MEMOIRE. 21 mai 2014. Jean-Louis Hurst « Le Déserteur » repose à Diar Essâada
C’est en terre d’Algérie, conformément à ses dernières volontés, que Jean-Louis Hurst repose définitivement, aux côtés de Heike, décédée en 2012, sa compagne de combat pour l’Algérie, son épouse, la mère de leur fille Annik (qui vit le jour en Algérie en 1964). L’enterrement a eu lieu à Alger 21 mai 2014, au cimetière chrétien de Diar Essâada. Il avait 78 ans. Le décès avait eu lieu en France. Le journal Le Monde lui avait consacré un long article.
Mort du journaliste Jean-Louis Hurst, « Le Déserteur » de la guerre d'Algérie
Par Luc Cédelle, 15 mai 2014. Le Monde
Auteur du livre Le Déserteur publié et interdit en 1960, membre des réseaux dits de « porteurs de valises » en soutien au FLN pendant la guerre d'Algérie, puis journaliste au quotidien Libération à partir des années 1970, Jean Louis Hurst, est mort le mardi 13 mai à l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif. (Val-de-Marne).
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Jean-Louis Hurst est né le 18 septembre 1935 à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Son père, catholique, officier réserviste, est mobilisé en 1939 puis, refusant la défaite de 1940, emmène sa famille en Algérie pour y rejoindre les groupes d'officiers qui veulent continuer à se battre contre l'Allemagne nazie. En 1942, après la libération de l'Algérie par les Alliés, il participe aux combats en Italie et en France à la tête d'une unité d'Algériens. A la fin de la guerre, la famille retourne en Alsace, à Colmar, où le père travaille à la préfecture comme attaché culturel. Il achète une ferme dans les Vosges qu'il retape avec l'aide de deux Algériens, dont l'un, Mokhran, a été son chauffeur pendant la guerre.
DE L'ADMIRATION À LA RÉVOLTE
Adolescent, Jean-Louis Hurst se rapproche de cet ami algérien qui adhère aux idées nationalistes et lui fait prendre conscience de la réalité coloniale. « C'est quelqu'un qui me marque définitivement », témoignera-t-il dans le recueil Mémoires de la guerre d'Algérie (L'Harmattan, 2008), réalisé par Martin Evans. Simultanément il s'éloigne de son père, fervent partisan de la guerre d'Indochine, et va passer vis-à-vis de lui de l'admiration à la révolte absolue.
Après son baccalauréat, il bénéficie en 1953, à l'âge de 18 ans, d'une des bourses Zellidja (créés par l'architecte Jean Walter pour soutenir les voyages formateurs des jeunes) pour visiter les pays du Proche-Orient. Il y découvre en même temps le communisme et le nationalisme arabe. Il passe par l'Egypte alors en pleine effervescence après le coup d'Etat des jeunes officiers en 1952. En Israël, il s'intéresse avec sympathie aux kibboutz, mais enchaîne cette découverte avec celle des réfugiés palestiniens, dont il embrasse la cause, assimilant les Israéliens aux colons d'Algérie qu'il déteste. Désormais, entre fascisme et colonialisme, le jeune homme trace un trait d'égalité. Les événements vont bientôt se précipiter et renforcer sa conviction.
A son retour en France, en 1954, il s'indigne de voir son père accablé par la défaite de Dien-Bien-Phu. Il commence en 1955 une formation d'instituteur et sera en poste l'année suivante dans le Haut-Rhin. Il milite au Syndicat national des instituteurs (SNI) et, motivé par l'opposition à la guerre d'Algérie, s'inscrit au Parti communiste.
LA CONSIGNE DU PARTI
La consigne du parti étant de militer au sein de l'armée, il résilie son sursis, débute son service militaire en 1957 et devient sous-lieutenant. Lors d'un stage dans les Transmissions, à Laval, il rencontre un soldat opposé comme lui à la guerre : Gérard Meïer. A cette époque, comme d'autres jeunes communistes qui vireront plus tard au gauchisme, Jean-Louis Hurst trouve que les positions du PCF sur la guerre ne sont pas assez fermes : pour lui, il faut soutenir le FLN et non se contenter de réclamer la « paix en Algérie ».
En mai 1958, en poste en Allemagne, à Baden-Baden, il intercepte des messages des putschistes d'Alger. De plus en plus tenté par la désertion, il rencontre André Mandouze, intellectuel anticolonialiste travaillant alors à l'université de Strasbourg. Ce contact sera pour Hurst la porte d'entrée dans les réseaux d'aide au FLN, où il rencontre notamment l'abbé Robert Davezies et Francis Jeanson. Il est désormais de ceux que l'histoire appellera les « porteurs de valises », citoyens français ayant épousé la cause du FLN jusqu'à effectuer pour son comte des transports clandestins.
En septembre 1958, lorsqu'il reçoit de l'armée l'ordre de partir pour l'Algérie, il déserte et rejoint d'autres réfractaires en Suisse.
En 1959, avec deux autres déserteurs, Gérard Meïer et Louis Orhant, un ouvrier communiste, Jean-Louis Hurst lance le mouvement Jeune Résistance. Distinct des « porteurs de valises », Jeune Résistance se présente comme « la tribune mise à la disposition de la jeunesse française résistant à la guerre d'Algérie et au fascisme », et se donne pour but d'organiser les déserteurs et insoumis. Cette forme d'opposition radicale à la guerre d'Algérie, qui rassemblera selon les périodes et les estimations de quelques centaines à quelques milliers de militants va devenir un fait politique marquant. En septembre 1960, la déclaration pour le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, dite « Manifeste des 121 », sera signée notamment par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
SIGNÉ « MAURIENNE »
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C'est quelques mois auparavant, en avril, que Jean-Louis Hurst publie Le Déserteur, aux éditions de Minuit. Récit personnel et manifeste anticolonialiste, le livre est signé du pseudonyme de « Maurienne », en clin d'œil à la Résistance et à l'écrivain Vercors. Il est aussitôt saisi, l'auteur et l'éditeur sont poursuivis pour provocation de militaires à la désobéissance et condamnés à une amende. En 1962, les éditions de Minuit contournent malicieusement la censure en publiant, sous le titre Provocation à la désobéissance, le procès du Déserteur, un minutieux compte rendu des débats du procès (réédité en 2012).
En 1961, Jean-Louis Hurst prend ses distances avec Jeune Résistance lorsque ce mouvement se rapproche du trotskisme, mais continue de soutenir les déserteurs et insoumis. Après la fin de la guerre en 1962, il réintègre volontairement l'armée pendant quelques mois pour terminer son service militaire puis, jusqu'en juillet 1968, mène la vie d'un « pied-rouge », comme on appelle les Français établis en Algérie après l'indépendance.
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Il se marie en 1963 avec sa compagne Heike (décédée en 2012), participe à plusieurs chantiers de travail volontaire en Kabylie et suit des études d'histoire à l'université d'Alger.
De retour en France, il reprend son travail d'enseignant en Seine-Saint-Denis mais, décidément « réfractaire », doit quitter l'Education nationale en 1972 en raison de son refus de suivre les programmes scolaires. Comme d'autres militants d'extrême gauche, sa voie de sortie de la marginalité, à défaut d'une réconciliation avec la société, sera une plongée professionnelle dans le journalisme, au quotidien Libération qui vient alors de se lancer et dont il sera une des figures.
Source : Le monde.fr