Constitutionnalisation des interventions militaires extérieures. Réflexions de Omar Benderra
Economiste, membre d’Algeria-Watch
7 juin 2020
(...) Pour beaucoup, le message serait politique avant tout et signerait le réveil diplomatique de l’Algérie et la reprise en main de son autonomie en matière d’options politiques dans sa sphère d’influence géostratégique. Il s’agirait donc de la réactivation d’un rôle que l’Algérie a abandonné depuis fort longtemps.
L’Algérie a en effet perdu beaucoup d’influence diplomatique au cours de ces trente dernières années. Le règne ubuesque de Bouteflika a parachevé l’effacement du pays de la scène régionale. Jusque dans les années 1980, l’Algérie était un passage obligé pour toutes les transactions stratégiques régionales, son poids politique, ses réseaux régionaux mais également ses diverses capacités de nuisance en faisaient un interlocuteur inévitable. Ce n’est plus le cas.
Les anciennes puissances coloniales qui craignent manifestement de perdre leur hégémonie dans leur ancien pré-carré n’ont plus à leur disposition que les seules options militaires. En Afrique, la Chine n’est plus l’unique adversaire stratégique des occidentaux.
La destruction de la Libye et les expéditions néocoloniales au nord Mali témoignent d’un énorme recul diplomatique de l’Algérie et de l’évident mépris des intérêts nationaux algériens par des acteurs extracontinentaux. La marginalisation du pays a pris une tournure particulièrement cinglante lors de la convocation par l’Allemagne en janvier 2020 d’un sommet sur la Libye où l’Algérie non invitée (malgré une frontière de près de mille kilomètres avec ce pays !) n’a été appelée à participer in-extremis que sur insistance de la Turquie… L’Algérie n’est plus qu’un partenaire secondaire, un pion sur un échiquier que des puissances essaient d’intégrer à leurs jeux.
Depuis les aventures néocoloniales de l’Otan contre le régime du colonel Kadhafi en 2011 et françaises au Sahel en 2013 contre la « menace djihadiste », les confins méridionaux et sud-orientaux de l’Algérie sont au contact de zones grises où prolifèrent des organisations armées plus ou moins séditieuses bénéficiant pour certaines de l’appui de puissances extrarégionales.
La situation libyenne est la plus préoccupante, autrefois prospère, ce pays aux structures socio-politiques complexes est en proie à une interminable guerre civile qui se métamorphose, par glissements successifs, en affrontement global.
La guerre par procuration de la France, de l’Italie, des Émirats Arabes Unis, de la Russie et de la Turquie tend déjà à évoluer en affrontement direct entre certains de ces protagonistes avec de durables conséquences déstructurantes sur un très vaste territoire. Le conflit qui oppose les deux principales forces libyennes en présence, le Gouvernement d’Union Nationale de Fayez El-Serradj et l’Armée Nationale Libyenne du maréchal Khalifa Haftar, pourrait aboutir à terme à la scission du pays, qui semble d’ailleurs être l’objectif inavoué des puissances occidentales.
La définition de nouvelles règles générales d’engagement de l’armée Algérienne pourrait aussi être adressée à des acteurs régionaux tentés par un certain bellicisme, comme le maréchal Haftar qui a publiquement menacé l’Algérie, ainsi que leurs parrains et sponsors tentés, eux, par l’élargissement du conflit et la volonté d’affaiblir des acteurs qui, peu ou prou, pourraient gêner leurs desseins. Les anciennes puissances coloniales qui craignent manifestement de perdre leur hégémonie dans leur ancien pré-carré n’ont plus à leur disposition que les seules options militaires.
En Afrique, la Chine n’est plus l’unique adversaire stratégique des occidentaux, la Russie et la Turquie font valoir leurs intérêts et accentuent leur présence sur le terrain. Les perspectives d’un « grand jeu » continental autour des ressources fossiles ne concernent plus seulement l’Afrique centrale. La profondeur géostratégique de l’Algérie, la Libye, la zone sahélo-saharienne et l’Afrique de l’ouest, est balayée par des vents mauvais.
Le risque est à court terme. De vastes portions du territoire libyen abandonnées, « somalisées » selon la formule éloquente d’un expert africain, peuvent servir de sanctuaires ou de bases arrière à des forces diverses puissamment armées et susceptibles d’être actionnées contre la Tunisie et/ou l’Algérie. Sous cet angle, la possibilité de projections préventives de forces de l’ANP, sous casque bleu ou non, prendrait tout son sens…
Source : http://assafirarabi.com/fr/
Texte intégral : Du Sahel à la Libye : le Hirak et la sécurité nationale