Colère des juges à Constantine (suite)
Les déclarations récentes de Djamal Laïdouni, le président du syndicat des magistrats, en faveur de l’indépendance de la justice ne semble pas avoir été jugées crédibles par les juges de l’est du pays réunis à Constantine ; qui lui reproche son inconséquence face au pouvoir. M. Laïdouni impose le huis-clos. Compte rendu.
Les juges exigent la démission de Laïdouni
Par Driss B
Le président du Syndicat national des magistrats algériens SNMA, Djamel Laïdouni, qui était hier à Constantine pour animer une rencontre régionale au palais de
justice avec les juges de la région Est, ne s’attendait sûrement pas à essuyer autant de critiques de la part de ces derniers. Certains ont demandé purement et simplement sa destitution du poste
de président du syndicat.
En effet, la situation était telle que les juges se sont opposés, dès l’entame du débat, à ce que les journalistes présents quittent la salle de réunion —
suite à la proposition de M. Laïdouni qui a estimé que la discussion devait se tenir à huis clos —, et ce, afin de permettre, disent-ils, aux médias d’être au courant de leurs conditions de
précarité et de transmettre le message aux citoyens.
La dégradation de l’image du juge vis-à-vis de l’opinion publique, la non-garantie de l’indépendance de la justice ainsi que les problèmes socioprofessionnels
de la corporation sont en grande partie dus à l’inefficacité du syndicat et de ses membres, estiment-ils. Sinon comment expliquer, s’interroge un juge, que la plupart des magistrats des wilayas
de l’Est n’ont pas été tenus au courant de cette rencontre ? Au-delà des revendications socioprofessionnelles, les magistrats ont, à l’unanimité, critiqué la gestion des affaires du SNMA depuis
une dizaine d’années, son règlement intérieur, en passant par la désignation du bureau par vote, ou encore de l’engagement et la mission des membres. “Le règlement intérieur stipule que le
bureau doit être revu chaque deux ans, or vous-même vous ne respectez pas cet article. Vous refusez tout changement, l’AG doit revoir le règlement intérieur et même l’élection d’un nouveau
bureau. Nous nous demandons tous ce que le syndicat a pu nous apporter alors que nous continuons à subir des pressions et que nous réclamons l’indépendance de la justice”, a lancé un des
juges.
Un autre juge a réclamé qu’à défaut de ne pouvoir se défendre face aux accusations et aux critiques des journalistes et des citoyens, les juges devraient
pouvoir s’exprimer librement en dehors des tribunaux et même tenir, si possible, comme cela se fait en France, en Égypte ou au Maroc, des sit-in pour réclamer leurs droits. “Nous ne sommes pas
efficaces sur le terrain, il nous faut du courage sinon disparaître ou dissoudre le syndicat et le confier aux jeunes. Nous avons organisé plusieurs rencontres sans résultat, des parties au
pouvoir exercent des pressions pour nous faire taire, et nous sommes interdits de parler à la presse. C’est difficile pour nous de garantir notre indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif tant
que nous dépendons toujours du budget du ministère de la Justice”, a ajouté un autre intervenant. Pressés et se disant qu’ils n’ont rien à perdre — au vu de la précarité et des pressions
qu’ils subissent —, certains magistrats ont également sollicité le président du SNMA de prendre une décision courageuse le plus vite possible, sinon laisser la place aux autres. Surpris
certainement par la réaction et les interventions des juges, le président du SNMA s’est tu durant plus d’une heure, avant de prier les journalistes de quitter la salle pour pouvoir discuter de
certains points “sensibles”.
Selon nos informations, la fin du débat a été encore plus houleuse car des magistrats ont exigé la démission de Laïdouni, allant jusqu’à menacer de tenir un sit-in devant le palais de justice à la fin de la rencontre. Pour éviter un tel tapage qui nuirait davantage à l’image du syndicat, M. Laïdouni leur a promis de faire parvenir toutes leurs revendications au ministère de la Justice, comme il les a assuré de se pencher sur les affaires internes et la gestion du SNMA, après la tenue des deux prochaines réunions à Oran et à Ghardaïa, dans un délai maximum de deux mois. Passé ce délai, les magistrats menacent en tout cas de mener une action commune.
Driss B, 24 février 2013. Liberté.com