Etats-Unis. L’acier est de retour
"Et si le cauchemar Trump se reproduit en 2024 ? On va dire qu’il a eu tort au sujet des tarifs douaniers ?"
Par John R. MacArthur, 1er novembre 2021
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(…) Le mois dernier, quand j’ai lu le titre à la une du Wall Street Journal annonçant une continuité des tarifs douaniers anti-Chine entre les gouvernements Trump et Biden, j’ai failli tomber à la renverse. Selon les forces anti-Trump, démocrates ainsi que républicains traditionnels, n’était-ce pas une des pires erreurs de l’ancien président d’avoir flanqué de lourds impôts sur la moitié des produits chinois ?
N’étaient-ce pas les médias et le Parti démocrate de Biden qui ont hurlé le plus contre la stupidité présumée des conseillers ultranationalistes d’un président brute ? « Le carnage américain s’arrête juste ici et s’arrête tout de suite », avait déclaré Trump dans son farouche discours d’investiture, largement ridiculisé par ses adversaires. On comprenait qu’il parlait, en partie, de la destruction de la base industrielle américaine et des usines abandonnées à travers le pays à cause d’une politique bipartisane de « libre-échange » ; on savait que Trump devait sa victoire aux électeurs de la « ceinture de rouille », surtout dans les États du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie.
Mais voilà Biden, adhérent au consensus libre-échangiste, qui applique une politique essentiellement trumpiste. Étonnant, n’est-ce pas ?
Certes, sa représentante au Commerce, Katherine Tai, comme Trump, a invité les sociétés américaines à demander des exemptions aux tarifs douaniers — actuellement jusqu’à un maximum de 25 % sur les importations d’origine chinoise — si elles manquent de solutions de rechange rentables au fait d’acheter des pièces détachées ou des éléments fabriqués en Chine. En tout cas, Mme Tai se retrouve aujourd’hui porte-parole de la ligne Trump. Greg Ip, du Wall Street Journal, explique que ce point de vue « fataliste » reflète « l’école de pensée populaire dans le gouvernement Trump et parmi certains dans le cercle Biden : l’engagement [avec la Chine] a toujours été voué à l’échec parce que la Chine n’a jamais cru à l’ordre global appuyé par les États-Unis et d’autres démocraties axées sur le marché ».
À présent, le tribun des fatalistes s’appelle Rush Doshi, membre du Conseil national de sécurité et auteur de The Long Game: China’s Grand Strategy to Displace American Order. Titre moins cru, mais pas vraiment différent dans ses conclusions que Death by China: Confronting the Dragon – A Global Call to Action, l’ouvrage belliqueux de Peter Navarro, économiste et conseiller proche du président Trump. Il n’y a pas longtemps, Navarro était considéré comme un personnage marginal, voire fou, par les bien-pensants du libéralisme classique, qui d’habitude dénoncent tout ce qui est protectionniste.
Comment expliquer cette inversion subite de la ferveur libre-échangiste à Washington ? D’une part, elle est due à la fin du règne Clinton au Parti démocrate, qui s’est effondré avec la défaite de Hillary. C’est le président Bill Clinton qui, en 2000, avait promulgué l’accord d’échange « normal » et « permanent » avec la Chine — accord qui a permis l’entrée du colosse communiste dans l’OMC et qui a déclenché une avalanche d’investissements et de délocalisations depuis l’Amérique vers le delta de la rivière des Perles. Que Pékin soit insincère dans son respect pour le marché libre n’a jamais été mystérieux ou rebutant pour les capitalistes américains.
Ce qui a attiré l’intérêt de Clinton était justement l’enthousiasme de ses grands donateurs de Wall Street et de la majorité des fabricants nationaux, tous ciblant la main-d’œuvre bon marché et strictement contrôlée par un gouvernement autoritaire et intolérant aux grèves et à la dissension. On savait exactement ce qu’on décrochait avec l’accord chinois en 2000 : une nouvelle concentration d’usines à bas coûts, très loin des locaux syndicalisés du grand Midwest. Un véritable miracle du « libre-échange » et l’art de vendre de Bill Clinton.
Que la Chine abroge constamment les réglementations de l’OMC (concernant les subventions, la propriété intellectuelle, les transferts de technologie, etc.) intéresse peu les barons du libéralisme. L’ouvrier chinois gagne en moyenne 5,29 $ l’heure dans l’industrie « non privée » (3,30 $ en « unité privée urbaine ») ; son homologue américain gagne 30,30 $.
D’autre part — et plus gênant pour les démocrates —, il y a le fait que Trump et son représentant au Commerce, Robert Lighthizer, ont eu décisivement raison sur les tarifs douaniers de l’acier. Comme preuve, je ne cite pas Peter Navarro, mais plutôt le New York Times, l’arche ennemie de Trump et le promoteur fidèle des doctrines libérales. Le 21 mai, le « journal de référence » a décrit à la une un spectaculaire retour de l’industrie de l’acier aux États-Unis : « Prix, demande et embauche en forte hausse : l’acier est de retour ». Le sous-titre numérique a bien précisé : « Une économie en rebond et les tarifs douaniers de l’ère Trump ont aidé à pousser les prix de l’acier national à un niveau record. »
Et si le cauchemar Trump se reproduit en 2024 ? On va dire qu’il a eu tort au sujet des tarifs douaniers ?
Source : Le Devoir