L’ex-chef des services secrets, le général Ouassini Bouazza condamné à huit ans de prison ferme.
Il rejoint à la prison militaire ses prédécesseurs les généraux Médiène et Tartag.
A l'annonce de l'éviction, en avril dernier, du patron de la DGSI (anciennement DRS), Lahouari Addi- sociologue qui suit les questions militaires- écrivait : « Le général Bouazza montrait par ses actes peu de respect à Tebboune, affichant une arrogance débordante. Il n’a pas respecté les directives de l’Etat-Major sur les prérogatives des différents services de sécurité". Karim Kebir commente ce matin dans Liberté : « On soutient même qu’il aurait parrainé la candidature d’Azzedine Mihoubi lors de la présidentielle de décembre dernier. Un choix, au regard de l’issue du scrutin, qui aurait probablement signé sa chute ».
Le général comploteur !
Par Karim Kebir, 25 juin 2020
Sa chute brutale n’a d’égale que son ascension fulgurante. Il y a peu, on lui prêtait encore des pouvoirs insoupçonnés, voire disproportionnés. Mais, voilà qu’il finit désormais par rejoindre, comme d’autres avant lui, la prison militaire. L’ex-directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Ouassini Bouazza, a été condamné mardi par la Cour d’appel militaire de Blida à huit ans de prison ferme assortie d’une amende de 500 000 DA.
(…) Arrivé en avril 2019 par la grâce du défunt chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, après avoir occupé le poste de directeur des infrastructures militaires au MDN, Ouassini Bouazza se serait très vite imposé comme une pièce importante dans le cercle de la décision. On lui prête notamment d’avoir été l’un des architectes de la stratégie de la ligne dure adoptée pour mater le mouvement populaire.
Une stratégie dont les contours commençaient à apparaître avec les multiples arrestations qui ont ciblé nombre de figures du hirak. Sa puissance était telle qu’il avait la haute main sur nombre de dossiers et qu’il était derrière la nomination de certains ministres, walis et autres responsables à divers niveaux, selon les informations qui fuitaient par intermittence dans la presse.
On soutient même qu’il aurait parrainé la candidature d’Azzedine Mihoubi lors de la présidentielle de décembre dernier. Un choix, au regard de l’issue du scrutin, qui aurait probablement signé sa chute. Car dès l’arrivée d’Abdelmadjid Tebboune aux commandes, des rumeurs avaient circulé sur son imminent limogeage.
Reste qu’à l’examen des griefs retenus contre lui, on peut également déceler le caractère du personnage, mais aussi l’étendue de son pouvoir. Sa condamnation de mardi ne recouvre qu’une partie de ses agissements, comme le suggère en filigrane le communiqué de la Cour militaire de Blida.
“Le jugement a été rendu dans cette affaire en attendant d'autres procès d'affaires en cours d’instruction”, note le communiqué. Y serait-il également lié ? On l’ignore. Mais sa chute brutale signe le clap de fin d’un homme dont le rôle a été particulièrement controversé, notamment dans la “gestion” du hirak, et dont l’influence tentaculaire ne faisait pas consensus au sein du milieu si opaque du renseignement.
Source : Liberté
Pourquoi le général Wassini Bouazza a été évincé.
Par Lahouari Addi, 20 avril 2020
Désigné en avril 2019 à la tête de la DCSI pour affaiblir le hirak à tout prix, le général W. Bouazza a montré plus d’ambition personnelle que d’intelligence. Protégé par la général Gaid Salah durant l’année 2019, il était le hardliner pressé de mettre fin à la protestation par la répression. En incarnant la ligne dure, il s’était imposé à ses collègues à l’ombre de Gaid Salah.
Le système était-il en train de reproduire un autre Rab Dzair craint par les opposants et par ses pairs ? Après l’élection présidentielle du 12 décembre, le général Bouazza a refusé de se mettre formellement sous l’autorité du président Tebboune. Il a commis la même erreur que celle du général M. Lamari qui, en sa qualité de chef d’Etat-Major, s’était montré condescendant vis-à-vis du président dans une interview accordée à l’hebdomadaire français Le Point en 2004. Les généraux sont politiquement supérieurs au président, mais la logique du système leur interdit de le reconnaître publiquement. Le général Bouazza montrait par ses actes peu de respect à Tebboune, affichant une arrogance débordante. Ayant succédé au général Tartag à la tête de la DCSI, il aurait dû enlever l’uniforme militaire, installer son bureau à la présidence et se montrer publiquement.
En s’affranchissant de ces règles, il n’a pas respecté les directives de l’EM sur les prérogatives des différents services de sécurité. Il ne voulait pas être le chef d’une DCSI qui contrôle uniquement les partis artificiels, les faux journalistes et les milliers d’indicateurs et de doubabs des réseaux sociaux. Il intervenait dans des domaines qui sortaient de ses prérogatives et empiétait sur celles des généraux Benali et Medjahed qui contrôlent et surveillent la présidence sous l’autorité de l’EM. Il donnait des instructions directement au ministre de la justice et au DGSN sans passer par la présidence. Il affaiblissait la cohérence d’un système qui cherchait à se reconstruire pour survivre. Le système a fini par l’éjecter pour avoir gêné son adaptation au nouvel environnement créé par le hirak. Tout acteur, quelle que soit sa position dans le système, est écarté s’il ne respecte pas sa rationalité et ses contraintes. Les exemples ne manquent pas : K. Nezzar, M. Lamari, T. Médiène…
Pour des raisons liées à son histoire, l’Algérie indépendante a mis en place un système de pouvoir incompatible avec le principe de la souveraineté populaire qui s’exprime par des élections libres. Au cœur de ce système, la hiérarchie militaire refuse que le pays se donne un chef d’Etat, qu’il soit issu des partis, des syndicats, de l’université ou même des rangs de l’armée, fort de la légitimité populaire. Elle veut que le personnel qui dirige l’Etat soit choisi par les appareils de sécurité et non par le corps électoral. C’est ce système que le hirak veut démanteler. Le pourra-t-il ? Ce que l’histoire fait, l’histoire le défait.
Texte intégral : Magheb Emergent.