14 décembre 1967. Le coup d'Etat de Zbiri et les syndicats.Témoignage.
Par Saoudi Abdelaziz. Première mise en ligne le 14 décembre 2011
Ce 14 décembre 1967, mon frère Antar m’avait réveillé aux aurores. Il rentrait d’El Asnam où il travaillait, avec ce flash : « Les tanks arrivent, c’est le coup d’Etat ».
Il ne fallait pas trop traîner à la maison, car on ne sait jamais avec les coups d’état militaires, le précédent m’avait valu dix huit mois de prison. C’était aussi l’avis de ma mère. Je suis donc descendu d’El-Biar. Première escale, le square Port-Saïd et son café des noctambules, le Terminus. Café noir, sandwich au camembert, quelques coups de fil, puis direction la Maison du peuple, au Champs de Manœuvre.
Ami El Hadj, le gardien de la Centrale syndicale, étonné de me voir débarquer aux aurores, m’a ouvert les locaux. Quelques minutes plus tard, c’est le secrétaire général de l’UGTA, Mouloud Oumeziane, qui arrive, passe devant mon bureau pour rejoindre le sien, puis revient et me dit : « Oui, ils l’ont fait ». Je lui ai communiqué les informations de mon frère. On connaît le style de Mouloud, il lui a fallu un peu de temps pour qu’il me donne son propre tuyau : « les tanks ont été bloqués par l’aviation ».
La sédition de Tahar Zbiri, le chef d’Etat-major de l’ANP, étaient dans l'air et alimentait les conversations depuis plusieurs jours. Mouloud Oumeziane avait résisté aux sollicitations visant à engager les syndicats dans un soutien à ce qui apparaissaient pour certains comme une initiative de l’aile gauche du pouvoir. Les mêmes sollicitations étaient signalées en direction des étudiants de l’UNEA et plus généralement de ceux que l’on appelait les « progressistes ».
Dans ses recommandations internes, le PAGS avait appelé ses adhérents à la vigilance.
Dans une contribution publiée sur le site SocialAlgérie.net, en février 2010, je notais :
« De toutes évidences Zbiri, personnage assez obtus, avait été piégé et poussé dans ce sens. C’était une période très trouble. Mohamed Cherif Messadia, virtuose des coups fourrés depuis l’époque de l’armée des frontières, rendait visite à Bachir Hadj-Ali, alors emprisonné, pour lui proposer que la direction du PAGS s’associe à un coup de force "à gauche"... Hadj-Ali l’a envoyé vendre des navets...
Après l’échec de la tentative dérisoire et manipulée de Zbiri, une des conséquences de la redistribution des cartes dans l’équipe dirigeante du "Conseil de la Révolution", fut la désignation de Kaïd Ahmed à la tête de l’appareil central du FLN, avec Messadia comme adjoint. Une alliance de fait, n’excluant pas la rivalité, s’établit entre Kaïd et le ministre de l'industrie Belaïd Abdesslam autour d’un objectif commun : briser l’autonomie de la centrale syndicale. De concert, ils ont engagé dès le début de 1968 la deuxième capolarisation de l’UGTA qui débouchera à l’automne sur l’abdication de la commission exécutive qui décidera de « remettre son mandat » à la direction de l’appareil du FLN.
À la Maison du Peuple, au lendemain de la tentative de Zbiri, régnait un climat de démoralisation et de doute. Des militants syndicaux avaient même été tentés par le soutien à un coup de force à gauche. Il y avait un climat d’intox... En effet, on ne devrait pas passer sous silence une certaine tendance chez les syndicalistes combatifs, à la "surpolitisation" de l’action syndicale, à une sensibilité exagérée aux sollicitations par rapport aux luttes de tendances dans le pouvoir. Avec comme conséquence une certaine fébrilité "avant-gardiste" (dont très peu d’entre nous étaient prémunis), par rapport aux salariés de base.
Tout cela était accentué par les interférences dans les syndicats des contradictions "idéologiques", par exemple entre les communistes et les gens influencés par le PRS de Boudiaf. Avec, se greffant là-dessus, des divisions et rivalités anciennes entre leaders syndicaux pourtant attachés les uns et les autres au principe de l’autonomie des syndicats.
Il faut aussi noter qu’après le "suicide" deux jours plus tard du jeune et intelligent colonel Saïd Abid, chef de la première Région militaire, le courant dit de "gauche" s’était affaibli dans l’armée, et les institutions, restreignant, notamment, la marge de manœuvre de Boumediene par rapport aux secteurs les plus droitiers et antipopulaires du pouvoir qui voulaient en découdre avec les syndicats.
Une des conséquences incidente - mais qui ne sera pas sans conséquence dans l’avenir - de cette sombre péripétie des luttes de pouvoir, fut aussi sans doute que le centre de gravité du travail de liaison et d’animation politique de l’ANP en direction de la société civile, passera assez vite du Commissariat politique de l’Armée, jusqu’alors dominé par les "démocrates révolutionnaires", aux professionnels plus strictement policiers et manipulatoires de la Sécurité militaire. »