En Algérie, Le féminisme veut conquérir son propre espace
« lancement de la première revue féministe algérienne » annonçait le 10 mars dernier le quotidien Liberté.
Ses fondatrices Saadia Gacem, chercheure indépendante et militante féministe, et Maya Ouabadi, éditrice et fondatrice de la revue de critique littéraire Fassl, ont présenté leur revue et en ont expliqué les objectifs, résumés par la journaliste Yasmine Azzouz : « Visibiliser ce qui se crée en Algérie du côté des femmes, à travers leur travail, leur création et leur parole dans un espace qui n’existe pas vraiment et qu’elles sont arrivées à bâtir grâce à des années de recherche et à la contribution de nombreuses militantes, écrivaines, poétesses et journalistes, à l’instar, entre autres, de Fadhila Boumendjel Chitour, de Souad Labbize, de Louiza Ammi Sid et de Meriem Medjkane, pour ce numéro 0. »
Par cette publication, elles souhaitent, écrivent-elles dans l’édito, « contribuer à la mise en valeur de leurs productions et de leur combat en Algérie par des entretiens, des chroniques, des créations inédites, des reportages et des images d’archives ».
L’idée d’une revue féministe algérienne, soulignent-elles, « est venue après de nombreuses discussions autour des questions qui nous touchent en tant que femmes ; notre rôle, nos droits, nos non-droits, nos problèmes, notre place… », d’où le nom de la revue La Place, ou “Lablassa” en derdja. Le site Radio-M revient sur cette initiative.
La Place, une revue féministe pour créer un espace hors de tout contrôle
Par I. K. 17 mars 2022. Radio-M
Où est votre place, en tant qu’individu ? Certains d’entre vous diront qu’elle est aux côtés de ceux qui vous sont chers ; d’autres diront qu’elle se trouve dans le milieu professionnel, ou du moins auprès de ceux qui vous ressemblent. Ne serait-elle pas finalement là où nous pouvons nous épanouir en étant pleinement nous-mêmes, quelle que soit notre classe, notre âge ou notre genre ?
C’est dans cette optique et par la volonté collective des femmes qui s’y sont exprimées qu’a vu le jour la revue algérienne La Place, dont le lancement a eu lieu le 8 mars 2022 à la galerie Rhizome, lancement au cours duquel les créatrices ont pu partager les idées qui ont abouti à la conception de cette revue.
Une origine, des intentions et un contenu
Le nom “La Place” renvoie à celle qu’occupent les femmes dans les espaces publics, à leur présence trop peu « visible » et parfois problématique. Un nom qui se veut un effort de vouer un lieu exempt de tout contrôle et de toute pression.
Il s’agit d’une revue entièrement féminine, née de l’effort commun de femmes de diverses professions (photographe, graphiste, traductrice…etc), soutenues par la Fondation Friedrich Ebert qui a permis à ces créatrices de “faire ce qu’elles avaient envie de faire sans contrôle” en menant à bien ce projet ambitieux.
Mais cette revue doit son existence avant tout à ses deux principales initiatrices, Maya Ouabadi, fondatrice des éditions Motifs et Saadia Gassem, militante féministe, chercheuse indépendante et membre du réseau Wassila.
Toutes deux animées par le désir, non seulement de mettre à nu la réalité des rôles de genre, des difficultés et du poids des exigences de la société qui pèsent sur les femmes, mais également de rendre visibles leurs histoires, leurs paroles et leurs arts.
Cette revue retrace les expériences et le travail de ces femmes. Elle contient un assemblage d’entretiens et de textes choisis afin de déposer et d’approfondir leurs pensées de façon permanente, de créer un espace de débat au sein d’un numéro qui à son tour amènera des pistes de réflexions et des actions centrées autour des femmes.
En effet, plusieurs rubriques tiennent leurs titres d’œuvres d’artistes qu’elles admirent.
On peut citer à titre d’exemple le nom même de la revue, qui renvoie au roman d’Annie Ernaux ou encore la rubrique “Sorcières”, qui fait référence aux guérisseuses persécutées lors de l’inquisition.
Un numéro centré sur des thématiques et pratiques de femmes
Le premier numéro de La Place, tiré à 1400 exemplaires, aborde avec pertinence et courage des thématiques riches autour des femmes, de leurs pratiques, des normes sociales, de la maternité… Etc
Sarah Haidar, auteure de la chronique “Maternité : la dernière des religions”, déclare qu’aujourd’hui de plus en plus de témoignages de femmes remettent en question le mythe de la “maternité parfaite”, du “bonheur religieux et obligatoire” que les mères se sentent souvent obligées de ressentir même si la réalité est toute autre.
Elle ajoute que malgré ces témoignages épars, ce sujet demeure tabou, et ce même dans les milieux les plus ouverts sur les questions les moins discutées dans notre société, comme celles concernant la sexualité. Il semblerait bien que l’expression de la remise en cause de ce bonheur divin est rejetée et condamnée, si bien que les mères, se sentant obligées de paraître heureuses, internalisent ce point de vue imposé et romancé.
Une autre thématique abordée lors de cette journée de lancement est d’ordre de la santé publique concernant le cancer du col de l’utérus. Peu abordé par rapport au cancer du sein, celui-ci reste une cause importante de mortalité chez les femmes, chose pour laquelle la revue a tenu à aborder ce sujet, dans le but d’informer et de sensibiliser les femmes notamment au dépistage.
Un écho à la journée internationale de lutte des femmes
Le lancement de cette revue est un événement qui fait écho à l’esprit de cette journée du 8 mars. La résolution de celles qui ont œuvré dans le but commun d’inventer un espace dédié à toutes ainsi que la diversité du contenu de la revue ont beaucoup séduit.
L’une des femmes présentes ce jour-là, Louisa Ait-Hamou, universitaire, militante féministe et membre du réseau Wassila, a exprimé son enthousiasme en déclarant : “C’est en effet la première fois qu’il y a une vraie revue féministe, et c’est important de laisser ça par écrit. Il est vrai que nous avons une tradition orale importante, mais ce qui reste, c’est les écrits. C’est donc très bien qu’il y ait cette revue et j’espère qu’elle tiendra.” Une autre, Leyla, affirme : “C’est un bon principe. Le fait qu’il y ait un espace localisé est déjà une avancée concluante et intéressante, et en même temps, la revue semble très foisonnante, très féconde. On apprend donc beaucoup de choses simplement en la parcourant. Il est important qu’il y ait à la fois un lieu réel de rencontre et de communication et un ouvrage qui sert d’outil, de repère, de guide.”
Source : Radio-M