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Publié par Saoudi Abdelaziz

Il y a 60 ans, à El Biar, la liquidation de Ali Boumendjel

Le 23 mars 1957, le jeune avocat avait été fauché à la fleur de l’âge, à l'âge de 36 ans. L'enquête de l'historienne Malika Rahal a définitivement démenti la thèse du suicide prônée par les autorités et la presse françaises de l’époque. Elle démonte les mécanisme de sa liquidation dans un immeuble à El Biar, après de nombreux jours de torture. "En signant des aveux, tous les jours plus spectaculaires et tous faux, extorqués sous la torture, Ali Boumendjel permit de sauver plusieurs militants et responsables du FLN", qui admettent qu’ils lui doivent la vie", dira l’historienne.

Il y a 60 ans, à El Biar, la liquidation de Ali Boumendjel

Dans son livre intitulé  Ali Boumendjel (1919-1957) : une affaire française, une histoire algérienne  paru aux Editions Barzakh, l’historienne plonge le lecteur dans l’Algérie de 1956-1957, où les autorités coloniales confient les pouvoirs de police aux parachutistes commandés par le général Massu.

Le jeune avocat, qui fut l'un des conseillers politiques de Abane Ramdane, avait été arrêté le 9 février 1957 sur son lieu de travail, quelques jours après la grève des 8 jours et en pleine "Bataille d’Alger". Dans une conférence, en novembre 2011, l’historienne affirme que Ali Boumendjel a été "longuement et sauvagement torturé durant son arrestation, subissant toutes sortes de supplices puis assassiné quarante-cinq jours plus tard sur ordre du commandant Aussaresse qui a reconnu son assassinat dans ses mémoires".

"Officiellement on prétend qu’il s’est suicidé, mais l’autopsie a révélé que, lors de sa chute, du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar, sur les hauteurs d’Alger, il n’y avait aucune fracture de défense sur son corps, ce qui suppose qu’il était déjà mort lors de sa chute de l’immeuble", affirme Mme Rahal qui précise aussi que la vérité sur la mort de ce militant "n’a jamais été reconnu par les autorités françaises".

"En signant des aveux, tous les jours plus spectaculaires et tous faux, extorqués sous la torture, Ali Boumendjel a permis de sauver plusieurs militants et responsables du FLN", dira l’historienne dont l’avocat Me Amar Bentoumi et qui admettent qu’ils lui doivent la vie.

L’affaire Ali Boumendjel, dira par ailleurs l’historienne, n’a été connue en France que "grâce au geste spectaculaire de l’ancien ministre de l’Education nationale du général de Gaulle et résistant, René Capitant, alors professeur de droit à la faculté de Paris".  Non convaincu du suicide de son ancien étudiant, il décide de suspendre ses cours en guise de protestation et envoie une copie de la lettre adressée à ses supérieurs à plusieurs journaux. La mort de Boumendjel "a mobilisé des intellectuels, des avocats, des hommes politiques et de nombreux anonymes contre la torture et les méthodes de l’armée française en Algérie".

Une personnalité singulière

Pour Malika Rahal, "Boumendjel représentait l’aile gauche de l’UDMA et travaillait à la rédaction d’articles dans le but de décoloniser l’histoire de l’Algérie, d’inscrire le mouvement vers l’indépendance dans une révolution anticoloniale mondiale",  soulignant que  ce militant était "singulier en ce qu’il est particulièrement attaché à la discussion avec tous les autres courants du nationalisme".

Repères biographiques

Repris par Azzedine Kinzi dans sa présentation de l'ouvrage de Malika Rahal.

Issu d’une famille paysanne originaire du village Taourit Menguellat en Kabylie, petit-fils de paysan, Ali Boumendjel est le fils de l’un des premiers instituteurs kabyles installés dans l’Oranie, à Relizane, où il est venu au monde en 1919. La famille Boumendjel a ainsi connu une mobilité sociale et géographique importante, passant de la famille paysanne en Kabylie à la famille d’instituteurs loin de la Kabylie.

Cette « rupture » est fondatrice d’un environnement culturel et d’acculturation dans lequel Ali Boumendjel va évoluer et être socialisé. Par ailleurs, la profession du père va constituer un héritage culturel familial qui sera transmis tant aux filles (à l’exception de la soeur aînée), toutes devenues institutrices et ayant épousé des instituteurs, qu’aux garçons de la famille, Ali et son frère Ahmed ayant été également instituteurs au début de leurs carrières. C’est ce qui fait de cette famille, « une famille homogène ».

Ali, comme son frère Ahmed avant lui, poursuit ensuite des études en droit à la faculté d’Alger et devient un avocat spécialisé dans le droit musulman. Il épouse Malika Amrane, originaire d’une famille également kabyle et devient père de trois garçons et d’une fille.

C’est l’itinéraire de « l’avocat de la république algérienne » engagé qui est évoqué dans la troisième partie de l’ouvrage. Ali Boumendjel a vécu dans un milieu très politisé, caractérisé par l’activisme des étudiants et des associations. Son frère Ahmed était déjà l’avocat de Messali Hadj, leader du Parti du Peuple Algérien (PPA). Ali Boumendjel est lui-même un acteur politique engagé activement, depuis son jeune âge, dans l’action militante. Entre 1944 et 1945, il adhère à l’association AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), fondée en 1944, et au sein de laquelle la contribution de la famille Boumendjel a été conséquente. Il quitte cette organisation après les événements de mai 1945 qui entraînent la dissolution de celle-ci. Il s’engage ensuite dans la formation politique initiée et pilotée par Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du Manifeste Algérien), créée en 1946 dans un contexte caractérisé par une recomposition du champ politique national et par l’ouverture électorale. Dans cette formation, Ali Boumendjel représente non seulement la jeune génération (contrairement à son frère Ahmed, de onze ans son aîné, qui représente l’ancienne génération), mais aussi la tendance de gauche. Il est responsable, dans un premier temps, de la section de Blida, puis de celle d’Alger.

Son militantisme s’est également exprimé à travers son engagement dans la presse. C’est ainsi qu’Ali Boumendjel s’est investi d’abord dans le journal Égalité (organe de l’AML) dont il représente l’une des plumes importantes ; ensuite dans le journal La République algérienne (organe de l’UDMA) en tant que responsable et principal contributeur. M. Rahal souligne que l’engagement d’Ali Boumendjel dans la presse exprime sa volonté de participer à une réécriture de l’histoire de l’Algérie.

La guerre de libération nationale constitue bien sûr une étape importante dans le parcours militant d’Ali Boumendjel. Dans cette phase décisive et charnière de l’histoire politique de l’Algérie, Ali Boumendjel s’est fait l’avocat de la révolution, entre 1954 et 1957, en défendant les victimes de la guerre auprès de la cour d’appel d’Alger. Il a participé par ailleurs à la révolution à travers ses activités internationales, notamment lors du Conseil national de la paix qui s’est tenu à Stockholm en 1956. Pendant la guerre, Ali Boumendjel occupe une position stratégique ; il est l’un des conseillers politiques de Abane Ramdane, figure politique centrale du FLN, notamment après sa prise en main d’Alger.

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