Christian Buono, le « logeur » du Parti
Christian Buono par Claude Chevallier
Christian BUONO est de ces hommes dont l’histoire se confond avec la grande, l’Histoire. Né en 1923, il grandit à Skikda (Philippeville, à l’époque), ville natale de ses
parents. Puis il devient, avec son inséparable jumeau Claude, élève de l’École Normale d’Instituteurs de la Bouzaréah. Il y rencontre Charlie Audin, qu’il épouse en 1947. Mariage d’amour, d’où
naîtront six enfants. D’un caractère chaleureux et sociable, Christian BUONO est de ces rares algériens d’origine européenne qui ne supportent pas l’oppression coloniale et son cortège
d’injustices. Rappelons que 75 % des Algériens ne sont pas scolarisés et que la majorité de la population est au chômage. L'Algérien est sujet et non citoyen français. En cette époque tourmentée,
la griffe de l’homme, c’est son courage. Celui d’aller au-delà des simples mots pour entrer dans l’action, même à l’encontre des intérêts personnels immédiats. Ainsi Christian et son épouse
n’hésitent pas à signer le « Manifeste des Cents deux »qui dénonce avec force le statut d’infériorité imposé aux Algériens. Admirateur sans réserves de son beau frère Maurice AUDIN, Christian le
rejoint bientôt au sein du Parti Communiste Algérien.
Celui-ci, qui prône la thèse de l’indépendance, est interdit en 1955. C’est l’année où le couple exerce à MAKOUDA, en Kabylie. Malgré les risques que cela représente dans
une Algérie désormais en guerre, Charlie et Christian poursuivent leurs activités militantes (distribution de tracts, dénonciation des conditions de vote pour les Algériens, etc. ...) S'ils font
preuve d'un dévouement sans limites dans leur tâche d’instituteurs modèles, c'est parce qu'à leurs yeux, enseigner aux petits Algériens l’histoire de leur pays, à l’époque où « nos ancêtresles
Gaulois » résonnent haut et fort dans toutes les écoles de France et d’Outre-mer, constitue une marque de respect et un moteur de libération fondamentaux.
1956 : l’Assemblée Nationale vote « les pouvoirs spéciaux », qui donnent toute latitude à l’armée française pour régler « l’affaire algérienne». C’est l’époque de « la
Bataille d’Alger », et notamment l’utilisation quasi systématique de la torture par les parachutistes. Le couple héberge clandestinement Larbi BOUALI, premier secrétaire du PCA. 1957 : Charlie et
Christian ont quatre enfants. Suite à l’arrestation de Maurice (qui ne reviendra jamais) et à celle d’Henri ALLEG, Christian est arrêté à son tour. De Barberousse-Serkadji (où il partage la
cellule d’Henri), à la Centrale de Maison Carrée, trois années vont s’écouler. Au procès, qui a lieu en 1960, il est condamné à cinq ans de prison. Mais, soutenu par son avocat, il réussit à
s’échapper. Clandestin dans un immeuble des hauteurs d’Alger, quartier « ultra » où l’OAS règne en maître, il y poursuit ses activités militantes jusqu’en 1962, année où l’Algérie accède enfin à
son indépendance…Dans son ouvrage l’Olivier de MAKOUDA, Christian évoque ses combats, avec l’humour et la modestie qui le caractérisent.
Claude CHEVALLIER, Metteur en scène
lien : téléphonearabe
Christian Buono dans le dictionnaire du mouvement ouvrier
Beau-frère de Maurice Audin, Christian Buono était le « logeur » du parti ; il fit passer Paul Caballéro, comme bien d’autres, de son propre F3 familial en haut d’Alger à Alger-Plage ou La Pérouse en louant des cabanons ou des villas. (Dictionnaire du mouvement ouvrier Le Mainton)
L’arrestation de Lucien Hanoun en novembre 1956 entraîna la disparition du journal. Alfred Gerson parvint à rester dans la clandestinité jusqu’en mars 1957. C’est alors que commença l’instruction du procès de La voix du soldat. Arrêté, il fut conduit à la villa Sésini, le centre de tortures, puis emprisonné à Barberousse et Maison-Carrée avant de rejoindre le camp de Lodi. En détention, Alfred Gerson n’était connu que sous son nom de naissance, imprononçable à l’appel du courrier, selon son camarade de prison Christian Buono*, « logeur » des communistes clandestins à Alger. Méconnaissant le rôle exact d’Alfred Gerson, le tribunal militaire condamna donc Sepselevicius à 18 mois de prison, en novembre 1958, tandis que Lucien Hanoun et André Moine étaient respectivement condamnés à quatre ans et cinq ans de prison. Ayant déjà passé 19 mois en détention, Alfred Gerson fut envoyé pour deux semaines au centre de tri de Beni Messous, puis finalement expulsé vers Paris. Selon Élie Mignot, Raymond Guyot* rendit hommage au rôle d’Alfred Gerson à l’occasion d’un meeting. (Paul boulland)
L’olivier de Makouda de Christian Buono : Une mémoire revisitée
Par Ali Remzi
Buono, qui fut instituteur en Kabylie, retrace son parcours singulier en Algérie. Il raconte les bons souvenirs, mais aussi les moments les plus rudes. Entre la période de la guerre de libération nationale et les premières années de l’indépendance, l’auteur, nous raconte son histoire avec cette terre si vaste et si généreuse qu’est l’Algérie.
Beau-frère de Maurice
Audin (mort sous la torture), Christian Buono, militant de base, anonyme parmi les anonymes, petit maillon de cette grande chaîne de la lutte pour la liberté, militant du PCA, dès le
déclenchement du conflit pour l'indépendance, lui, l'européen, choisit avec sa famille le camp algérien et deviendra citoyen algérien. Son itinéraire est exceptionnel. Il dévoile pour la première
fois le parcours d'un homme assumant son choix.
Il nous donne une leçon de courage et d'humilité et nous laisse la quintessence de l'espoir quand nous nous lassons pour une cause. Son récit est à juxtaposer à la connaissance de cette période apportée par une approche, pourtant totalement opposée, des appelés de cette sale guerre. Christian Buono nous parle, comme jamais cela n'a été fait, de cette période trouble et tragique.
Né en 1923, Christian
Buono a passé toute sa vie en Algérie jusqu'à son arrivée en France en 1966. Enseignant, il fut en ville et dans les campagnes, un témoin privilégié de la vie du peuple algérien et des Français
de condition modeste. Marié en 1947 à la soeur de Maurice Audin, il suivit la voie tracée par ce jeune universitaire, disparu dans les chambres de torture, en 1957. Arrêté pour avoir hébergé de
hauts responsables du PCA., il passa deux ans en prison (1957-1959) et deux ans dans la clandestinité (1960-1962).
Il participa au travail d'édification de l'Algérie nouvelle (1962-1966). Grâce à son premier livre «Témoignage d'une babouche noire», paru en 1988 et qui fut vendu en librairie à Alger, Christian Buono reçut avec une émotion non dissimulée, des lettres de ses anciens élèves, et même leurs visites, heureux de constater que - après plus de trente ans - eux non plus n'avaient rien oublié. «Pauvre Algérie, que de tourments tu vas subir encore pour ta liberté !...Et nous ? Ce serra dur, mais notre place est du côté des opprimés», écrit l’auteur. L’olivier de Makouda contient aussi des photos et des documents qui nous invitent à un voyage dans le temps. En somme, cet ouvrage est à lire et à relire.
Ali Remzi, 10 juillet 2010. La dépêche de kabylie