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Publié par Saoudi Abdelaziz

Mars 2019. Photo DR

Mars 2019. Photo DR

Par Touati Lahouari, Directeur d’études de l’EHESS

21 septembre 2020

L’Université est l’une des belles réalisations de l’Algérie indépendante. Tout en assumant sa démocratisation, elle a su dispenser un enseignement de qualité qui lui a permis de tenir sa place parmi les meilleures universités de la Méditerranée.

Aujourd’hui, force est de reconnaître qu’elle va mal.

Or, le mal qui la ronge est devenu sa seconde nature. Si l’on n’y prend garde, c’est l’avenir du pays qui s’en trouvera hypothéqué. Car il n’est nul développement qui ne repose sur une formation de qualité. Il est temps d’y remédier. Mais pour cela, nous devons sortir du mensonge. Les étudiants d’aujourd’hui ont le droit d’avoir une formation pour le moins égale à celle reçue par leurs aînés des premières décennies de l’indépendance. Un pays qui ne sait pas capitaliser son expérience et faire fructifier son accumulation est un pays qui est voué à répéter sans cesse son échec.

Cette formation de qualité à laquelle nous appelons est un droit. Un droit qui doit être égal pour tous, mais qui ne peut l’être aussi longtemps que l’enseignement supérieur s’en trouve désarticulé par la création de toutes ces écoles spécialisées adossées aux ministères les plus puissants et dont certaines pratiquent une politique de sélection opaque qui nuit à l’égalité des chances entre étudiants.

Les autorités du pays ne peuvent rester plus longtemps indifférentes à cette sorte de patrimonialisation de pans entiers de l’enseignement supérieur qui figurent parmi les plus convoités socialement.

Ce dépeçage en bonne et due forme a aggravé la crise de l’Université et mis un frein à sa rénovation. Il est temps d’opérer un tournant et de rompre avec les pratiques qui ont conduit à la création de ce qu’il faut bien appeler un enseignement supérieur à deux vitesses : l’un pour les enfants des affidés du «Système», l’autre pour ceux du commun du peuple qui le peut. L’un «francisé», l’autre «arabisé», ou ayant vocation à l’être. Cependant, rien ne sert de parler de refondation de l’Université algérienne tant que l’on n’a pas entrepris d’opérer une transformation qui soit en priorité.

1- Un changement dans la gouvernance : nos universités sont gérées de façon si autocratique qu’elles en sont venues à n’être qu’une excroissance du pouvoir exorbitant d’une bureaucratie aussi inefficace que paralysante. Nous appelons à un mode de gouvernement de l’Université qui émane de la communauté universitaire et qui repose sur des bases démocratiques. Plus de nominations «d’en haut», uniquement des mandats électifs.

L’autoritarisme bureaucratique est un poison qui dévitalise tout ce dont il s’empare. A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’organismes aussi complexes et sophistiqués que l’Université, mais également aussi fragiles.

2- Un retour sans complexe au bilinguisme : ce changement de paradigme linguistique passe par une désidéologisation des langues d’enseignement. Que les jeunes générations le sachent : c’est parce qu’elle reposait sur un bilinguisme assumé que l’Université algérienne de naguère offrait un enseignement de qualité. Le monolinguisme l’a stérilisée et continue de la débiliser à un moment où les deux pays voisins, qui ont arabisé avant nous leur enseignement supérieur, en sont revenus, sans que ce retour critique ait conduit à une hystérisation du débat public sur le sujet.

Toutefois, on ne peut introduire une deuxième voire une troisième langue internationale dans les cursus universitaires sans que la maîtrise de la langue arabe ne devienne une cause nationale. Osons le dire : les élèves achevant le lycée arrivent à l’université en parlant et en écrivant très mal une langue dans laquelle ils ont pourtant étudié durant toute leur scolarité, du primaire au secondaire.
 

L’aberration est poussée à l’extrême lorsque des élèves qui ont effectué leur scolarité en arabe doivent se convertir à une autre langue – en l’occurrence le français – s’ils veulent étudier la médecine, la physique ou quelque autre science de la nature ou de l’ingénieur. Un tel scandale doit cesser.

En attendant une réforme de l’éducation nationale, et notre pays ne peut en faire l’économie, il est du devoir de l’Université algérienne d’améliorer substantiellement le niveau de compétence de ses étudiants tant à l’oral qu’à l’écrit. Il y a des moyens pour le faire que nous n’avons même pas besoin d’inventer, puisqu’ils existent, y compris dans les pays les plus avancés.Il nous suffit d’être humbles, et de nous en inspirer.

3- Une généralisation du recrutement par les pairs : un tel mode de recrutement des pairs par les pairs est un gage de qualité de l’enseignement et de sa transmission, comme il est une garantie de l’égalité des chances entre candidats aux emplois d’enseignants-chercheurs.

Sans compter qu’il est le seul moyen de procurer au corps enseignant l’affinité élective nécessaire qui en fasse une véritable communauté savante, sans quoi il n’y a ni enseignement ni recherche de qualité.

L’Université est un joyau de la République. Ce joyau est aujourd’hui brisé. Or, nous n’avons cessé d’alerter sur son état par nos tribunes dans les médias et nos publications dans les revues spécialisées. Nos gouvernants, les oreilles cirées, sont restés sourds à nos appels et à nos craintes. «Les temps ont changé», semble-il. Alors, nous réitérons ce que nous n’avons cessé de demander et d’espérer : une réforme structurelle de l’Université.

Nous aspirons à cette réforme parce que l’Université est notre outil de travail, mais nous la voulons aussi parce que son relèvement est le prix à payer par notre pays s’il veut promouvoir la science et la culture, disposer d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, bâtir un Etat stratège animé par un personnel compétent et perspicace et négocier le tournant de l’économie numérique qu’il ne lui est pas permis de rater comme il a raté celui de l’économie industrielle. Précisément parce que nous avons cru que les transferts technologiques n’étaient pas aussi difficiles à réaliser et qu’il suffisait que le pays disposât d’universités en nombre pour accéder à une certaine autonomie scientifique et technologique qui soit le corollaire de son indépendance politique.

 Source : El Watan

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