Les trois étapes de l’Economie algérienne.
Par Abdelatif Rebah, économiste, 12 avril 2021
/image%2F0932367%2F20210412%2Fob_14c413_rebah.jpg)
Dans l’évolution de l’économie algérienne depuis 1962, je distingue les étapes caractéristiques essentielles suivantes.
D’abord, celle que l’on pourrait qualifier d’étape de la maturation des choix fondamentaux de développement économique de l’Algérie indépendante.
Ce n’est pas faire dans le détail que de rappeler, à ce propos, que l’Algérie était, sous la colonisation, un pays artificiellement maintenu dans la famille des pays développés et avec l’exode massif des Européens de 1962, brutalement, elle est apparue pour ce qu’elle était en réalité : un pays sous-développé. L’Algérie qui rétablit, avec l’indépendance, sa « continuité avec le monde », le monde industriel compris, ne pouvait, donc, pour entreprendre son développement économique, embrayer sur nul acquis antérieur: ni industriel, ni entrepreneurial, ni managérial, ni technologique. Quelle voie s’offrait, dans ces conditions ?
La question du développement national ne pouvait s’inscrire que dans celle de la rupture avec le régime économique colonial et avec le rôle et la place qu’il a assignés à l’Algérie dans la division internationale du travail : à la fois réservoir de main d’œuvre et de matières premières bon marché et débouché pour les marchandises et les capitaux de la Métropole. En 1963, le Rapport sur le projet de code des investissements établi par la Commission Finances de l’Assemblée, exclut le recours au libéralisme économique qui « renforce la dépendance économique à l’égard du capital et fait de l’Etat un organisme de transfert des richesses aux mains des mieux nantis ».
L’Algérie indépendante va, alors, attribuer un rôle économique majeur à l’Etat et à l’entreprise publique et opter pour la voie de la planification pour organiser l’économie.
Elle va fonder la politique d’accumulation sur les hydrocarbures et conférer un net primat à l’industrialisation. A cette étape, il s’agit donc, de se donner le cadre institutionnel et les instruments de concrétisation de ces objectifs stratégiques.
La seconde étape est celle que l’on a appelée celle de l’âge d’or de l’édification nationale
Nationalisés, les hydrocarbures s’affirment comme la source de financement de l’accumulation productive, à la fois combustible du développement national et source d’une prospérité nationale partagée. Durant les Plans 1967-70,1970-74, 1974-1978 et 1980- 1984, la disponibilité croissante des revenus pétroliers (et gaziers) a servi à financer un effort sans précédent de développement national, accéléré et affranchi des contraintes de profit. La part de l’industrie n’a cessé de se développer pour atteindre 25% de la PIB. Près de 1800 unités industrielles sont mises en service ; 200 projets industriels sont lancés dans les domaines du raffinage, de la liquéfaction du gaz, de la pétrochimie, des engrais, des plastiques, des pneumatiques ; des grands hôpitaux et des universités ont été édifiés. Le défi de jeter les bases d’une industrie nationale ex nihilo était relevé. L’Algérie produit alors des tracteurs, des wagons, des engrais, des grues, des moissonneuses-batteuses, des produits pharmaceutiques, des téléviseurs, des camions, des bus. Les investissements publics- transports, agriculture, énergie électrique- favorisent, par ailleurs, le développement du secteur privé. En 1978, on recense 5600 entreprises industrielles privées.
En vingt ans, de 1967 à 1986, plus de deux millions de postes de travail nouveaux ont été créés. La population féminine occupée passe de 94 000 personnes en 1966, à 365 000 en 1989.
D’autres chiffres attestent des progrès accomplis. Dans un contexte de forte poussée démographique, le niveau de vie s’est indéniablement amélioré. Le taux de croissance de la consommation par habitant, quant à lui, a atteint 4,5% par an, en moyenne, et en termes réels également. Non moins remarquables étaient les performances enregistrées dans le domaine de l’enseignement et de la formation. L’effectif du primaire passe de 53 000 élèves en 1962 à 2 800 000 élèves, en 1983. Alors qu’en 1963, l’université algérienne ne produisait que 93 diplômés, en 1983, il en est sorti 11 000 ; quant aux effectifs cumulés des diplômés de l’enseignement supérieur, ils vont atteindre le cap des 100 000 en 1986, dont une proportion considérable de l’élément féminin.
