Mirage du "blé saharien". Encouragée par les Américains, l’Algérie sur les traces du Royaume saoudien
« Agriculture saharienne : l’Algérie sollicite les Américains » titre TSA. Lors de l’inauguration officielle de la Foire internationale d’Alger (FIA), le président Abdelmadjid Tebboune visitant le pavillon des États-Unis avait insisté sur l’intensification de la coopération dans le domaine agricole avec les entreprises américaines, affirmant le lancement d’un « programme ambitieux de mise en valeur des terres sahariennes ».
Djamel Belaïd note : « À plusieurs reprises ces derniers mois, le président Tebboune a rappelé l’importance du développement de l’agriculture saharienne et des cultures stratégiques. Au contraire de l’agriculture oasienne développée à l’ombre des palmiers, l’agriculture saharienne utilise de grandes quantités d’eau. Une eau souvent chargée en sel. Ce type d’agriculture nécessite également de grandes quantités d’énergie afin de pomper l’eau des nappes souterraines et de mouvoir les pivots d’irrigation. Les rendements sont en moyenne de 40 à 50 quintaux de blé à l’hectare. Pour les services agricoles, le défi est d’inscrire ce type de développement dans la durabilité.»
Un savoir acquis en Arabie saoudite
Certaines entreprises américaines disposent d’un réel savoir-faire dans ce domaine. Il a été acquis dans les années 1980 en Arabie saoudite lors de la vague de la Ground Water Economy.
Le royaume saoudien avait demandé à des compagnies pétrolières de mettre leur savoir-faire en matière de forage au service de l’agriculture. À l’époque, l’accent mis sur l’utilisation des eaux souterraines avait permis à l’Arabie saoudite une autosuffisance en blé.
Puis, face à l’épuisement des nappes souterraines, un décret royal avait mis fin à l’irrigation par pivot. Le ministère de l’Agriculture saoudien encourageant alors la prise de concessions agricoles en Afrique de l’est. » Source : TSA
L'histoire du vrai faux miracle saoudien
En Arabie saoudite, les surfaces désertiques équipées pour l’irrigation passent de 343 000 ha en 1961 à 1 620 000 ha en 2008.
Aux Émirats arabes unis, bien que les surfaces mises en jeu soient plus modestes, eu égard à la taille du pays, la bonification des terres désertiques a été encore plus spectaculaire, les surfaces équipées pour l’irrigation passant de 30 000 ha en 1961 à 230 000 ha en 2008, ce qui représente 2,8 % de la superficie du pays, contre 0,75 % pour l’Arabie saoudite.
Entre 1972 et 1992, en Arabie saoudite la superficie emblavée était passée de 40 000 à 924 407 ha et les rendements augmentaient de 1,4 t/ha à 4,46 t/ha, faisant bondir la production de 42 000 t à 4,1 millions de t.
Le pays réussit à atteindre l’autosuffisance en blé mais aussi à devenir exportateur de céréales à partir de 1983. Cette forte croissance du secteur céréalier s’explique par les prix garantis attractifs proposés par l’État. Entre 1984 et 2000, le prix moyen payé aux producteurs de blé était d’environ 500 $ la tonne contre 120 $ durant la même période sur les marchés mondiaux. À cela s’ajoute un accès aux intrants et au matériel agricole subventionné à hauteur de 45 %. Au total, entre 1984 et 2000, l’ensemble des subventions directes et indirectes ont coûté au budget de l’État environ 100 milliards de dollars. Résultat : le coût de la tonne de blé produite dans le royaume avoisine 1 000 $ sur la période 1984-2000, tandis que le prix mondial s’établit autour de 120 $! La même stratégie de soutien est appliquée à l’orge, céréale fourragère dont la demande est stimulée par l’augmentation de la consommation nationale de produits laitiers, de poulet et de viande rouge.
Retour à la réalité
Mais en 1993, le gouvernement annonce une réduction des subventions à la production céréalière. En effet, la baisse des prix du pétrole creuse le déficit budgétaire du pays si bien que le gouvernement mettra plusieurs années pour honorer plus de 70 milliards de dollars de subventions dues à des milliers d’entrepreneurs agricoles et de fournisseurs.
Entre 1996 et 2000, la production de blé diminue de 70 %, celle de l’orge de 94 %, tandis que les exportations sont interdites.
Le véritable tournant de la politique agricole date de 2015, avec l’arrivée de l’homme d’affaires Abulrahman Al Fadley (PDG d’Almarai de 2002 à 2015) à la tête du ministère de l’Environnement et de l’Agriculture. Avec un cours du pétrole passé de 110 à 30 dollars le baril entre 2014 et 2016, les déficits sont devenus abyssaux si bien que l’agriculture dont la part ne pèse que 2,7 % du PIB du pays en 2016 est devenue un fardeau. Cette situation inaugure une nouvelle série de réformes visant à réduire les surfaces cultivées : outre l’arrêt programmé des cultures fourragères en 2019, l’État se désengage du secteur agricole avec l’externalisation et la privatisation des services aux agriculteurs et la réduction des subventions sur les carburants et l’électricité.
Seules les productions à plus forte valeur ajoutée comme les fruits, les légumes et l’élevage peuvent bénéficier de subventions publiques. Tel est le cas de l’élevage hors-sol de volaille et du secteur laitier intégré verticalement dans une filière portée par le lobby de puissants groupes agroalimentaires.
Avec la réduction des subventions, la promesse d’un rendement financier élevé pour les entreprises s’est évanouie. La viabilité économique des exploitations est devenue très précaire, voire impossible, d’où un déclin des surfaces cultivées. Entre 1992 et 2015, les cultures irriguées du pays reculent de 53 %, passant de 1,6 million d’ha à 0,76 million d’hectares. Les enquêtes conduites en 2017 dans les périmètres du secteur de Tabarjal révèlent que 45 % des rampes-pivots sont à l’arrêt. Si certains propriétaires ont fermé leur exploitation, d’autres résistent et refusent de se plier à la nouvelle réforme agricole et continuent à cultiver des céréales et du fourrage pour le marché local. Sur le terrain, les enquêtes montrent un grand mécontentement social dû au déclin drastique de la rentabilité économique des exploitations. Source : Fleurir le désert, le mirage de l’agriculture