La sidérurgie de Annaba et les copains des fournisseurs de coke
«Le marché que se disputent, en Algérie, les intermédiaires des fournisseurs européens de ce «carburant» est juteux» écrit d'emblée le journaliste d'El Watan. On apprend comment ces disputes ont coûté son poste au directeur général de Sider El Hadjar, Réda Belhadj, avant même qu’il boucle une année d’exercice. Des cadres révèlent : «Il a refusé de signer ce contrat, malgré l’intervention du directeur de la sécurité du groupe Imetal qui, ancien officier supérieur, se prévaut de ses relations avec les militaires».
Y a-t-il une alternative? Un projet de construction d’une cokerie au sein du complexe Sider El Hadjar a été annulé dans le nouveau plan de développement de l’entreprise. «Cette cokerie existait du temps d’ArcelorMittal Algérie, mais ce dernier l’avait démantelée pour importer le coke depuis l’une de ses unités en Pologne», regrettent des sidérurgistes de la zone chaude. Ainsi, ce trafic d’influence qui sévit toujours, notamment au niveau de l’entreprise ENR de la récupération des déchets ferreux, a induit le limogeage de plusieurs directeurs de filiales. «Une enquête s’impose», insistent de nombreux cadres victimes de cette situation».
Marché du coke métallurgique : Ces pratiques d’influence qui ont pénalisé Sider El Hadjar
Par M.-F. Gaidi, 29 juin 2021
En janvier 2021, avant son limogeage de son poste de directeur général de Sider El Hadjar, Réda Belhadj a déclaré à El Watan que «le complexe n’avait plus les moyens financiers pour approvisionner sa principale installation, le haut-fourneau n°2, en coke métallurgique pour assurer la production de la matière première, la fonte liquide, sachant qu’une cargaison de 50 000 tonnes de coke, qui couvre à peine 40 jours d’autonomie, vaut 14 millions de dollars (2 milliards de dinars).
Ce qu’a confirmé, de son côté, Djamila Labiod, la présidente du Conseil d’administration (CA) de Sider El Hadjar, en précisant, toujours à El Watan, qu’«à ces deux milliards de dinars, il faut ajouter une caution de 10% lors de l’ouverture d’une lettre de crédit à l’effet de permettre la couverture financière des surplus de la marchandise».
Un marché juteux que se disputent, en Algérie, les intermédiaires des fournisseurs européens de ce «carburant». Il y a Godefroid et Penthol S. A. Il y a aussi Phœnix Consulting GmbH.
Mais son coke, selon les sidérurgistes d’El Hadjar, est très cher et dépasse même la moyenne d’achat (quelque 280 dollars/tonne) soit de plus de 100 dollars/t. Ce fournisseur voulait vendre à Sider El Hadjar, à travers un cadre d’Imetal, une quantité de 600 000 tonnes de coke couvrant ses besoins pour l’année 2021 contre 228 millions dollars, alors que ses concurrents l’offraient à une moyenne de 170 millions de dollars.
Interventions
Pendant la crise financière de Sider El Hadjar, entraînant fin 2020 plusieurs arrêts du haut-fourneau n°2 pour, justement, absence de coke, N. B., le représentant algérien de Phœnix GmbH, s’est adressé officiellement au groupe Imetal pour solliciter son intervention auprès de la direction générale de Sider El Hadjar, une filiale qui dépend de son portefeuille.
«Nous venons par la présente solliciter votre haute bienveillance pour intervenir auprès du groupe Sider El Hadjar. Notre groupe a fait une offre d’approvisionnement en coke métallurgique chaque mois d’une quantité de 50 000 tonnes pendant une année avec un délai de paiement de 90 jours pour chaque livraison, et un prix fixe toute l’année de 385 dollars la tonne avec un rabais de 5 dollars à la signature du contrat», lit-on dans la lettre de Phœnix Consulting GmbH, adressée au PDG du groupe Imetal.
Dans ce même document, signé par A. Bayat, managing director, ce fournisseur reconnaît que, deux de ses offres ont été rejetées pour non-conformité technique le 14 septembre et le 23 octobre 2020. Conforme à la spécification requise, la dernière offre, datée du 28 octobre 2020, a été suivie une semaine après par des exigences imposées par le responsable de l’unité du haut-fourneau.
Certainement contraignante, cette exigence a poussé le fournisseur à faire appel officiellement à «l’intervention» du groupe Imetal auprès du groupe Sider El Hadjar pour faciliter la signature de son contrat.
En l’absence de l’intervention du PDG d’Imetal qui, vraisemblablement, n’est pas au fait de cette affaire, c’est son directeur de la sécurité interne des établissements et des relations publiques qui a pris l’initiative de réagir officiellement en faveur de Phœnix.
