John R. MacArthur : « Le « radicalisme » de Joe Biden est une absurdité ».
« En attendant, les grotesques injustices de l’économie américaine, dont le salaire minimum fédéral risible de 7,25 $ l’heure, semblent permanentes. Et c’est justement là que Biden s’est montré sous son vrai jour ».
New Deal bis?
Par John R. MacArthur*, 3 mai 2021
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Les États-Unis restent une nation officiellement sous le mandat de Dieu, donc je n’ai pas été étonné d’entendre annoncer dans les médias le deuxième avènement. Sauf qu’on parlait non pas de Jésus-Christ, mais de Franklin D. Roosevelt, fondateur de l’État providence américain, prétendument réincarné dans le descendant nommé Joseph R. Biden.
Comment ? Quoi ? L’assassin de la candidature présidentielle de Bernie Sanders et de sa réforme chérie du « Medicare for All » costumé dans les vêtements de la social-démocratie du New Deal ? L’allié de Wall Street et de sa déréglementation, ami des sociétés de cartes de crédit et partisan du libre-échange présenté comme un « progressiste » semblable à Elizabeth Warren, défenseuse des endettés et ennemie jurée des banques et de la concentration de richesses dans le « 1 % » ? Politicien ultra prudent et poli dans ses relations avec ses collègues, transformé en genre de Lyndon Johnson, parrain de la Grande Société, qui s’est distingué dans sa carrière par sa conduite agressive, voire brutale, lorsqu’il se décidait à « persuader » un opposant récalcitrant ?
En avril, Le Monde a résumé le sentiment des journaux et des commentateurs américains pro-Biden : « En se présentant comme un pragmatique soucieux de résultats concrets, Joe Biden n’ambitionne pas moins de devenir un président transformationnel sur le modèle de Lyndon Baines Johnson ou encore de Franklin Delano Roosevelt, même s’il n’a pas formalisé son projet comme ses illustres prédécesseurs. » Simon Kuper, dans le Financial Times, parle sans ironie du « tout nouveau radicalisme » du président.
À l’heure actuelle, « Oncle Joe » profite de l’incompréhension générale de ses deux énormes projets de secours — un déjà promulgué et le deuxième proposé pour de futurs travaux publics — dans lesquels chacun voit ce qu’il veut voir. Pour ma part, j’essaie, à l’instar de Biden, d’examiner les faits concrets plutôt que les images produites par les professionnels de la communication et les journalistes tellement traumatisés par Donald Trump qu’ils semblent avoir perdu la capacité d’analyser des événements ordinaires.
Mon point de départ est un scepticisme sur les tendances « progressistes » de Biden — on n’a qu’à examiner son bilan « nouveau démocrate » et néolibéral des quatre dernières décennies. Oui, le président veut dépenser énormément d’argent, comme l’a fait son prédécesseur. À 1900 milliards de dollars, son « Plan de sauvetage américain » (PSA), adopté en mars, est un peu moins coûteux que le premier projet de rescousse COVID-19 du président Trump en mars 2020, mais plus généreux dans ses paiements directs aux individus — 1400 $ contre 1200 $. Malgré la similarité d’envergure des projets respectifs de Trump et de Biden, le chroniqueur vedette du New York Times, l’économiste Paul Krugman, s’est presque mis à genoux devant celui de Biden, qu’il a qualifié de « stupéfiant », en partie à cause de l’élargissement pour un an du « Crédit d’impôt pour enfants » (CIPE), qui permet des paiements directs aux familles modestes sans preuve de besoin. L’ancien système de soutien pour les mères pauvres, avant qu’il ne soit ravagé dans les années 1990 par Bill Clinton et ses alliés comme le sénateur Joe Biden, fournissait un minimum à peine assez large pour faire vivre une famille de trois. Le CIPE augmenté s’élève à moins d’argent — 6000 $ à 7200 $ pour les familles avec deux parents en dessous de 75 000 $ de revenu annuel contre 15 000 $ dans le système de bénéfices directs avant Clinton —, mais il est sans condition.
Réforme radicale au niveau de la sécurité sociale (1935) ou Medicare (1965) ? Évidemment pas, car le PSA attaque maigrement la pauvreté des plus démunis parmi les 34 millions de personnes à faibles revenus ; de plus, Biden a récemment signalé que la hausse du CIPE serait probablement temporaire. En attendant, les grotesques injustices de l’économie américaine, dont le salaire minimum fédéral risible de 7,25 $ l’heure, semblent permanentes. Et c’est justement là que Biden s’est montré sous son vrai jour.
Avec une majorité éphémère au Sénat (la vice-présidente Harris tient le vote décisif pour les démocrates), Biden, afin de faire adopter son plan de secours, a été obligé d’esquiver une obstruction parlementaire par les républicains avec un processus appelé « réconciliation » — autrement il lui aurait fallu 60 voix pour mettre fin à un « filibuster » de l’opposition. Pour les cinéphiles qui connaissent James Stewart dans son rôle vedette de Monsieur Smith au Sénat, l’obstruction parlementaire sert des buts nobles, mais historiquement, c’est une tactique archaïque utilisée pour entraver les réformes.
Au début de sa vie législative, le PSA contenait une hausse graduelle du salaire minimum à 15 $ l’heure en 2025, élément essentiel pour les authentiques progressistes au Congrès. Mais voilà que l’expert officiel en procédures parlementaires a statué que cette hausse ne pouvait pas faire partie d’une « réconciliation ». Biden et ses conseillers s’y sont pliés, et la hausse a été enlevée du projet de loi, malgré les protestations du sénateur Sanders. Grand soulagement pour Biden, qui ne voulait pas déranger deux sénateurs démocrates conservateurs, Manchin et Sinema, qui préféraient une hausse à 11 $.
La réalité : une famille de quatre personnes ne peut pas vivre avec 7,25 $ l’heure, même avec deux parents à la tâche à plein temps, ni avec 11 $, et guère plus avec 15 $. La réalité : le « radicalisme » de Joe Biden est une absurdité.
*John R. MacArthur est le directeur du mensuel newyorkais Harper’s Magazine. Journaliste et auteur de nombreux essais, dont Une caste américaine et L’illusion Obama Le pouvoir de l’argent aux États-Unis
Source : Le Devoir.com