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Publié par Saoudi Abdelaziz

Hiroshima, 6 août 1945 : l’humanité devient capable de se détruire elle-même

Par Daniel Mermet

Depuis la naissance du monde, l’homme a eu peur de la fin du monde, mais le 6 août 1945, pour la première fois, l’humanité est devenue capable de se détruire elle-même. Les causes en sont idéologiques et politiques, et sont les mêmes que celles qui aujourd’hui entraînent la destruction de la planète, comme si Hiroshima ne nous avait rien appris.

Au printemps 1945, avant Hiroshima, une soixantaine de villes japonaises ont été bombardées par des bombes incendiaires au napalm, faisant des centaines de milliers de victimes. Dans la seule nuit du 10 mars 1945, 125 000 civils furent tués dans le bombardement de Tokyo.

À la tête de ces opérations, le général d’armée Curtis LeMay, qui s’était donné comme but de « ramener le Japon à l’âge de pierre », déclarait : « nous avons intérêt à gagner, sinon nous serons condamnés pour crime de guerre. » Son pays a gagné et comme toujours, c’est le vainqueur qui a raconté l’histoire. La capitulation du Japon qui a suivi les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki a entraîné des scènes de liesse formidable aux États-Unis.

La presse a salué la prouesse scientifique, Le Monde du 08 août 1945 annonçait « une révolution scientifique ».

Mais il y eut aussi des voix discordantes, comme celle d’Albert Camus, dans son éditorial du 08 août 1945 dans Combat : « le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes, que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. »

Aujourd’hui, selon une récente enquête du Pew Research Center, encore 56 % des États-uniens considèrent que « les bombardements étaient justifiés [1] ».En forçant le Japon à capituler, la bombe atomique permettait d’épargner les vies de milliers de soldats américains. Combien ? 500 000 ?

La bombe, c’était la fin de la guerre. En somme, la bombe atomique, c’est la paix. D’autres arguments furent avancés, dont la lutte contre l’autre ennemi, l’URSS, qui s’apprêtait à prendre le contrôle de la région. La polémique persiste aujourd’hui, même si selon la même enquête, 40 % des jeunes Américains de 18 à 29 ans ignorent tout sur Hiroshima.

Dans ses mémoires, le général Dwight Eisenhower, ancien président des États-Unis, fait part, dit-il, « de la gravité » de ses doutes : « d’abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu, et donc que l’utilisation de la bombe était complètement inutile. Ensuite, parce que je pensais que notre pays devait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme qui, à mon avis, n’était plus indispensable pour sauver des vies américaines. »

De la même manière, le chef d’état-major, l’amiral William Leahy, un partisan du New Deal, écrivit : « les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L’usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n’a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon. » Les États-Unis, poursuivit-il, « en tant que premier pays à utiliser cette bombe ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du haut Moyen Âge [2] ».

En combattant le mal par le mal, les États-Unis se mettaient sur le même plan que les dictatures qu’ils combattaient. Pour celui qui avait pris l’ultime décision, le président Harry Truman, c’était « la plus grande chose de l’histoire ».

Rencontre avec ces Hibakusha, les derniers survivants qui furent très longtemps relégués et stigmatisés au Japon. Ce jour-là, ils étaient enfants ou adolescents. Ils étaient près de ou à Hiroshima même. Ils ont vu le soleil tomber, et se souviennent.

Notes

[1] Bruce Stokes, « 70 years after Hiroshima, opinions have shifted on use of atomic bomb », Pew Research Center, 4 août 2015.

[2] William D. Leahy, I Was There, McGraw Hill, New-York, 1956, cité par Frédéric C. Clairmont, « Les véritables raisons de la destruction d’Hiroshima », Le Monde diplomatique, août 1990.

Source : https://la-bas.org/

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