Bien que cela relève de l’influence et que le statut de l’auteur n’a aucun rapport avec le service commercial, il s’est permis néanmoins de s’adresser officiellement au PDG du groupe Sider, au directeur général et à la présidente du conseil d’administration de Sider El Hadjar, les invitant à prendre au sérieux l’offre de l’intermédiaire du fournisseur et de le tenir informer des suites qui lui seront réservées avec la mention : «La considérant (l’offre) de probable valeur ajoutée au regard des difficultés qui prévalent au sein du complexe).» Une intervention aux relents d’influence que les commerciaux de Sider El Hadjar ont rejetée en invitant Phœnix à passer par la voie réglementaire, en répondant aux avis d’appel d’offres publiés dans la presse nationale.
Interrogée sur la légalité de cette procédure, Mme Labiod, la PCA de Sider El Hadjar, sans démentir l’intervention du directeur de la sécurité d’Imetal, s’est limitée à répondre : «Ce fournisseur ne fait pas partie du panel de fournisseurs de la société et n’a bénéficié d’aucun marché.»
Réaction similaire du PDG du groupe Sider El Hadjar, Lakhdar Aouchiche, qui lui aussi, sans démentir l’information, a déclaré que «ce fournisseur n’a jamais obtenu de marché à Sider El Hadjar».
Quand on limoge les DG
Mais ce qui n’est pas dit dans cette affaire, c’est qu’elle a coûté, selon des cadres de Sider El Hadjar,
«à l’ex-directeur général de Sider El Hadjar, Réda Belhadj, son poste, avant même qu’il boucle une année d’exercice, car il a refusé de signer ce contrat, malgré l’intervention du directeur de la sécurité du groupe Imetal qui, ancien officier supérieur, se prévaut de ses relations avec les militaires».
Rejetant ce limogeage avec le consentement de l’ancien syndicat de l’entreprise, Kamel Fritah, le secrétaire général de l’union locale de l’UGTA, a réagi en dénonçant cette situation et le trafic d’influence qui sévit au sein de l’entreprise, dont le problème du coke. Il a procédé au remplacement de certaines personnes par d’autres éléments plus engagés dans la défense des travailleurs.
De leur côté, des cadres commerciaux à Sider El Hadjar ont dénoncé : «Cette offre, qui a coûté son poste au jeune DG, dépassait, à la fin de l’année 2020, de loin celle de nos fournisseurs traditionnels d’une moyenne de plus de 100 dollars.
A comparer les prix de l’offre de Phœnix Consulting GmbH avec les autres, son représentant peut engranger, à lui seul, une somme nette de plus de 4 millions de dollars à chaque livraison mensuelle de 50 000 tonnes de coke.
En difficulté financière, Sider El Hadjar n’a jamais réalisé en un mois des bénéfices à la hauteur de ce chiffre.» Et si ce fournisseur est dans son droit de chercher des clients et des bénéfices, les plus importants possible, il faut s’interroger sur l’intervention du directeur de la sécurité qui, sans qu’il n’en ait les prérogatives, a voulu imposer indirectement un fournisseur dont le produit n’est nullement compétitif.
Outre la qualité qui a été à plusieurs reprises mise en cause par Sider El Hadjar, ce fournisseur n’avait nullement le besoin d’intervention, mais de passer par la voie normale et se soumettre à la réglementation régissant les marchés publics.
«Si l’offre de Phœnix Consulting GmbH est de 380 dollars/t, celle des autres dépasse rarement les 280 dollars/t. Le paiement à terme de 90 jours que propose ce fournisseur pour une augmentation de plus de 30% (+4 millions dollars/mois) dans les prix n’est nullement compétitif puisque la banque, BEA en l’occurrence, offre mieux, soit une lettre de crédit avec un taux de 6,5 % pour un crédit avec un délai d’exploitation de six mois (180 jours)», analysent plusieurs banquiers contactés par El Watan.
Rappelons qu’un projet de construction d’une cokerie au sein du complexe Sider El Hadjar a été annulé dans le nouveau plan de développement de l’entreprise. «Cette cokerie existait du temps d’ArcelorMittal Algérie, mais ce dernier l’avait démantelée pour importer le coke depuis l’une de ses unités en Pologne», regrettent des sidérurgistes de la zone chaude.
Ainsi, ce trafic d’influence qui sévit toujours, notamment au niveau de l’entreprise ENR de la récupération des déchets ferreux, a induit le limogeage de plusieurs directeurs de filiales. «Une enquête s’impose», insistent de nombreux cadres victimes de cette situation.
Source : El Watan