ALGERIE. L’utilisation des produits phytosanitaires dans l’agriculture: L’inquiétante situation.
"Le marché des produits phytosanitaires est en progression constante. En 2009, il représentait 67 millions de dollars et avait permis l’importation d’approximativement 30 000 tonnes de produits. Soit une consommation d’environ 0,85 kg par habitant et par an. Ce qui met l’Algérie tout en haut de la pyramide africaine ou la moyenne par habitant est d’à peine 0,135 kg par habitant".
Par Samir Slama, 18 juin 2018, Le Journal de L'Oranais
Une loi vieille de trente ans
Finalement l’enquête diligentée par le ministre de l’Agriculture aura été très courte. Cette affaire de produits refoulés pour des raisons sanitaires n’existerait même pas. Toutefois monsieur le ministre évite de démentir formellement monsieur Ali Bey Nasri le président de l’ANEXAL, ce qui est assez explicite pour les connaisseurs.
Mieux encore, le tout nouveau ministre de l’agriculture préfère botter en touche et évite de s’étaler sur un sujet qui inquiète, non sans raison les algériens, qui en cette récente période de Ramadhan et du chaud été qui s’annonce, se préoccupent de la qualité des produits qu’ils consomment.
La législation sur la fabrication, la commercialisation et l’utilisation des produits phytosanitaires est vieille de plus de 30 ans. Loi n°87-17 du 1er aout 1987 relative à la protection phytosanitaire.
Il faudra attendre presque une dizaine d’années pour que soit promulgué le 1er décret exécutif n° 95-405 du 2 décembre 1995. A cette époque là, l’agriculture était moribonde et l’utilisation des produits phytosanitaires était un luxe que la majorité des paysans préféraient éviter.
A cette même époque la gamme de produits importés par les défuntes S.A.P était dix fois moins importante. Alors qu’aujourd’hui elle compte 480 produits homologués auxquels viennent s’ajouter ceux de la contrebande et du marché noir qui représenteraient selon les spécialistes entre 10 et 15% des produits disponibles, ce qui donnerait environ une cinquantaine de produits non homologués et non contrôlés sur le marché. Cela est d’autant plus dangereux qu’il s’agit de produits très prisés par les agriculteurs pour leur efficacité.
Le marché des produits phytosanitaires est en progression constante. En 2009, il représentait 67 millions de dollars et avait permis l’importation d’approximativement 30 000 tonnes de produits. Soit une consommation d’environ 0,85 kg par habitant et par an. Ce qui met l’Algérie tout en haut de la pyramide africaine ou la moyenne par habitant est d’à peine 0,135 kg par habitant.
Pour les spécialistes de l’économie agricole, le puissant lobby des produits phytosanitaires n’est pas étranger à cette surconsommation. Comparativement pour la même année (2009), le Maroc a consommé un peu plus de 17 000 tonnes de produits phytosanitaire pour une productivité à l’hectare, deux voire, trois fois plus performante que la notre. «Il est vrai aussi que le métier est très encadré par des règles d’éthiques assumées et contrôlées par les professionnels du secteur à travers leur association» nous dira un universitaire.
Initialement le commerce était réservé aux seuls spécialistes du phytosanitaire. La loi exige un diplôme de technicien dans la spécialité au minimum. La conjugaison du libéralisme et du laxisme autorisa tout un chacun à commercer dans un secteur pourtant sensible.
Aujourd’hui on trouve de nombreuses personnes sans qualification dans le domaine, cela va du coiffeur au vétérinaire en passant par le juriste. Ainsi, les produits phytosanitaire se trouvent aussi bien sur les étalages des jardineries que chez les spécialistes de la désinfection ou les revendeurs de matériel et les semenciers. Des commerces ou ni la santé des consommateurs, ni la pollution, ni même le respect de la réglementation ne font le poids devant le chiffre d’affaire.
