L'Algérie est-elle immunisée contre le chaos ?
Pour Abdelaziz Bouteflika, hier, les mesures essentielles sont déjà prises qui prémunissent le pays contre les dangers. Il affirme que "la jeunesse est immunisée contre chaos". Mais, dit-il, des aménagements sont quand même nécessaires pour compléter le dispositif. Le chef de l'Etat a surtout fourni dans son message d'hier, aux partis de la "majorité", les orientations de base pour des campagnes électorales optimistiques, qui ne s'embarrassent pas d'états d'âmes! Une intéressante analyse de Ramdane Mohand Achour dans Libre-Algérie s'interroge : "Mais de quelle nature exacte sont ces dangers ? Sous quelles formes se présentent-ils ? Et quelle ampleur atteignent-ils ?"
"Les crises économiques et idéologiques qui secouent le monde et les bouleversements géostratégiques ont un impact direct sur beaucoup de pays notamment en voie de développement à l'instar de l'Algérie" , indique le président Bouteflika. Il limite les moyens d'y faire face à une sorte d'adaptation technique n'exigeant pas une remise en cause en profondeur. Il suffit selon lui de répondre à "la nécessité de conjuguer nos efforts et de resserrer nos rangs pour une exploitation optimale des compétences, aussi nombreuses que méritoires, que recèle notre pays dans tous les domaines".
Pour le chef de l'Etat, l'Algérie est politiquement et institutionnellement déjà préparée à la crise. "grâce à des mesures sur lesquelles le peuple a été consulté". Il affirme: "Toutes ces mesures sont de nature à prémunir l'Algérie contre des situations et des évènements regrettables dont nous sommes témoins et qui sont à l'origine de l'effondrement de régimes et l'éclatement de sociétés devenues le théâtre de tueries et de destruction et où le chaos règne en maître".
Il assure que l'Algérie est vaccinée contre le chaos. Evoquant sans doute les mouvements de rue de janvier il assure : "En ignorant les détracteurs, les adeptes du chaos et autres esprits sceptiques et malveillants tendant à occulter les acquis réalisés au profit du peuple, notre jeunesse a prouvé qu'elle était lucide quant aux menaces de l'heure (...) car immunisée culturellement, idéologiquement et politiquement".
Le danger extérieur et le front intérieur
Par Ramdane Mohand Achour. 7 février 2017. Libre Algérie
Tout au long de 2016 et dans la continuité des années précédentes, les responsables politiques du pays ont appelé les Algériens à consolider le « front intérieur » face au « danger extérieur ». Leur souci n’est pas infondé.
On constate en effet que la situation dans les pays du monde arabe et dans ceux du Sahel n’incite guère à l’optimisme tant l’enjeu politique commun à nombre d’entre eux réside dans le fait de savoir si leurs Etats nationaux respectifs peuvent encore tenir. L’Etat Libyen s’en sortira-t-il ou disparaîtra-t-il dans un trou noir à l’instar de son homologue somalien ? Le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Centrafrique, entre autres, parviendront-ils à assurer un minimum de stabilité sans l’appui lourdement intéressé de la « communauté internationale », c’est-à-dire, en l’occurrence, de la France néocoloniale ? La Méditerranée rompra-t-elle avec sa fonction de cimetière marin de masse pour réfugiés et autres émigrants clandestins désireux de s’installer dans une Union européenne touchée elle aussi par des attentats et qui traverse une crise existentielle profonde dont on ne sait si elle se remettra ? L’Egypte continuera-t-elle à s’enfoncer dans la guerre civile ? L’éventuel retour en Tunisie de milliers de djihadistes autochtones défaits au Proche-Orient ne risque-t-il pas de faire capoter la transition et de faire éclater le pays ? Et que dire du Yémen, de l’Irak et même de la Syrie dont on aurait tort de penser qu’elle est totalement sortie d’affaire depuis la libération d’Alep ?
Effectivement, les dangers qui guettent les Etats du bassin méditerranéen, du Sahel et du monde rabe, trois ensembles auxquels l’Algérie appartient, sont réels et nombreux. En ce sens, et quelle que soit l’appréciation politique de chacun à l’endroit du pouvoir algérien, il convient de reconnaître que nos gouvernants ont raison lorsqu’ils parlent de « danger extérieur » et de la nécessité de renforcer le « front intérieur ».
