Comment et pourquoi je suis devenu un militant écologiste algérien. PAR KARIM TEDJANI
23 juin 2020
Cela fait pas moins de dix ans que je me suis engagé dans la création du blog "Nouara, le portail algérien de l'écologie". Ce site est aujourd'hui considéré comme un des tout premier web média indépendant traitant d'écologie et d'environnement en Algérie, ainsi qu'un portail web de référence pour nombre d'écologistes et d’écologues algériens. Pas de quoi être fier, mais surtout d’être satisfait d’avoir offert quelque chose d’utile et d’inspirant...
"Nouara", à la croisée entre une revue de web écologique, un outil de recherche et documentation, une plateforme d'échange d’idées, m'a également permis de diffuser de la manière la plus autonome et libre qui soit mes messages et réflexions sur un sujet aussi vaste et complexe que l'écologie et l'environnement en Algérie. En parallèle de cette contribution citoyenne sur la "webosphère" algérienne, fort de la visibilité de que m'a permis d'acquérir cet outil web, j'ai pu parcourir et explorer une très large partie du territoire algérien, le plus souvent invité par les actrices et acteurs locaux de l'écologie algérienne.
Cela m'a offert la possibilité de développer au fil du temps et de ces rencontres une vision à la fois locale, nationale et même géopolitique de l'écologie algérienne. Permettez-moi d'ailleurs d'insister sur la nuance entre écologie en Algérie et écologie algérienne. Car elle est au cœur même de cette vision. Une écologie tout aussi vernaculaire qu'universelle, qui n'est pas seulement une science et que l'on ne devrait pas non plus se réduire à étendre juste à une éthique de vie ou bien une idéologie politique seulement importée d'Occident.
L'écologie algérienne que je défends quotidiennement est un projet de société, la quête d'un paradigme civilisationnel, qui n'aspire pas à s'intégrer dans un projet économique, mais bien au contraire à replacer l'économie à sa plus juste et primordiale valeur : celle de produire d'abord du bien-être social et cela avant même de chercher à créer de la richesse matérielle. C'est une écologie anti-chrématistique pour reprendre Aristote, un des pères fondateurs, nous dit-on, de l'Oïkos nomia, plus connue de nos jours sous l’appellation économie.
Cette écologie ajoute ainsi à toute marchandise une valeur supplémentaire, pour ne pas dire essentielle à celles que Karl Marx avait si justement identifiées comme valeur d'échange et d'usage. Il s'agit ici de la valeur biologique, à prendre comme valeur de vie. Combien de valeur de vie contient chaque objet utile qui nous entoure et nous influence. Et que nous avons également le devoir d'entourer et d'influencer de notre volonté autonome de l’influence invisible des lois artificielles et écocidaires du Marché ?
Cette écologie, ou "Darologie" est très inspirée des conceptions "proto-écologistes" de mes ancêtres nord africains. Eux qui ont toujours pratiqué ce que le sociologue français Bourdieu qualifia dans sa "Sociologie de l'Algérie" de "commerce d'honneur" où la qualité humaine des échanges primait sur la nécessité de produire de la quantité pécuniaire.
Celles et ceux là-même qui ont tardés à se lancer corps et âme dans la quête de l'efficacité technique absolue tellement ils surent y pallier par des modèles d'organisations sociales dont la résilience environnementale passée peut et doit en faire aujourd'hui, en bien des points, les bases pragmatiques d'une philosophie économique des plus ancrées dans la modernité du 21ème siècle. N'oublions pas que nombres de ces ancêtres ont su développer dans des zones arides et semi-arides un des écosystèmes artificiels les plus équilibré et ingénieux : l'Oasis.
C'est pourquoi, quand je parle d'écologie algérienne, de Darologie, je lui donne intrinsèquement une dimension politique, non pas au sens politicien, ou pour l'inscrire dans un écologisme "vert" sans endémisme. "Politique" signifie bien ici, "qui a trait à la vie de la cité", de la nation, de l'état, du pays, des gens qui l'habitent, le peuplent et donc sont à leur tour habités par ce territoire.
C'est en réalisant cette véritable dimension de l'écologie politique, en m'émancipant d'un environnementalisme qui m'a longtemps laissé croire qu'elle était seulement affaire de respect de la nature et de protection de l'environnement que je suis finalement devenu un véritable militant écologiste algérien.
Cet Environnementalisme un peu naïf m'a fait écrire en 2013 "Pourquoi je ne suis pas un militant écologiste algérien » ; ce qui était tout à fait cohérent à cette époque, où je n'avais pas encore pris la réelle mesure de la notion d'environnement et surtout des réels enjeux hétéronomiques entre l'Être humain et la Technique, entre le Vouloir et le Pouvoir, entre la Main et l'Outil qui sont à l'origine d'une crise profonde entre l'"Homme" et la "Nature".
Voici donc comment et pourquoi je suis devenu non seulement un militant écologiste, digne héritier d'une tradition politique et scientifique qui date au moins du 17ème siècle, avec les premiers pas de la Conservation dans les îles Maurice ou de Saint Hélène, mais aussi et surtout un militant Darologiste, inspiré par la manière et le sens, la Maana, d'une tradition humaine multimillénaire de vivre en harmonie, d'habiter et de s'habiter de l'Afrique du Nord.
Le principal apport de cette écologie au reste du monde, a été cédé un peu trop généreusement par Pierre Rabhi, écologiste français d'origine algérienne, au discours écologiste français. Discours qui a vite fait d'oublier ou de rendre anecdotique sa nature essentielle : une sobriété qui n'est pas seulement béate, mais bien heureuse, et donc créatrice, qui a fait de coins de désert des paradis sur Terre ; une sobriété qui n'est donc surtout pas défaitiste.
Cette “sobriété heureuse” est aussi Algérienne et pas seulement Oasienne ni particulièrement évangélique. N'en déplaise à celles et ceux qui aimeraient l’omettre et même à Pierre Rabhi qui n’a plus l’air de s’en rappeler...
Source : http://www.nouara-algerie.com/