Le boom de l’agriculture
Depuis le boom de l’agriculture dans le sud du pays, la stratégie d’intensification anarchique de la production promue par l’Etat, mais aussi l’âpreté du gain à tout prix des nouveaux fellahs, font que le non respect des règles de base d’exploitation, tel que l’assolement ou même la jachère dans certains cas, qui permettent de réduire le parasitisme sans recourir à la chimie, sont écartées au profit de la même chimie.
Bien que la consommation des produits chimiques a connu un véritable boom, la législation algérienne reste outrageusement dépassée. Dans le domaine du phytosanitaire ou il faut compter l’introduction de 15 à 20 nouvelles matières actives par an. La réglementation doit s’adapter aux nouvelles découvertes sans trop traîner les pieds. Le regard des lois algériennes sur les produits phytosanitaire est dangereusement obsolète.

Le D A R principal motif du refoulement des marchandises
Le non respect des protocoles techniques d’utilisation, les fameux DAR (durée avant récolte) que prescrivent les fabricants. Ces prescriptions ne sont même pas recommandées par les spécialistes du phytosanitaire algérien et encore moins contrôlés. Ce non respect est tellement banalisé que l’on trouve sur les étals des marchands des tomates portant des taches bleues couleur assez caractéristiques du mancozébe, un fongicide utilisé principalement pour lutter contre le mildiou.
La DAR du produit pour la tomate est d’à peine 4 jours, ce qui laisse penser que le produit est utilisé jusqu’au jour de la récolte même. C’est probablement le non respect de cette DAR qui est à l’origine du refoulement des produits algériens à l’exportation. Si pour le mancozébe le risque toxique est relativement faible et nécessite de fortes doses et une longue exposition, pour de très nombreux autres produits les durées d’attentes sont bien plus longues et peuvent être de plusieurs mois, ces produits sont généralement toxiques à des doses biens plus faibles et les doses toxiques sont bien moins importantes.
Pour une autre production, la DAR d’un même produit peut être bien plus longue, ainsi lorsque le mancozébe est utilisé sur la pomme de terre la DAR est de 21 jours. Il serait assez facile de trouver là toute les justifications nécessaires pour expliquer la mauvaise utilisation des produits phytosanitaires par les agriculteurs que l’on nous présente encore comme étant des gens plus ou moins incultes.
La culpabilité des agriculteurs pour en cacher une autre
A l’occasion d’une journée d’étude sur la fameuse Tuta absoluta, un parasite venu d’on ne sait ou et qui a mis de nombreux agriculteurs sur la paille, «Ammi Hadj» personnage portant barbe blanche et kamis prendra la parole pour résumer en quelque sorte l’état d’esprit de tous les présents.
Droit dans ses bottes et en regardant dans le blanc des yeux aussi bien les animateurs que les représentants de l’autorité phytosanitaire de la région, il dira «lors de la précédente campagne, j’ai laissé plusieurs millions de dinars, l’Etat n’a pas levé le petit doigt pour moi. Alors cette année pour lutter contre cette peste je suis près à utiliser tous les poisons possibles et imaginables.» Ce qui fera bien entendu réagir la salle avec un grand murmure d’approbation et laissera bouche bée les officiels.
Depuis, les pièges à phéromone ont bien été introduits mais leur prix qui tourne autour de 5000 à 7000 da l’unité reste largement au dessus des moyens des agriculteurs. Pour être efficace, ces pièges doivent être utilisés à raison de deux par serre de 400 m² et renouvelés tous les 4 jours durant tout le cycle de la production de la tomate, soit au bas mot 150 000 da par serre, auquel viennent s’ajouter de nombreux autres frais tel que la location de la parcelle, le carburant pour la motopompe, les engrais.
La lutte biologique est finalement bien au dessus des moyens des nouveaux métayers de l’agriculture algérienne. Quand au consommateur qui veut manger bio, il devra soit le faire à la sueur de son front en se mettant au jardin, soit d’accepter d’en payer le prix.
Source : Oranais.com