Oui, il faut combattre les dangers extérieurs. Oui, il faut consolider le « front intérieur » pour y parvenir.
Mais de quelle nature exacte sont ces dangers ? Sous quelle(s) forme(s) se présentent-ils ? Et quelle ampleur atteignent-ils ? Telles sont les questions principales qui se posent à nous, si nous voulons en venir à bout.
Or, force est de constater que nos gouvernants ne nous donnent pas d’éléments substantiels et clairs en la matière. L’Algérie est-elle directement ciblée militairement et par qui ? Risquons-nous d’être attaqués dans un proche avenir par Israël, par un ou des pays voisins (le Maroc par exemple), des puissances européennes membres de l’OTAN et/ou les Etats-Unis ? Il est clair que notre pays ne fait pas, présentement, l’objet d’une menace d’agression de la part de ces Etats. Cela signifie-t-il pour autant que toute menace est à écarter à moyen et long termes et que l’on doit renoncer à se préparer à faire face à toute menace, même potentielle ? Les exemples dramatiques de la Libye et de la Syrie, parmi tant d’autres, incitent à la vigilance. Même les « amis » et « frères » d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain. Que dire alors des ennemis de toujours… Il serait en conséquence inconscient et criminel de ne pas prendre les mesures nécessaires pour se protéger. Mais aujourd’hui, à l’heure qu’il est et à moins de faire preuve d’une paranoïa particulièrement aigue, l’Algérie ne vit pas sous la menace d’une intervention armée étrangère imminente.
Le discours de nos gouvernants à ce sujet se veut d’ailleurs rassurant.
Même s’ils critiquent régulièrement les rapports du Département d’Etat américain sur la situation algérienne ou les positions de tel ou tel autre gouvernement occidental, d’association de défense des droits de l’Homme ou de défense de la liberté de la presse, de médias ou hommes politiques étrangers… nos gouvernants soulignent toujours le partenariat d’exception avec la France, l’excellence des relations avec les Etats-Unis, la coopération permanente avec l’OTAN, l’absence de problème avec « nos frères marocains »… Et ils fustigent tous ceux qui laissent entendre qu’il pourrait y avoir la moindre tension avec l’Arabie
saoudite ou le Qatar.
La seule cible concrète que nos gouvernants pointent clairement et sans détour est le « terrorisme » qui sévit en Libye, au Mali et ailleurs. Le ministre des Affaires religieuses va parfois plus loin en dénonçant les sectes et prosélytes ahmadite, wahhabite ou chiite qui tentent d’éloigner les Algériens de leurs référents musulmans traditionnels, malékite et ibadite. Mais nos gouvernants ne se lassent pas de préciser que le « terrorisme » et « l’extrémisme religieux » sont définitivement vaincus en Algérie, que l’Armée nationale populaire poursuit son entreprise d’écrasement des groupes terroristes résiduels, qu’elle assure avec succès la sécurité aux frontières et que la politique de « réconciliation nationale » renforcée par une politique préventive de « déradicalisation » et de renforcement du « référent religieux proprement algérien » immunisent l’Algérie contre ces dangers.
Alors que de plus en plus de pays (Syrie, Irak, Egypte…), de courants et de sommités du monde musulman (El Azhar…) n’hésitent plus à affirmer publiquement que le wahhabisme constitue un danger menaçant l’islam et les musulmans, en priorité sunnites, nos gouvernants se contentent d’affirmer que ce courant est simplement inadapté à l’Algérie, refusant par là-même de se prononcer clairement sur le contenu de cette doctrine qui sert pourtant de base à tous les groupes islamistes djihadistes et takfiristes qui mettent le monde musulman à feu et à sang.
Mais pourquoi, dans ces conditions, en appeler avec autant d’insistance à la nécessité absolue de renforcer le « front intérieur » ? L’affirmation récente d’Ahmed Ouyahia selon laquelle« l’Etat n’est pas faible » devrait signifier que le « front intérieur » se porte bien. Or, les appels à « consolider le front intérieur face aux dangers extérieurs » n’ont de sens, politiquement parlant, que lors de situations critiques. C’est dans ce genre de situation que les dirigeants appellent généralement les citoyens à passer sous silence certaines critiques et à renoncer à certaines revendications qui pourraient mettre en péril la cohésion nationale et favoriser ainsi l’ingérence de forces étrangères malintentionnées.