Dans un court temps historique, celui qui sépare le 1er Plan triennal, 1967-1969, du plan quinquennal 1980- 1984, était érigée, presque ex-nihilo, une offre industrielle - et plus généralement une infrastructure économique, sociale et culturelle- nationale au bénéfice du peuple. L’Etat œuvre au progrès matériel et social de la population. Le travail, le logement, la santé, l’éducation sont des droits codifiés dans les textes fondamentaux du pays (Constitution, Charte nationale).
La troisième étape est celle de la remise en cause de la stratégie de développement national autonome et du démantèlement de ses outils
Engagé par le camp libéral dès les lendemains de la disparition du président Houari Boumediene, en 1979/1980, pour « sortir l’Algérie du carcan dirigiste» et «libérer les forces du marché», le processus de changement de cap allait mettre en branle une combinaison de dispositifs institutionnels, mesures législatives et réglementaires et instruments économiques qui vont se déployer crescendo, tout le long des décennies 1980, 1990 et 2000. Déréglementation notamment du foncier, désengagement de l’Etat en matière de politique de l’habitat, contre-réformes agraires libérales, réorientation de l’allocation des ressources au détriment de l’investissement, en particulier industriel, restructuration puis démantèlement du secteur des entreprises publiques, promotion du capital privé, libéralisation du commerce extérieur, privatisations sont les leviers essentiels du processus de reconfiguration des rapports économiques et sociaux engagé pour instaurer l’ordre marchand capitaliste en Algérie.
Le statut des richesses hydrocarbures dans l’économie algérienne, c'est-à-dire leurs usages économiques et sociaux, est reconfiguré au détriment de la sphère productive et du travail productif.
Ce mécanisme global de changement de cap a profondément bouleversé la structure de l’économie algérienne au détriment des secteurs d’activité et de l’emploi productifs. A l’économie structurée et enregistrée, s’est substituée une économie informelle qui règne sur 30% à 70% de l’activité économique selon les secteurs, du textile aux médicaments en passant par les cosmétiques, les chaussures, les pièces détachées ou encore les équipements informatiques.
En même temps, le ‘’basculement à l’économie de marché’’ a bouleversé la structure sociale algérienne. Ce qui structure la réalité sociale, désormais, c'est la dynamique des inégalités croissantes qui séparent le haut et le bas des revenus, des inégalités de patrimoine, biens fonciers ou immobiliers, produits financiers, ressources en devises, des inégalités en termes de mobilité internationale et de statut citoyen y afférent, des inégalités de statut d’emploi, permanents, occasionnels, chômeurs.
Cette voie conçue comme substitut à celle de développement national de la décennie 1970, s’est soldée par un fiasco dont les manifestations caractéristiques sont :
L’échec du triptyque libéral : libre échange-privatisation-IDE, la panne du développement.
Le libre-échange, une opération à pure perte pour l’économie algérienne, le privé national, investisseur et preneur de risque est inexistant et le capital étranger, en vérité, n’a d’yeux que pour l’or noir. Enfin, malgré des revenus pétroliers qui ont dépassé, durant ces trente dernières années, les 1 000 milliards de dollars, soit près de trois fois plus que le montant qui a financé les plans triennal, quadriennaux et quinquennal du développement (1967-1984), aucune dynamique réelle de développement n’a été engendrée.
Les revenus pétroliers abondants ont nourri le cycle importation-revente, au détriment de l’investissement, industriel, tout particulièrement. La croissance du PIB hors hydrocarbures et hors agriculture, a été stimulée par les activités de services, c’est-à-dire l’activité de transport (essentiellement routier) et le commerce (de détail, surtout), dopées par le boom des importations.
Source : Facebook