Philosophe et romancier livrés aux flics en Tunisie et en Algérie
En Tunisie, Houssem, "un des futurs philosophes et penseurs qui se comptent sur les doigts de la main", selon Henda Chennaoui, vient de faire deux mois de prison préventive. Les flics ont endommagé son ordinateur où il stockait sa future thèse. «L’emprisonner pour un joint est une aberration que la Tunisie payera cher » ont contesté ses professeurs, ses collègues et ses élèves avant sa libération. En Algérie c'est Anouar Rahmani, un jeune romancier, ayant créé le personnage du SDF qui se prend pour dieu, que les flics arrêtent et interrogent brutalement sur ses convictions religieuses. Ahmed Farah commente : "Une société qui soumet au confinement ses intellectuels et les maltraite, ne produit que des ressentiments contre le mépris et le désamour de son pays. Le vrai danger n'est pas un roman de fiction mais l'ignorance qui nous leste".
Ce passé qui nous piège, cette ignorance qui nous leste
Ahmed Farah, 9 mars 2017
(...)La semaine passée, Anouar Rahmani un jeune romancier a été entendu dans un commissariat de police et devait répondre lors de son interrogatoire de ses convictions et ses pratiques religieuses pour le livre, « La ville aux ombres blanches », qu'il a publié il y a un an et dans lequel il avait consacré un chapitre où il suggéra un dialogue entre le personnage principal, un enfant, et un SDF malade mental qui se prenait pour Dieu.
Des intellectuels le soutiennent sur les réseaux sociaux et dans la presse, exprimant leur consternation pour « l'inquisition » d'un nouveau genre que subit le jeune romancier. Des médias occidentaux ont repris cette affaire qui ne fait que reculer l'image d'un pays qui n'en avait pas besoin.
Soutenir un jeune romancier, dans un pays où le livre et la créativité artistique ne sont pas toujours les bienvenus, devient sérieusement hasardeux. L'autocensure bloque et freine la créativité littéraire qui n'est qu'artificielle et tronquée si elle n'est pas authentiquement pensée et dite comme elle est (re)sentie. L'amnésie semble toucher une société qui a vécu récemment une tragédie qui aurait pu la faire ensevelir dans les méandres de l'histoire si ce n'était la vigilance de ceux, de tout bord, qui avaient l'Algérie dans le cœur. Pour le rappeler aux amis d'Alzheimer, des centaines de femmes et d'hommes représentant les intellectuels et les artistes furent parmi les premiers à avoir payé de leur vie ce drame. La médiatisation de « l'affaire » du jeune écrivain Anouer Rahmani est une arme à double tranchant, elle peut le soustraire à une « inquisition » pour le faire basculer dans une autre plus dangereuse encore....
Une société qui soumet au confinement ses intellectuels et les maltraite, ne produit que des ressentiments contre le mépris et le désamour de son pays. Le vrai danger n'est pas un roman de fiction mais l'ignorance qui nous leste".
Source : Raïna Raïkoum, Le Quotidien d'Oran
Houssem, le philosophe emprisonné pour un joint raconte la prison
Par Henda Chennaoui, 9 mars 2017
(...) Houssem A, 28 ans, est libre. Après deux mois entre la prison de Sidi Bouzid et la prison de Kasserine, il a été acquitté par la justice, le 14 février 2017, dans une affaire de consommation de cannabis. Une mobilisation a suivi son arrestation. Houssem est un des futurs philosophes et penseurs qui se comptent sur les doigts de la main. « L’emprisonner pour un joint est une aberration que la Tunisie payera cher » ont contesté ses professeurs, ses collègues et ses élèves avant sa libération.
Professeur de philosophie dans un lycée au Centre-Ouest de la Tunisie, Houssem prépare son doctorat en philosophie après avoir réussi son agrégation avec brio en 2014. Durant huit semaines, la loi 52 a éloigné Houssem de ses élèves, de ses recherches et de ses livres. Au cours de l’enquête, les policiers ont confisqué son ordinateur et l’ont endommagé. Une partie de sa thèse y était stockée. Sorti d’une expérience traumatisante, pour le moins qu’on puisse dire, le philosophe dénonce la cruauté de la prison. Récit d’un séjour pénitentiaire ordinaire. (...) Visiblement marqué par une expérience éprouvante, Houssem a du mal à se concentrer sur une reconstitution linéaire de son vécu. Il préfère réfléchir à la cruauté de la prison que raconter des faits. Le crâne rasé de force, pour l’humilier et l’avilir, il garde sur son visage rond et pâle, un regard moqueur et fier. Ses yeux vifs contrastent avec un front droit et des lèvres timides. Houssem préfère le silence et la solitude. Durant ses six ans d’étude à Tunis, il n’avait d’autre compagnon que ses livres et ses pensées. Et pourtant, il était aimé et respecté par tout le monde. « Je ne faisais de mal à personne » explique-t-il. Houssem pose ses grandes mains sur ses larges jambes avant de continuer « la prison est l’épanouissement extrême du sadisme de la société. La volonté de vengeance envers ses marginaux. C’est un lieu qui transforme ses victimes en cas pathologiques difficilement guérissables. La privation de liberté n’est qu’un prétexte territorial qui légitime la violation des droits humains les plus fondamentaux et alimente un commerce lucratif extrêmement hiérarchisé et verrouillé »(...)
Lire le texte intégral du témoignage : Nawaat.org