Bouteflika prendra t-il enfin de réelles initiatives politiques ?
Pour respecter coûte que coûte son calendrier, le président de la République semble miser sur la relative bienveillance de nombreux Algériens à son égard. Mais cette bienveillance vient de ce que ces derniers avaient pensé que Abdelaziz Bouteflika, s’appuyant sur une ANP modernisée, n’était pas complètement prisonnier du « système ».
Ceux qui souhaitent, sincèrement, faire passer l’Algérie à un palier supérieur de la révolution nationale et démocratique engagée le Premier novembre, espéraient de Bouteflika, après son message à la Nation du printemps dernier, des initiatives fortes contribuant à desserrer le nœud de l’expectative au sein du peuple et à lever les obstacles fabriqués par les services de protection d’un système obsolète.
En l’absence de ces initiatives fortes, permise par les prérogatives présidentielles, pourquoi une très fort d’abstention serait-elle dramatique pour l’Algérie ? Qu’y a-t-il de nouveau ? C’est la question que l’on est en droit de se poser après le discours du président de jeudi dernier, à Oran. Peut-on sérieusement croire -avec le souk actuel autour des législatives- que les conditions existent pour lever, dans les deux mois à venir, la désaffection de la grande majorité des Algériens à l’égard des assemblées, rouges d’un système devenu incapable de gérer une Algérie mûrie par cinquante années d’indépendance.
Saoudi Abdelaziz, 25 février 2012
Les unes des quotidiens d’aujourd’hui
« Ces élections législatives sont aussi importantes que novembre 1954 », titrent sur huit colonnes El Akhbar La Tribune, Ech-chaab : El-Massa, La Nouvelle République.
Dans cette catégorie des quotidiens traditionnellement suivistes ou liés à l’un ou l’autre des clans du régime, on peut relever deux gros titres qui sortent de ce calibrage, mais qui use de la même fibre patriotique : « Le Vote comme commandement » (Le Jeune indépendant), « Assumez-vous» (L’Expression)
El Moudjahid, à la différence des précédents, relaie sur huit colonnes l’appel de Bouteflika mais de manière plus incitative : « la réussite de ces élections vous prémunira de l’inconnu »
El Watan titre, avec photo du chef de l’état en une : « La peur de l’abstention »
Le temps d’Algérie et El Khabar préfèrent titrer sur le terrorisme au Sahel ; Akhbar el youm, Al Bilad, Le Soir d’Algérie, Annasr, Akher saa, sur les inondations ; Echourouk sur le sport.
Le Quotidien d’Oran, qui reçoit le président dans sa ville, titre sur une phrase de son discours : « Vous ne m’avez pas compris »
Voter ou pas ?
par Kamel Daoud
C'est
la bonne question du moment : faut-il voter ou pas ? Tout le reste c'est des nuances d'arc-en-ciel. Donc, on résume. Ceux qui ne veulent pas voter ont leurs raisons. D'abord, la première : voter
n'est pas élire. Bouteflika lui-même l'a dit : on a eu tous les genres d'élections, même celles qui font rire et gémir. Donc, après une longue tradition de tromperies, les Algériens ont perdu
confiance et estiment que voter n'est pas choisir mais valider. Donc, quand on appelle le peuple, c'est pour remplir les urnes et pas donner un avis. Selon les sceptiques, le choix est fait, les
quotas distribués, les listes choisies, le parlement désigné. Ne reste donc que la convocation pour la validation. Voter, c'est donc acquiescer, légitimer, colorer, aromatiser et faire valoir.
Autant laisser le régime seul devant ses urnes et le mettre à nu par l'abstention et le refus passif. L'abstention est dite acte citoyen là où la citoyenneté est refusée sinon reléguée. Pour les
prochaines élections, les résultats remontent à 90 et descendent à 2012. Contre un régime qui appelle à voter par SMS, autant voter par un bip.
En général, cela se tient : là où on ne vote pas vraiment, autant s'abstenir réellement.
Pour ceux qui appellent à voter, c'est appeler à résister. Les fervents du vote se disent les fervents de la résistance. Si on ne vote pas, les islamistes vont voter à notre place. Un parlement
qui n'est pas choisi est toujours un parlement subi. L'abstention est une procuration. Si on ne fait rien avant, il ne faut pas gémir après. Si les islamistes gagnent, c'est parce que les autres
refusent de se battre. Quand un peuple ne vote pas, ce sont les bus qui vont élire. Les prochaines élections ne sont pas propres ? Oui, mais autant que ce soit avec nos mains. Quand on ne peut
pas choisir, autant se faire plaisir.
Donc, il faut choisir. C'est le drame algérien. Il faut organiser un vote avant le vote. Décider si on doit voter ou non, par vote, puis voter après, ou non. En remontant, c'est sans fin. Donc,
il faut trancher dès les commencements : voter pour, ou non, le départ de l'Emir Abdelkader. Réponse de l'histoire : c'est lui qui a choisi, sans consulter personne. Justement, disent les
sceptiques : cela ne sert à rien, dès le début de l'histoire nationale. Si, disent les partisans : après le départ de l'Emir, reste à savoir quoi faire de son cheval. D'où les
élections.
Kamal Daoud, 25 février 2012, Le Quotidien d’Oran
L’éveil sonne, c’est l’heure du café
Par Chawki Amari
La conscience a ceci de consciencieux qu’elle prend souvent conscience de son inconscience, l’inverse n’étant pas vrai. Mais en bon père de la nation et en direct d’Oran, le président a estimé que le peuple algérien a «atteint son niveau d’éveil». L’Algérie est donc sauvée, des complots, de la CIA et de l’OTAN, de BHL et DHL réunis, de l’ignorance et surtout de l’inconscience. Sauf que la phrase présidentielle suggère qu’avant, le peuple n’avait pas atteint son niveau d’éveil, endormi sous sa couette à siroter un jus de sucre à l’huile de table.
Justement, quand est-ce qu’il a atteint ce niveau d’éveil ? Pendant le Printemps arabe où il n’a pas voulu se soulever pour renverser son régime ou en plein hiver rigoureux où il a refusé d’exploiter le froid pour brûler son gouvernement ? Il y a 15 jours, au moment où il a été sèchement convoqué pour voter aux élections ou avant, en 1999, l’année de l’investiture du président ? En 2004, l’année de son deuxième mandat, réélu à 85% de niveau d’éveil ou encore en 2009, quand il a brigué un troisième mandat défendu ?
C’est forcément après, puisque pour faire passer la nouvelle Constitution, le président a préféré passer devant les deux Chambres de représentants plutôt que par un référendum populaire, ce qui voudrait dire que le peuple n’avait pas encore son niveau d’éveil. C’est donc entre 2009 et 2012 qu’il s’est éveillé, à une date secrète où il a subitement pris conscience de ce qui l’entourait. Mais au fond, qui peut juger du niveau d’éveil ? Et surtout, qui peut juger du niveau d’éveil du président qui juge du niveau d’éveil ? Normalement, c’est le peuple. Avec son niveau d’éveil, il peut choisir le plus éveillé pour le représenter et fermer les yeux. Sauf que s’il s’endort, il n’est pas éveillé et ne pourra pas juger le niveau d’éveil de celui qu’il va élire. C’est compliqué ? Oui. Finalement, dormir, c’est bien aussi.
Chawki Amari, 25 février 2012. El Watan