux ans, renouvelables parce que cela permet au notaire de faire payer plus cher sa prestation… Il faut ajouter le dépôt de garanti (4 millions sur 100 par exemple), le numéro d’immatriculation par vache, établi par le notaire au prix de 4500 dinars l’unité, l’assurance de 8000 dinars. Et j’en oublie.
Tout ça pour des vaches qui n’existent pas encore.
Le gouvernement pousse officiellement les gens à monter des projets puis les laisse tomber. Le gouvernement vit-il dans les nuages ? Quel est le résultat réel ? Puisque cette administration est à son service, il est le premier responsable de l’échec flagrant du développement économique de la wilaya de Jijel.
Une de mes questions au conseiller de la Cnac est restée sans réponse : combien de dossiers de demandeurs pour l’élevage et combien de bénéficiaires. Quel est le bilan ? « Cela ne vous regarde pas ».
J’ai alors fait mine d’annuler ma demande. Il m’a demandé de signer un papier attestant que je démissionne de mon plein gré. Je lui ai simplement écrit l’adresse du blog. Il faut faire vibrer les chaises sous leurs fesses, car, vaille que vaille, ils ne peuvent pas me faire plus que ce qu’ils me font déjà. Ils sont au top de l’arrogance administrative ».
Saoudi Abdelaziz, 15 mars 2012