L’insistance et la réitération obsessionnelles à « se serrer les coudes » – toujours selon Ahmed Ouyahia – face aux dangers extérieurs contredit un discours lénifiant sur la bonne santé économique du pays (dixit Abdelmalek Sellal), sa stabilité politique interne irradiante au niveau régional et sa sécurité intérieure assurée, sous la conduite éclairée, etc. On observe par ailleurs qu’en contradiction avec leurs proclamations, nos gouvernants font tout le contraire de ce qu’il faudrait faire pour consolider, si cela était nécessaire, le front intérieur. Que faire en effet pour se « serrer les coudes » ?
La première chose consiste à travailler à former le gouvernement le plus large, le plus représentatif, le plus inclusif possible.
Au danger contre la nation devrait effectivement correspondre un consensus national.
Non pas l’unanimisme, puisque même le plus illustre de nos consensus – celui de la période de la guerre de libération qui rassembla l’essentiel des courants du mouvement national – n’incluait ni les harkis et autres alliés du colonialisme français ni le Mouvement national Algérien (MNA) de Messali Hadj pourtant issu du PPA-MTLD. Mais un consensus dominant, fruit de l’hégémonie réelle de l’une de ses composantes, à même de souder un bloc social largement majoritaire politiquement.
Or, le pouvoir fait exactement l’inverse. Il se raidit et referme progressivement tous les acquis démocratiques issus d’Octobre 1988. A l’APN, il fait systématiquement passer en force sa politique sans esquisser la moindre concertation effective avec l’opposition parlementaire ni avec les « partenaires sociaux ».
Il adopte une Constitution hyper-présidentialiste en refusant tout débat contradictoire réel, réduit la marge de manœuvre électorale des partis légaux, réprime militants politiques, syndicaux, associatifs et autres bloggeurs, étouffe les libertés démocratiques et la liberté de la presse, envoie des journalistes en prison… Renforcer le front intérieur impliquerait pourtant de favoriser la mobilisation la plus
large et la plus profonde des forces populaires de notre peuple pour développer son niveau de conscience et d’organisation, ce qui implique de favoriser le développement des libertés démocratiques au profit du plus grand nombre.
« Se serrer les coudes » implique par ailleurs d’améliorer la situation sociale des larges couches populaires qui sont effectivement prêtes, elles, à se sacrifier pour défendre l’Algérie dans le cas où elle serait menacée demain.
Nos gouvernants font tout ce qui est en leur pouvoir pour améliorer la situation sociale et opérationnelle des officiers, sous-officiers et djounoud de l’ANP afin que ceux-ci puissent se concentrer effectivement sur leur tâche principale de défense du peuple et du territoire algériens. Or, ce qui est valable pour les soldats et pour les policiers, devrait l’être également pour la majorité laborieuse de notre population.
Ce n’est là aussi malheureusement pas le cas. Les lois de Finances 2016 et 2017 adoptées à la hussarde à l’APN, la loi sur les retraites, l’augmentation de la TVA et des prix de l’énergie qui se répercuteront sur ceux des transports, des loyers et de tous les produits, le grignotage des subventions des produits de base préparant leur suppression ultérieure, le refus de contrôler les prix sous le prétexte idéologique que ceux-ci seraient déterminés par l’offre et la demande, le gel de nombre d’investissements… toutes ces mesures exigées par le FMI, la Banque mondiale, les gouvernements français et américains « amis » et bien d’autres contribuent à la paupérisation de pans croissants de la population.
Le pire est qu’au même moment, les catégories aisées (patronat privé, importateurs, grossistes, promoteurs immobiliers, spéculateurs en tout genre…) bénéficient des largesses du gouvernement. Alors que les inégalités sociales n’ont jamais été aussi criantes, il n’existe aucun impôt sur la fortune. La taxe sur l’activité professionnelle (TAP) est allégée, les « entrepreneurs » reçoivent d’énormes cadeaux directs et indirects, la fiscalité favorise l’évasion au profit des possédants alors que l’impôt sur le revenu global (IRG) des salariés est recouvré à la source… Et pendant que, sous le fallacieux prétexte d’équilibre des comptes, le gouvernement oblige les salariés hommes à travailler jusqu’à 44 ans pour ceux qui ont débuté à l’âge de 16 ans, il permet toujours aux cadres supérieurs de l’Etat de partir en retraite au bout de vingt années d’activité avec une excellente rémunération. Et ce bon monsieur Ouyahia de demander à tous, sans distinction, de « se serrer les coudes car nous n’avons plus la même rente pétrolière » !
Quant à la lutte contre la corruption et l’évasion de devises, elle n’est, comme chacun le sait, pas sérieusement menée. La spoliation des biens appartenant juridiquement au peuple algérien se poursuit par le processus de privatisation au profit d’une minorité totalement illégitime.
Enfin, une politique de renforcement du « front intérieur » implique de défendre l’économie et la souveraineté nationales face aux puissances économiques et financières qui dominent le monde, pillent les richesses des pays du Sud, surexploitent leurs travailleurs, spolient leurs paysans et poussent des millions de personnes à fuir des contrées ravagées par la misère et l’oppression.
La politique d’ouverture et d’« intégration effective et positive de l’économie algérienne dans le système économique mondial » – dixit Abdesselam Bouchouareb – a favorisé le démantèlement tarifaire permettant à la riche UE d’exporter pour 195 milliards d’euros vers l’Algérie au moment où notre pays n’exportait que l’équivalent de 12 milliards d’euros vers le Vieux continent. Si ce n’est pas là de l’échange inégal…
Des partis, journaux, associations, syndicats, personnalités avaient avertis depuis le milieu des années 1990 sur le danger que représentait l’accord d’association passé avec l’UE. Mais le gouvernement n’écoute pas ceux qui pensent d’abord à l’intérêt du peuple. Et il poursuit sa politique de cadeaux dans l’espoir vain d’attirer des IDE. Il s’endette de nouveau auprès de la BAD. Il se fait le relais de multinationales parties à la conquête de nouveaux marchés… Et prépare le bradage des entreprises publiques, ou de leurs assiettes foncières, par le biais du pseudo partenariat public-privé.
Le gouvernement n’a pas compris, mais comment le pourrait-il, que l’offensive impérialiste sur notre pays ne passe pas par une intervention militaire directe de l’OTAN, mais par le renforcement de la « copération », par l’abaissement des défenses économiques de l’Etat, par le « partenariat gagnant-gagnant »… Une politique qui a permis le renforcement sans précédent, depuis une trentaine d’années, de nouvelles couches compradores qui sont au service des multinationales, des banques et des puissances étrangères et qui viennent, de l’intérieur même de la société algérienne, développer leur discours sur les bienfaits de la globalisation, de la déréglementation, des IDE, de la privatisation, du doing business…
Le pouvoir n’appréhende le « danger extérieur » que sous l’angle sécuritaire car sa nature lui interdit de comprendre que c’est sa politique économique et sociale et les alliances internationales sur laquelle elle se fonde qui constituent le véritable « danger » à la fois extérieur et intérieur.
Il dépense en conséquence davantage d’énergie à entraver l’action des syndicalistes et autres défenseurs des droits des chômeurs qu’à empêcher l’action subversive de certaines ONG étrangères qui ont pignon sur rue et toute latitude pour dévoyer la jeunesse algérienne au profit des Etats-Unis ou des pays européens.
Le discours du pouvoir sur le « danger extérieur » s’avère ainsi n’être qu’un discours et ses appels constants à la défense du « front intérieur » ne visent qu’à faire taire les critiques et à entraver l’émergence de toute alternative politique nationale sérieuse. Barricadé dans sa forteresse, comme l’UE et les Etats-Unis se barricadent contre le « danger des immigrants », il ne pense et travaille qu’à sa survie. Il se coupe ainsi de plus en plus du reste de la société, ouvrant ainsi une immense faille dans laquelle ne manqueront pas de s’engouffrer, le jour venu, tous les ennemis du peuple algérien que le pouvoir se plait pourtant à nous présenter sous les traits d’amis et de frères.
Source : Libre-Algérie